Suffit-il de modérer ses désirs pour être heureux ?
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«
PREMIERE CORRECTION
Ici on vous interroge sur le bonheur et l'attitude à adopter face à nos désirs.
La question nous renvoie ici à la toute première définition que nous donnons généralement du bonheur : être heureux consiste à pouvoir satisfaire tous ses
désirs.
En effet, le bonheur apparaît comme cet état dans lequel nous n'éprouvons plus de manque.
On pourrait penser que pour être heureux et s'épanouir, il est nécessaire de ne connaître aucune retenue et aucune frustration.
Il
faudrait rechercher la satisfaction de tous nos désirs que ceux-ci soient naturels (ce sont les besoins) ou non (ce sont les désirs à proprement parler).
Mais alors, une telle approche du bonheur ne le rend-elle pas impossible ? En
effet, le propre du désir est de changer en permanence d'objet.
A peine un désir est-il satisfait que nous désirons autre chose.
En un mot, ne plus désirer reviendrait sans doute à mourir.
Ensuite, vous pouvez noter que la
satisfaction de tous les désirs rencontre une autre limite.
Nombreux sont nos désirs qui sont contradictoires.
Pourtant, cela est bien la manière dont nous nous représentons le bonheur et c'est en ce sens que dans Les Fondements
de la métaphysique des mœurs, Kant définit le bonheur, non pas comme un idéal de la raison, mais comme un idéal de l'imagination.
Si un tel bonheur est impossible, être heureux ne reviendrait-il pas alors à changer ses désirs ?
Ici, vous pouvez penser aux analyses de Descartes dans la troisième maxime de la morale par provision dans le Discours de la méthode.
Descartes montre en quoi il vaut mieux changer ses désirs que l'ordre du monde.
Mais si
vous lisez attentivement le texte il montre que cela est le moyen d'être content.
Or, être content et être heureux, est-ce la même chose ? Comment être heureux alors ?
[Le bien premier, c'est le plaisir, et le plaisir est absence de souffrance.
Il suffit donc, pour être heureux, de modérer
ses désirs afin de ne jamais connaître les douleurs que cause le manque ou la peur de manquer.]
Il y a trois catégories de désirs
le plaisir et le bonheur ne peuvent être absolument séparés.
L'homme, en tant que vivant, est fortement incliné à poursuivre des buts premiers, ceux qui sont induits par son corps :
manger, boire, jouir de son corps sexué.
Tout le pousse à chercher son bien-être, à désirer ce qui le favorise, à fuir ce qui lui apporte désagrément et douleur.
C'est ce que l'hédonisme
antique, qui affirmait que l'accès au bonheur passait nécessairement par le plaisir, avait compris.
Ainsi pour Epicure, le plaisir ou la satisfaction du désir est un bien.
Mais s'il affirme que
l'homme doit s'employer à rechercher le plaisir pour être heureux, il ne doit pas en faire la visée ultime ou le but de toutes ses actions.
Le plaisir ne doit pas être recherché pour luimême, mais seulement pour éviter la souffrance et avoir la paix de l'âme.
Le bonheur n'est pas le fruit de la luxure : « Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les
jouissances des jeunes garçons et des femmes, les poissons et autres mets qu'offrent une table de luxueuse qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante qui recherche
minutieusement les motifs de ce qu'il faut choisir et de ce qu'il faut éviter et qui rejette les vaines opinions, grâce auxquelles le plus grande trouble s'empare des âmes » (« Lettre à
Ménécée »).
Aussi Epicure distingue-t-il :
• Les désirs naturels et nécessaires au bien-être du corps et de l'âme, qui s'appliquent aux objets susceptibles de supprimer la douleur, tels la boisson qui étanche la soif ou la pain qui
calme la faim.
• Les désirs naturels et non nécessaires.
Les objets de ces derniers sont, par exemple, les mets délicats qui permettent de varier le plaisir.
Ces désirs ne sont naturels que pour autant
qu'ils ne se transforment pas en débauche.
Ainsi, le désir sexuel est naturel à condition qu'il ne devienne pas « un appétit violent des plaisirs sexuels assorti de fureur et de tourment ».
• Les désirs ni naturels ni nécessaires qu'il faut refouler si l'on veut connaître la sérénité (désirs de gloire, de richesse, d'immortalité, ambition…).
Ces désirs sont de « vaines opinions »
qui trouvent leur origine dans la crainte de la mort, notamment.
Epicure nous invite donc à mettre fin à tous les plaisirs non naturels et non nécessaires qui occasionnent le plus souvent des désagréments, des frustrations, qui freinent l'accès à
l'ataraxie (absence de trouble ou de douleur).
C'est la satisfaction de ces désirs simples qui est dispensatrice de bonheur.
Il suffit de peu de chose pour connaître le bonheur
Ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid, n'éprouver ni douleur du corps, ni trouble de l'âme, suffit à être heureux.
Il faut donc simplement, pour trouver le bonheur, suivre l'inclination naturelle qui m'incite à
repousser les choses qui me nuisent et à admettre celles qui me sont propres.
Être heureux, c'est suivre la nature est limitant ses désirs
Pour être heureux, il suffit de satisfaire nos tendances naturelles, ce qui est tout à fait aisé.
Rendons grâces à la nature, nous dit une sentence épicurienne, car «les choses nécessaires sont faciles à atteindre et les choses
difficiles à atteindre ne sont pas nécessaires».
Il faut donc passer ses désirs au crible de sa raison et éliminer impitoyablement tous ceux qui ne sont pas naturels et nécessaires, tous ceux qui sont vains, artificiels, superflus ou excessifs .
alors nous serons sages et nous
atteindrons l'ataraxie, l'état d'absence de trouble de l'âme, cad le bonheur.
En effet, ce sont les angoisses, les passions, les désirs inassouvis qui troublent notre âme, nous font souffrir et nous empêchent d'être heureux.
Se
délivrer de tout cela, c'est déjà être heureux, de même qu'il faut penser que le plaisir se trouve déjà dans l'absence de souffrance.
Nous voyons qu'Epicure redéfinit le plaisir (et corrélativement le bonheur) à l'encontre de la
pensée commune, qui n'aperçoit de plaisir que dans un excitation positive des sens ou de l'esprit.
Nous voyons aussi quelle est la vraie nature de l'hédonisme d'Epicure et quel monumental contresens a fait la tradition en en
faisant « une morale de pourceaux libidineux se vautrant dans la luxure », alors qu'il s'agit avant tout d'une ascèse, d'une maîtrise des désirs, assez semblable à ce que peuvent pratiquer certains religieux, ermites ou
ascètes, même si c'est dans de tout autres buts.
[Est vertueux celui qui suit la nature.
Puisque la nature de l'homme est rationnelle, la vertu consiste donc à se soumettre à ce que nous dicte notre raison, laquelle tend à une plus grande connaissance
de l'âme et des choses.]
L'homme est un animal raisonnable
Les animaux sont gouvernés par des instincts qui les conduisent à agir en vue de conserver leur vie.
Pour les hommes, vivre selon la nature, c'est vivre selon la raison.
L'inclination naturelle ne les porte donc pas à chercher le
plaisir mais à se tourner vers la connaissance.
C'est de cette connaissance du vrai et du juste que découle le plaisir.
La raison est dispensatrice de bonheur
Zénon de Citium fait remarquer qu'Épicure a raison d'estimer qu'il faut satisfaire nos grandes tendances naturelles, mais tort de penser que le plaisir et le souci de ne pas souffrir sont les deux grands fondements de la
sagesse.
Seule la raison est capable d'assurer à l'homme le bonheur.
Même un bien naturel comme la santé n'est qu'une condition auxiliaire du bonheur, car celui-ci ne peut se trouver que dans la vertu.
Il faut vivre selon sa propre nature et celle de l'univers
Il ne s'agit pas de jouir en paix de plaisirs modérés, mais d'agir en conformité avec les normes qui régissent le monde, lesquelles ne sont pas le fruit du hasard.
L'homme heureux, celui dont le cours de l'existence s'écoule
sereinement, agit en accord avec la raison qui est, en chacun de nous, l'expression de la volonté du grand ordonnateur de l'univers.
La source de tout bien et de tout mal que nous pouvons éprouver réside strictement dans notre propre volonté.
Nul autre que soi n'est maître de ce qui nous importe réellement, et nous n'avons pas à nous soucier des choses
sur lesquelles nous n'avons aucune prise et où d'autres sont les maîtres.
Les obstacles ou les contraintes que nous rencontrons sont hors de nous, tandis qu'en nous résident certaines choses, qui nous sont absolument
propres, libres de toute contrainte et de tout obstacle, et sur lesquelles nul ne peut agir.
Il s'agit dès lors de veiller sur ce bien propre, et de ne pas désirer celui des autres ; d'être fidèle et constant à soi-même, ce que nul ne
peut nous empêcher de faire.
Si chacun est ainsi l'artisan de son propre bonheur, chacun est aussi l'artisan de son propre malheur en s'échappant de soi-même et en abandonnant son bien propre, pour tenter de posséder le
bien d'autrui.
Le malheur réside donc dans l'hétéronomie : lorsque nous recevons de l'extérieur une loi à laquelle nous obéissons et nous soumettons.
Nul ne nous oblige à croire ce que l'on peut dire de nous, en bien ou en mal
: car dans un cas nous devenons dépendants de la versatilité du jugement d'autrui, dans l'autre nous finissons par donner plus de raison à autrui qu'à nous-mêmes.
Enfin, à l'égard des opinions communes comme des théories
des philosophes, ou même de nos propres opinions, il faut savoir garder une distance identique à celle qui est requise dans l'habileté du jeu, c'est-à-dire qu'il faut savoir cesser de jouer en temps voulu.
Dans toutes les affaires
importantes de la vie, nul ne nous oblige en effet que notre propre volonté.
Au commencement, l'homme est, comme l'animal, mû par des instincts.
Il a en lui des tendances qui, le portant à la conservation de soi, l'amènent à désirer ce qui lui est favorable.
Aussi peut-on dire que la conduite
instinctive est un devoir de nature.
Il a aussi des passions qui sont des effets de l'opinion: la peine est l'opinion récente de la présence d'un mal, la crainte, l'opinion d'un mal menaçant, le plaisir, l'opinion d'un bien présent.
Zenon de Cittium estime que l'homme doit dépasser ce stade pour vivre selon la raison, pour reconnaître dans le destin la volonté et la raison universelle.
À ce moment-là, il ne peut plus se tromper, ni mentir.
Il est sans
passion ni désir.
Il jouit du bonheur des dieux.
Malheureusement, l'homme n'est pas que raison, il lui arrive de donner son assentiment aux passions.
SECONDE CORRECTION
Socrate et l'hédoniste
Pour Calliclès, hédoniste débridé (du grec hèdonè, plaisir), il faut « vivre dans la jouissance, éprouver toutes les formes de désirs et les assouvir ».
À ses yeux, les normes morales et juridiques ne sont que répressives, elles
empêchent de trouver le bonheur comme on l'entend.
Socrate lui rétorque qu'il échouera à rendre son âme harmonieuse s'il ignore ce qu'est le bien en soi, indépendamment de ce qui lui semble tel.
En effet, celui qui fait du plaisir le
souverain bien semble poursuivre sans fin une satisfaction transitoire et toujours attendre ce qui le comblera, ce qui le fera enfin échapper au manque qui le ronge, comme dans une course à l'infini oscillant entre crainte et espoir.
En outre, si la seule chose qui compte est la maximisation d'états subjectifs de plaisir, sans discrimination (tout plaisir semblant bon pour lui), la réalité apparaîtra tour à tour comme une chance et comme une menace, c'est-àdire toujours potentiellement hostile.
C'est s'exposer à l'inquiétude !
Il est de bon ton de condamner le plaisir.
Platon, dans le « Gorgias », affirme ainsi qu'une vie réglée contente et satisfaite de ce que chaque jour lui apporte et préférable à une existence inassouvie et sans frein.
L'homme qui entend mener une vie de plaisir est
comparable à un tonneau percé qu'il faudrait constamment remplir : à peine satisfait, le désir renaît et avec lui la souffrance.
Mais fixer son attention sur le plaisir, c'est, surtout, s'attarder sur les objets du monde sensible et renoncer au bonheur d'une vie
contemplative qui seule peut nous mettre en contact avec l'éternité.
« Gorgias : Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? Hé bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes
soient-elles, et ne pas les réprimer.
Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce qu'elles peuvent désirer.
Seulement, tout
le monde n'est pas capable, j'imagine, de vivre comme cela.
C'est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu'elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire.
La masse déclare
donc bien haut que le dérèglement est une vilaine chose.
C'est ainsi qu'elle réduit à l'état d'esclaves les hommes dotés d'une plus forte nature que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes
incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme.
Socrate : Mais, tout de même la vie dont tu parles, c'est une vie terrible ![...] En effet, regarde bien si ce que tu veux dire, quand tu parles de ces genres de vie, une vie d'ordre et une vie de dérèglement, ne
ressemble pas à la situation suivante.
Suppose qu'il y ait deux hommes qui possèdent, chacun, un grand nombre de tonneaux.
Les tonneaux de l'un sont sains, remplis de vin, de miel, de lait, et cet homme a encore bien
d'autres tonneaux, remplis de toutes sortes de choses.
Chaque tonneau est donc plein de ces denrées liquides qui sont rares, difficiles à recueillir et qu'on obtient qu'au terme de maints travaux pénibles.
Mais, au moins,
une fois que cet homme a rempli ses tonneaux, il n'a plus à y reverser quoi que ce soit ni à s'occuper d'eux ; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille.
L'autre homme, quant à lui, serait aussi capable
de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à recueillir, mais comme ses récipients sont percés et fêlés, il serait forcé de les remplir sans cesse, jour et nuit, en s'infligeant les plus pénibles peines.
Alors, regarde bien, si ces deux hommes représentent chacun une manière de vivre, de laquelle des deux dis-tu qu'elle est la plus heureuse ? Est-ce la vie de l'homme déréglé ou celle de l'homme tempérant ? En te
racontant cela, est-ce que je te convaincs d'admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée ? [...]
Gorgias : Tu ne me convaincs pas, Socrate.
Car l'homme dont tu parles, celui qui a fait le plein en lui-même et en ses tonneaux, n'a plus aucun plaisir, il a exactement le type d'existence dont je parlais tout à
l'heure : il vit comme une pierre.
S'il a fait le plein, il n'éprouve plus ni joie ni peine.
Au contraire, la vie de plaisirs est celle où on verse et reverse autant qu'on peut dans son tonneau ! »
Platon, « Gorgias ».
L'éphémère et le durable.
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