Sommes-nous fondés a dire qu'il n'y a pas de sot métier ?
Extrait du document
«
Introduction
Le travail est le plus souvent considéré comme une contrainte avant d'être perçu comme étant une activité
libératrice ou plaisante.
Cela peut-être parce que le travail est pour l'homme une nécessité, et non un choix
volontaire.
Mais il apparaît que beaucoup aime travailler pour améliorer leur vie, comme le bricoleur qui se plait à
élaborer ou à réparer plusieurs petites choses.
Mais bricolage et travail peuvent être distingués, comme l'affirme C.
Lévi-Strauss, puisque le bricolage serait plus un vagabondage de l'esprit.
Et le travail, au contraire, reste surtout
une transformation de l'immédiateté du réel par l'intelligence.
La nature se trouve ainsi transformée par le travail au
profit d'un produit humain.
Mais on verra que le travail a évolué vers des activités, des métiers, toujours plus
orientées vers la rentabilité.
Les conséquences sont claires : produire le plus possible, le plus rapidement possible, à
moindre coût.
C'est à ce rythme moderne que le travail trouve sa définition, mais aussi et surtout sa dévalorisation,
puisque des métiers de l'artisanat (savoir-faire), on est passé à l'industrie, mode mécanique et non réfléchi du
travail.
Le sens du métier suit ainsi l'évolution même de la valeur du travail.
I.
Homme-esclave ou homme-machine
a.
Dès la Grèce antique, le travail était dévalorisé.
Il appartenait aux esclaves ou à la catégorie des
producteurs.
L'homme d'action, le politique, le philosophe, eux, ne travaillent pas et leur activité est perçue comme
d'autant plus éminente qu'elle est délivrée de cette nécessité.
En reprenant, avec Hannah Arendt, la distinction
d'Aristote entre la theoria (spéculation), la praxis (action) et la poiêsis (fabrication, travail), le travail serait
l'activité humaine la plus proche de l'animalité, de la nécessité biologique, en vertu de sa finalité qui est de satisfaire
nos besoins.
Le travail est aussi à cet égard l'activité la plus éphémère dans ses réalisations.
Le produit du travail
est en effet destiné à être consommé ; ainsi, la loi du travail est la reproduction indéfinie de ses objets et des actes
accomplis pour les produire, la répétition monotone du cycle production/consommation (cf.
H.
Arendt, La condition
de l'homme moderne).
b.
Le machinisme aussi montre la part inquiétante du travail en ceci qu'il abêtit l'homme.
La division sociale des
métiers est utile est permet l'acquisition d'une habileté intéressante ; mais la division technique des tâches est
problématique.
Leur extrême parcellisation ôte toute signification à leur exécution.
Le travailleur, tel Charlot dans
Les Temps modernes, ne se représente plus ni le but de son activité, ni même la liaison des différents moments qui
la constituent.
Et le caractère répétitif, mécanique des gestes, fait alors du travail une des pratiques humaines les
moins intellectuelles, voire les moins humaines.
Plus le travail est rationalisé (taylorisme, fordisme etc.), plus il
devient « bête ».
Cette mécanisation inintelligente des tâches témoigne d'un aspect essentiel du travail.
Ainsi
Hannah Arendt réduit la définition du travail à la satisfaction animale des besoins par la reproduction du cycle
production/consommation.
II.
le travail, servitude ou liberté
a.
On peut renverser la perspective d'Arendt.
En effet, les conditions de travail liées à la production de masse,
loin d'être conformes à l'essence du travail humain, en dénaturent la signification authentique.
Ces conditions
mêmes ne sont-elles pas d'autant plus scandaleuses que le travail devrait être une source de reconnaissance et
d'accomplissement de soi, à savoir un métier authentique.
D'où la critique faite par Marx de l'aliénation du travail :
celle-ci ne dénonce pas seulement une exploitation économique, le travail produisant plus de valeur que le travailleur
n'en retire en échange (ce que Marx appelle le « sur-travail), mais, plus profondément, une situation où l'homme ne
se reconnaît pas dans son travail.
Ainsi pour Marx le travail devrait au contraire permettre la réalisation de l'homme
(cf.
Le Capital, L.
I).
b.
Ne pourrait-on pas penser le travail alors comme ce qui permet l'accomplissement de l'homme, son
enrichissement ? Ainsi selon Marx, le travail est le résultat d'un projet conscient et volontaire, alors que l'activité
animale est instinctive.
L'homme se distingue de l'animal de nombreuses façons : il est doté d'une
conscience, a le sens de la religion, est capable de pensée et de paroles, etc.
Il suffit de considérer qu'il produit ses moyens d'existence pour le différencier
radicalement de l'animal.
Produisant ses moyens d'existence, il produit sa vie
matérielle.
Le travail est une relation de l'homme à la nature, par rapport à
laquelle l'homme joue lui-même le rôle d'une puissance naturelle.
Utilisant son
corps pour assimiler des matières, il leur donne une forme utile à sa propre
vie.
Et modifiant la nature extérieure, il modifie en retour sa propre nature et
développe ses facultés par l'exercice du travail.
Les animaux, eux aussi,
"travaillent" lorsqu'ils accomplissent des opérations semblables à celles des
artisans : l'araignée tisse sa toile comme un tisserand, et l'abeille
confectionne les cellules de sa ruche comme nul architecte ne saurait le faire.
"Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus
experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire
dans la ruche." Le propre du travail humain est d'être l'aboutissement de ce
qui préexistait idéalement en lui.
Le travail n'est pas une simple
transformation, un changement de forme dans la matière naturelle, c'est la
réalisation d'un but ou d'un projet dont on a préalablement conscience, et qui
constitue la loi de l'action à laquelle on subordonne durablement sa volonté.
Tout travail exige un effort, une tension constante de la volonté, d'autant.
»
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