Soigne-t-on un être vivant comme on répare une machine ?
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Soigne-t-on un être vivant comme on répare une machine ?
Nous tombons malades et les machines tombent en panne, mais cette communauté indiquée par le langage
n'est-elle pas une illusion ? Certes dans les deux cas il semble qu'un ordre a été rompu et qu'on peut y remédier,
mais les mécaniciens et les médecins n'échangent pas leurs places, c'est donc qu'il faut s'interroger sur la différence
entre la panne et la maladie, entre soigner et réparer, entre l'être vivant et la machine.
Il nous faudra demander
pourquoi un tel rapprochement, que nous allons nous employer à invalider, ne paraît pas au sens commun si
saugrenu, et cela nous amènera à interroger la conception de l'animal machine.
Enfin nous mettrons en évidence,
entre l'être vivant et la machine, les différences de fonctionnement et les différences normatives qui les
commandent afin de fonder notre position quant à la question : soigne-t-on un être vivant comme on répare une
machine ?
I- Le vivant-machine.
a) La célèbre théorie de Descartes de l'animal machine s'inscrit dans une
époque où la mécanique est en pleine expansion et s'émancipe des sciences
physiques et mathématiques (cf.
les travaux de Galilée qui prend conscience
que ce qui vaux pour des modèles réduits ne marche plus lorsqu'on passe à
une échelle plus grande).
Le corps humain, comme le corps de l'animal, est une machine perfectionnée
créée par Dieu.
Bien qu'infiniment plus complexe que nos machines, son
fonctionnement se laisse expliquer de la même manière.
Les corps sont
composés de nerfs et de muscles, comparables à des petits tuyaux, dans
lesquels circule une matière subtile : les esprits animaux.
Lorsque nous
touchons un objet par exemple, nous en prenons une conscience tactile par
l'effet de ces esprits animaux qui remontent jusqu'au cerveau par l'entremise
des nerfs, et viennent heurter la "glande pinéale", siège de l'âme.
Il en est
ainsi de tout le système sensorimoteur.
Si je veux me mouvoir, un grand
nombre d'esprits animaux seront canalisés vers les muscles qui seront
sollicités pour accomplir ce mouvement.
La lumière, les odeurs, les sons, les
goûts, la chaleur se propagent jusqu'à notre esprit par l'intermédiaire de nos
nerfs qui canalisent ces particules.
La faim, la soif, le sommeil, la veille, le
rêve se produisent de la même manière : un déplacement d'esprits animaux à
l'intérieur des canalisations de la machinerie complexe de notre corps.
Il existe
cependant une différence de mille entre un corps humain et un corps animal.
Aucun animal n'use jamais de signes,
ou d'un quelconque langage pour exprimer une pensée.
On peut concevoir un automate qui réponde par la parole à
certains messages simples : crier si on le touche, ou prononcer quelques phrases simples, mais aucun automate ne
sera jamais en mesure d'agencer une parole qui réponde au sens de ce qu'on lui dit.
Enfin, si un corps animal ou un
automate peut accomplir un nombre limité de tâches, parfois même mieux que nous, il ne peut aller au-delà.
Ce qui
montre qu'ils agissent par la disposition de leurs organes, et non par connaissance.
Ils sont dépourvus de pensée ou
d'esprit.
Il n'y a que l'homme à disposer de cet instrument universel qu'est la raison et qui lui sert en toute
occurrence afin d'agir comme il convient.
Chaque organe de la machinerie animale, tout au contraire, est spécialisé.
Il lui faudrait - ce qui est impossible - un nombre infini d'organes pour faire autant de choses que notre raison nous
le permet.
b) Dans La connaissance de la vie, Canguilhem explique que l'apparition des théories de l'animal-machine est liée à la
construction des premiers automates, le mouvement n'est plus l'apanage du vivant, dont il constituait le trait
essentiel chez Aristote, il se mécanise, et le vivant avec.
c) A cette lecture cartésienne du vivant, qui tranchait par rapport au vitalisme aristotélicien (la matière est animé
chez Aristote, elle devient étendue géométrique chez Descartes) répond de nos jours la tentative de calquer sur le
vivant les théories de la cybernétique (on parle d'information, de connexions, de code génétique...
pour rendre
compte de l'activité organique).
Mais de telles conceptions trahissent une certaine gêne, quelle place laissent-telles à la vie ? Finalement le seul véritable vivant machine, n'est-ce pas le héro de Mary Shelley, le monstre
Frankenstein ?
II-La singularité de l'être vivant.
a) Remarquons qu'une machine ne meurt pas, ne ressent aucune douleur, bref n'existe pas en première personne.
Le
travail du mécanicien ne ressemble d'ailleurs que de loin à celui du médecin, ce dernier ne travaille pas en série,
chaque cas est unique, ce qui amenait Claude Bernard à défendre l'idée que la fréquentation des hôpitaux (la
confrontation de cas uniques) était plus formateur que l'étude directe des normes physiologiques.
Deux organismes
ne se ressemblent pas comme deux moteurs de voiture..
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