Suffit-il de devenir le maître de ses pensées pour l'être de ses sentiments ?
Extrait du document
«
Découvrir un jour que l'on s'est trompé, ou que l'on a été trompé, c'est être déçu.
De cette déception «
existentielle », involontaire, à la décision de douter méthodiquement pour n'être plus trompé, il n'y a pas loin.
L'admirable aventure du cogito cartésien (je pense, j'existe) a ceci d'exemplaire qu'elle montre comment
chacun peut éprouver en soi-même un pouvoir décisif : celui d'adhérer ou de ne pas adhérer à telle ou telle
opinion, à telle ou telle représentation qui s'offre à lui.
Bref, le pouvoir de devenir maître de ses pensées.
Tourné.
vers l'action, le libre exercice du jugement que fonde un tel pouvoir ne rencontre-t-il pas cependant
une limite ? La volonté d'être lucide met-elle en jeu la seule pensée ? Pouvons-nous la cultiver sans prendre
garde au rôle que peuvent jouer les sentiments ? L'idéal d'une totale maîtrise de soi semble finaliser toute
recherche de la sagesse et du bonheur.
Mais comment le réaliser, ou du moins le viser pratiquement ? Suffit-il
de devenir maître de ses pensées pour l'être de ses sentiments ?
Analyse du sujet :
D'un point de vue conceptuel : «maître» est une expression qui suppose une liberté.
Etre maître veut dire décider,
choisir.
Il faudra donc s'interroger sur la liberté que nous avons par rapport à nos pensées ou à nos sentiments.
«pensées» : Désigne la conscience, à ses différents degrés : conscience du monde (perception, interprétation,
réaction) et conscience de la conscience (réflexion).
Etre maître de ses pensées, ce n'est pas simplement penser ce
qu'on veut, ou être cultivé, c'est être capable de savoir ce qu'on pense, de saisir sa pensée à tout instant.
«sentiments» : Terme vague qui regroupe tout ce qui est affectif : les affects est un mot plus précis, qui
correspond à un concept philosophique chez de nombreux auteurs, entre autre chez Spinoza (c.f.
les textes
supplémentaires pour voir la différence entre affect et passion).
On peut également parler des passions (Descartes),
des pulsions (psychanalyse), des instincts (éthologie).
D'une manière générale, il ne semble pas que nous soyons
libres de nos sentiments : peut-on choisir d'aimer telle personne plutôt que telle autre ? L'éthologie (science de
l'étude comparée des comportements animaux et humains) nous a montré qu'un instinct ne pouvait pas être
supprimé.
D'un point de vue formel : «Suffit-il...
pour...» : exprime une condition.
Si nous établissons que la maîtrise de la
pensée permet la maîtrise des sentiments, nous aurons une réponse au sujet.
Noter que cette condition est à sens
unique : une maîtrise des sentiments ne serait pas synonyme d'une maîtrise de la pensée.
Problématisation :
Un homme sait ce qu'il doit faire pour faire au mieux (finir ses devoirs au plus vite, et sans aide, par exemple), mais il
fait le contraire.
Pourtant, ce n'est pas un ignorant, et il ne peut invoquer l'inconscience pour se justifier, seulement
la paresse ou quelque autre sentiment qui aura pris le dessus.
Suffit-il d'être maître de ses pensées pour l'être
de ses sentiments ? Si les deux domaines sont clairement séparés, alors la maîtrise de l'un ne peut influencer sur
l'autre.
On peut pour autant décider de ce qui est le meilleur : Quelle est la portée de notre maîtrise de soi ? Il est
un fait scientifique que certains affects sont inéluctables.
La psychologie, puis la psychanalyse, nous apprennent
que les affects dominent la plupart de nos actions.
Cependant, si les affects ne peuvent être contrôlés, l'esprit peut
y réagir de façon simple.
Plan suggéré :
I – Inéluctabilité de l'instinct
«Craig s'est livré à une série d'expériences avec des couples de colombes rieuses.
Il sépara le mâle de la
femelle pendant des périodes de plus en plus longues et vérifia expérimentalement quels étaient, après chaque
période de privation, les objets qui suffisaient à déclencher la danse d'amour du mâle.
Quelques jours après la
disparition de la femelle de sa propre espèce, le mâle était près à courtiser une colombe blanche qu'il avait ignorée
auparavant.
Quelques jours de plus et il s'inclina et roucoula devant un pigeon empaillé, puis, devant un morceau de
tissu enroulé et finalement, après plusieurs semaines de solitude, il prit comme objet de son jeu d'amour le coin vide
de sa cage où la convergence des lignes offrait au moins un point de fixation optique.
Physiologiquement parlant,
ces observations montrent que lorsqu'un comportement instinctif – en l'occurrence la danse d'amour – est arrêté
pendant un temps prolongé, le seuil des stimuli qui le déclenchent, s'abaisse.
C'est un fait si général et qui se
produit avec une telle régularité que la sagesse populaire s'en est emparée depuis longtemps et l'exprime dans le
proverbe : «Faute de grives on mange des merles.» Goethe fait dire à Méphisto : «Avec ce philtre dans les veines,
tu verras bientôt Hélène dans chaque femme» ; or, si tu es un pigeon mâle, tu peux voir Hélène même dans un
torchon ou dans le coin vide de ta prison.
L'abaissement du seuil des stimuli déclencheurs peut, dans certains cas, s'approcher de zéro, c'est-à-dire
que le mouvement instinctif en question peut «partir» sans qu'il y ait aucun stimulus externe.
[...]
Le refoulement d'un mouvement instinctif, produit par la suppression pendant un temps prolongé des stimuli
qui le déclenchent, n'a pas comme seul résultat de rendre l'organisme plus disposé à réagir, il provoque des
transformations beaucoup plus profondes qui l'affectent dans son ensemble.
En principe, tout véritable mouvement
instinctif auquel on refuse la possibilité d'une abréaction, ainsi que nous venons de le décrire, peut avoir pour effet.
»
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