SPINOZA: «On dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire...»
Extrait du document
«
« L'homme n'est pas un empire dans un empire » (III, préface) La proposition qui vise le statut de l'homme a
pour toile de fond une critique de la nature conçue comme un empire que Dieu régirait en maître.
Les deux illusions
sont conjointes : il s'agit de rectifier et la pensée de Dieu et celle de la personne humaine.
Dieu n'est pas une
personne, et l'homme ne se gouverne pas non plus selon les décrets d'une volonté libre de toute détermination.
Si
l'homme n'est pas un « empire », c'est qu'il est une chose singulière finie, capable de produire des effets mais
déterminé à son tour par ce qui l'environne ; il n'est donc pas intelligible par lui-même, détaché du tout naturel dans
lequel il se trouve immergé.
Enfin, c'est la théorie du libre arbitre que Spinoza récuse, aussi bien chez les moralistes
que dans sa tournure cartésienne : elle suppose la croyance en une maîtrise possible et souhaitable des passions et
au-delà, une discipline du sensible par la volonté.
L'Éthique III cherchera au contraire à montrer la nécessité des
affects en dévoilant leurs mécanismes.
Le libre–arbitre n'est qu'une illusion car tous nos actes sont déterminés.
«On dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire [...] Une volonté finie ou infinie
requiert une cause par où elle soit déterminée à exister et à produire quelque effet et ainsi ne peut être dite cause
libre, mais seulement nécessaire ou contrainte.
» Spinoza, Éthique (1675).
• Spinoza, sur ce sujet, critique Descartes et lui reproche de considérer l'homme comme «un empire dans un empire»,
comme s'il échappait à la causalité naturelle.
Pour Spinoza, l'âme n'échappe pas plus que le corps aux chaînes de
causalité, ne serait-ce que parce qu'elle ne se crée pas elle-même.
Elle est donc une cause contrainte, c'est-à-dire un
maillon qui cause des effets tout en étant causé par des causes antérieures.
L'âme a l'illusion d'être libre parce qu'elle
ne voit pas les causes qui la déterminent et se prend pour un point de départ.
• La liberté, en tant que point de départ absolu, n'existe donc pas pour Spinoza.
Pour lui, l'homme peut seulement être
plus ou moins libre, selon la connaissance qu'il a des causes qui agissent sur lui.
Avoir conscience de ces causes (en
particulier les représentations imaginaires) permet parfois de s'en libérer ou au moins d'agir «en connaissance de
cause».
On est donc d'autant plus libre, pour Spinoza, qu'on connaît ses déterminations - ce qui est une tâche infinie.
En déclarant à propos des moralistes : < En vérité, on dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire
dans un empire », Spinoza (1632-1677) récuse la morale, affirme une conception nouvelle de la liberté.
Cette fameuse
formule « l'homme comme un empire dans un empire » se retrouve souvent sous la plume de Spinoza, mais elle est
explicitée clairement dans la préface du troisième livre de L 'Ethique, son ouvrage principal.
Spinoza est, comme Descartes, l'héritier de la «révolution galiléenne ».
Les découvertes de Galilée entraînent une
réforme totale des sciences et obligent à redéfinir la place de l'homme dans l'univers.
Mais Spinoza, à la différence de
son précurseur Descartes, accepte de tirer de la science nouvelle des implications morales et politiques.
Celles-ci
seront perçues comme ,tellement inouïes, révolutionnaires, tranquillement opposées à l'absolutisme politique et au
conformisme religieux, qu'elles vaudront à Spinoza avec les surnoms de «chien galeux» et «d'impie », une vie précaire
et menacée.
Une des principales conséquences des découvertes de Galilée, c'est que la nature apparaît comme désenchantée,
uniquement régie par les lois scientifiques, les lois de la mécanique.
Spinoza en tire la conclusion suivante : il faut
considérer l'homme comme une partie de la nature comme une autre et dont tous les actes s'expliquent par des lois,
des causes.
Mais il s'inscrit ainsi contre la conception traditionnelle de la liberté humaine, qui veut que l'homme décide
souverainement de ses actions, qu'il soit doté de «libre-arbitre ».
Cette conception traditionnelle s'adosse à la religion.
Descartes l'a exprimée le plus clairement en disant que notre volonté était infinie comme celle de Dieu.
Bref, dire que
l'homme a été créé à l'image de Dieu, cela signifierait que l'homme est libre, que sa volonté est libre.
Or Spinoza
conteste ce point en disant que cela revient à considérer « l'homme dans la nature comme un empire dans un empire».
Pour récuser cette conception, Spinoza considère la façon dont la morale parle des passions et des hommes
passionnés.
Les moralistes considèrent les passions comme un vice de la nature humaine : le passionné est condamnable parce qu'il
est responsable de sa passion, il ne suit aucun des conseils que les moralistes lui donnent, il fait un mauvais usage de
sa volonté, il se rend complice de son vice.
En clair, résume Spinoza :
« Ils cherchent la cause de l'impuissance et de l'inconstance humaine [...] dans je ne sais quel vice de la nature
humaine, et pour cette raison pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent, ou le plus souvent la détestent : qui sait le
plus éloquemment ou le plus subtilement censurer l'impuissance de l'âme humaine est tenu pour divin.
»
La position moraliste amène et à l'auto-glorification — censurer le vice, c'est se faire passer pour divin — et au mépris
de l'homme.
L'homme est raillé, méprisé, détesté.
Mais, et ici s'amorce la critique spinoziste, l'homme n'est pas compris.
Les moralistes n'ont jamais expliqué ni ce qu'était
une passion, ni quelles en étaient les causes.
La preuve de leur impuissance à connaître, est précisément que
personne ne peut suivre leur conseil, qu'ils n'ont jamais aidé personne à surmonter sa faiblesse, et que la seule chose
que nous enseigne la morale est le mépris de l'être humain.
Les moralistes sont ceux qui « aiment mieux détester ou
railler les affections el les actions des hommes que de les connaître ».
D'où proviennent l'incompréhension et l'impuissance des moralistes ? De ce qu'ils n'ont pas compris que l'homme n'était
qu'une partie de la nature comme une autre, c'est-à-dire soumis à des lois.
Les passions sont des phénomènes
naturels comme les autres, qui ont des causes naturelles, comme tous les autres phénomènes naturels.
Être passionné, ce n'est pas avoir une nature vicieuse ; il n'y a pas de nature vicieuse.
Qu'un homme soit ambitieux,
cruel, jaloux, cela s'explique de la même façon qu'on explique la chute des corps ou qu'un chien a la rage.
On ne blâme
pas un chien parce qu'il a la rage on ne blâme pas la pierre parce qu'elle tombe quand on la lâche : on tente de.
»
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