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Sommes-nous responsables moralement, non seulement de nos actes, mais encore de nos pensées ?

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« Sommes-nous responsables moralement, non seulement de nos actes, mais encore de nos pensées ? Introduction.

— La justice légale ne se prononce que sur les actions extérieures.

Du point de vue moral, au contraire, nous nous sentons satisfaits ou mécontents des pensées qui hantent notre esprit.

En sommes-nous donc responsables ? Il n'y a pas de responsabilité morale sans liberté.

Or, c'est bien librement, dans certains cas, que nous fixons notre esprit sur un objet déterminé ou que, mettant fin à l'examen d'une question, nous nous arrêtons au jugement que nous considérons comme la vérité.

Il y a donc des pensées dont nous sommes responsables.

Mais sommes-nous responsables de toutes nos pensées ? La question pourrait se poser de la pensée sous sa forme supérieure, celle qui distingue l'homme de l'animal, le jugement ; elle se ramènerait alors à se demander si le jugement est une opération purement intellectuelle ou si la volonté y joue un rôle déterminant : c'est le problème classique de la croyance.

Nous prendrons ici le mot « pensée » dans l'acception plus large qu'il a dans le langage ordinaire, entendant par là l'ensemble de notre activité mentale, images et souvenirs aussi bien que idées abstraites et jugements.

Sommes-nous responsables de tout ce qui nous vient à l'esprit ? Pas de responsabilité directe.

— Pas de responsabilité, avons-nous dit, sans liberté.

Or, si nous sommes libres de poser ou de ne pas poser un acte, par exemple de consacrer une soirée de nos vacances à une promenade ou à une lecture, nous ne sommes pas libres de penser à ce que nous voulons.

Normalement, en effet, nos pensées viennent en nous sans nous et parfois malgré nous ; cherchons-nous à les provoquer, elles nous échappent ou du moins ne parviennent pas à fixer notre esprit ; voulons-nous chasser une pensée que nous estimons inopportune ou malsaine, l'effort fourni pour l'écarter a souvent pour résultat de la renforcer ou même de la transformer en obsession.

Nous ne sommes donc pas directement responsables des pensées qui nous viennent, ni même, d'ordinaire, de celles qui s'installent en quelque sorte chez nous. Mais, sauf certains cas anormaux...

— Néanmoins, nous n'avons pas tort d'être honteux de la bassesse de nos pensées ou fiers de leur noblesse, car nos pensées expriment la qualité de notre âme.

Si elles viennent et se fixent en nous, c'est sans doute que nous nous complaisons en elles.

Nous les avons décrites comme des parasites venant de l'extérieur : or, normalement, elles émanent du plus profond de nous-mêmes. Normalement, avons-nous dit ; car nous devons faire une exception pour certaines idées obsédantes étudiées par les psychiatres et qui, loin de procurer une jouissance à ceux chez qui elles s'incrustent, constituent souvent pour eux une véritable torture : qu'on songe à la mère affectueuse qu'obsède la pensée de tuer son enfant ; au scrupuleux dont l'imagination revient obstinément vers des représentations abhorrées.

De ces pensées obsédantes nous ne sommes donc aucunement responsables. ...Responsabilité indirecte.

— En dehors de ces cas anormaux, les pensées qui nous viennent à l'esprit nous sont d'ordinaire plus ou moins imputables, non pas directement, puisqu'elles se présentent d'elles-mêmes sans que nous les ayons voulues, mais indirectement, soit que nous ayons semé en nous les germes d'où elles naissent, soit que nous ayons préparé aux germes venus de l'extérieur un terrain favorable. En effet, on n'observe pas de génération spontanée : dans la vie de l'esprit comme dans la vie organique, rien ne naît de rien.

Il est facile de remonter jusqu'à l'origine de nombre d'idées qui nous viennent : ce sont des lectures, des conversations, certains spectacles.

Les causes étant volontaires et libres, les effets nous sont imputables, dans la mesure du moins où nous les avons prévus. Parfois, il est vrai, c'est involontairement que nous assistons à une scène ou enregistrons une pensée formulée devant nous, et cette pensée ou cette scène ne tendent pas moins à revenir à l'esprit.

Mais elles ne peuvent pas s'y enraciner sans une certaine connivence de notre part.

Les graines ne germent pas sur le roc ou sur le chemin.

Si un mot entendu en passant est le premier anneau d'une longue chaîne de pensées qu'il inspire, c'est que nous étions déjà en accord avec lui : notre esprit est comme un résonateur qui ne retient que les vibrations auxquelles il se trouve accordé.

Si certaines idées folles nous reviennent si facilement, c'est faute d'une occupation sérieuse capable de nous captiver.

Nous ne pouvons donc pas les considérer comme un événement neutre du point de vue moral : elles nous sont imputables, au moins dans une certaine mesure. Néanmoins, responsabilité restreinte.

— Dans une certaine mesure seulement, et on ne peut pas comparer la responsabilité de nos pensées à la responsabilité de nos actes.

En effet, même si nous ne souffrons pas d'obsessions relevant du psychiatre, nous ne jouissons sans doute pas d'un parfait équilibre mental ; des idées parasites, sans nous obséder d'une façon morbide, nous occupent et nous prennent malgré nous une partie de notre attention : nous n'en sommes responsables que très partiellement. Conclusion.

— Toute la dignité de l'homme vient de la pensée ; malheureusement, la maîtrise de la pensée se révèle fort difficile, et, d'autre part, dans ce domaine il est bien malaisé de faire la part du volontaire et de l'involontaire.

Il est plus facile de contrôler nos actes.

Aussi, pour travailler à bien penser, ce qui constitue, d'après Pascal, « le principe de la morale », le plus sûr est de travailler à bien agir.. »

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