Suffit-il de s'en tenir aux faits pour être dans le vrai?
Extrait du document
«
• L'objectivité est une exigence de la mentalité scientifique.
Elle est donc tardive, mais la diversité des disciplines
scientifiques oblige sans doute à la concevoir de manière multiple.
Si d'autre part les sciences prétendent rendre
compte des faits, à quelle réalité ces derniers correspondent-ils ? La science est-elle obligée de « s'en tenir aux
faits » sans rien leur ajouter — et cette attitude garantit-elle définitivement l'objectivité du savoir ?
• Très simplement, l'objectivité implique une différenciation (que ne réalise jamais, par exemple, la mentalité
magique) entre le sujet et l'objet, telle qu'elle se devine dès l'étymologie de ce dernier : il est ce qui est « devant »
ou « en face » d'un sujet, toute intimité entre eux étant supprimée.
L'objet cependant ne suffit pas à constituer un
fait.
Celui-ci suppose l'apparition d'une transformation quelconque de l'objet, sa relation efficace et constatable
avec d'autres objets et événements, qui le modifie (de ce point de vue, le fait apparaît comme l'héritier scientifique
du « mouvement » aristotélicien).
• On doit opérer une distinction (devenue très classique) entre le fait immédiat ou empirique — tel que nous le livre
la perception quotidienne — et le fait scientifique, tel qu'il est fructueusement observé.
Bachelard a notamment
montré comment le second, pour être repéré et productif d'une question nouvelle, doit être construit.
« ...
Devant le réel le plus complexe, si nous
étions livrés à nous-mêmes c'est du côté du
pittoresque, du pouvoir évocateur que nous
chercherions la connaissance; le monde serait notre
représentation.
Par contre si nous étions livrés tout
entiers à la société, c'est du côté du général, de
l'utile, du convenu que nous chercherions la
connaissance; le monde serait notre convention.
En
fait la vérité scientifique est une prédiction, mieux une
prédication.
Nous appelons les esprits à la
convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en
transmettant du même coup une pensée et une
expérience, liant la pensée à l'expérience dans une
vérification: le monde scientifique est donc notre
vérification.
Au-dessus du sujet, au delà de l'objet
immédiat la science moderne se fonde sur le projet.
Dans la pensée scientifique la méditation de l'objet par
le sujet prend toujours la forme du projet.
[...] Déjà l'observation a besoin d'un corps de
précautions qui conduisent à réfléchir avant de
regarder, qui réforment du moins la première vision de sorte que ce n'est jamais la première
observation qui est la bonne.
L'observation scientifique est toujours une observation
polémique; elle confirme ou infirme une thèse antérieure.
Naturellement dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère
polémique de la connaissance devient plus net encore.
Alors il faut que le phénomène soit
trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments...
Or les instruments ne sont que des
théories matérialisées.
Il en sort des phénomènes qui portent de toute part la marque
théorique..
»
Gaston BACHELARD
Bachelard a contribué à donner à l'épistémologie française ses lettres de noblesse, en particulier en déclarant dès les premières pages de
« La formation de l'esprit scientifique » (1938) : « C'est en terme d'obstacle qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique.
»
Bachelard s ‘est battu contre deux idées fausses portant sur les sciences, répandues dans le public.
D'une part, celle qui veut que le
savant arrive pour ainsi dire l'esprit « vierge » devant les phénomènes à étudier, d'autre part celle qui voit le développement des sciences comme
une simple accumulation de connaissance, un progrès linéaire.
En affirmant cette citation, il souhaite montrer les difficultés inhérentes à l'acte même de connaître.
Les
obstacles à une connaissance scientifique ne viennent pas d'abord de la complexité des phénomènes à étudier, mais
des préjugés, des habitude de savoir, des héritages non interrogés.
« Quand il se présente à la culture scientifique,
l'esprit n'est jamais jeune.
Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés.
»
La première bataille à livrer pour accéder à la connaissance scientifique est donc une bataille contre soi-même,
contre le sens commun auquel le savant adhère spontanément.
C'est une bataille contre l'opinion : « L'opinion pense.
»
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