Société et répression des instincts ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
Société : association d'individus qui constitue le milieu où chacun s'intègre.
Toute espèce vivante est plus ou
moins sociale ; mais tandis que les sociétés animales sont naturelles et gouvernées par l'instinct, les sociétés
humaines, organisées selon des institutions mobiles, véhiculent une culture.
Instinct
• Comportement automatique et inconscient des animaux, sous la forme d'actions déterminées, héréditaires et
propres à une espèce, ordonnées en vue de la conservation de la vie.
• L'instinct est susceptible d'adaptation chez les animaux supérieurs.
Seul l'homme semble en être dépourvu, d'où la
nécessité de l'éducation.
A.
C'est la société qui corrompt l'homme
Dans son premier ouvrage, le Discours sur les sciences et les arts (1750), Rousseau se déclare l'ennemi de la
civilisation.
Pour lui, le progrès des sciences et des techniques a rendu l'homme vicieux et méchant, en cor-rompant
sa nature intime.
On résume souvent la thèse de Rousseau en ces termes : l'homme est bon par nature, c'est la
société qui l'a corrompu.
Ne se fera-t-il pas le champion, dans l'Émile (1762), d'une pédagogie naturaliste qui fait
confiance aux tendances spontanées de l'enfant et répond à ses besoins profonds, au lieu de le soumettre à des
contraintes artificielles ? Si Rousseau est loin de prôner le retour à un « état de nature » à jamais révolu (et qui
n'est d'ailleurs évoqué qu'à titre de « conjecture » dans le second Discours), il postule cependant l'innocence
originelle de l'humanité, laquelle aurait été corrompue par l'avènement de la société, avec tout son cortège de maux
: la propriété, la division du travail, la servitude, le despotisme, les inégalités sociales...
« Tout est bien sortant des
mains de l'Auteur des choses », écrit Rousseau au début de l'Émile; «tout dégénère entre les mains de l'homme ».
Mais il n'est pas inscrit comme un développement nécessaire que s'installent l'inégalité, l'opposition ou la licence : au
contraire, l'homme est responsable de son histoire, de son élévation comme de sa chute.
Plus il s'élève, plus il
réalise l'humanité en lui; plus il s'abaisse, plus il dégrade son humanité, au point d'atteindre une inhumanité inférieure
même à l'animalité qui est celle de l'état de nature.
Car le passage de l'état de nature à l'état civil assure pour
l'essentiel le changement de l'animal engourdi, « stupide », à l'être intelligent, capable de lier les notions.
Ce qui est
limité, borné, devient ouvert.
C'est là la définition de l'homme : un être sans limites, le contraire d'un « animal borné
», capable de dépasser toutes les bornes fixées d'abord par la nature.
Cette infinitude de l'homme est la condition
même d'un progrès indéfini.
B.
L'insociable sociabilité de l'homme
Quittant l'influence de Rousseau, pour qui tout est bon qui sort des mains du créateur, Kant donne une valeur plus
grande à la discorde, voulue par la nature, qu'à la concorde espérée par les hommes.
C'est cette contradiction
initiale qui, pour employer un vocabulaire hégélien, devient, grâce au travail du négatif, le moteur de l'histoire.
Ainsi
deux forces s'opposent en l'homme : la sociabilité qui le pousse à rechercher ses semblables et l'insociabilité qui le
porte à résister aux autres mais menace sans cesse de dissoudre la société.
Cette insociabilité résulte des
inclinations sensibles de l'homme et des passions égoïstes.
Si elle est moralement condamnable, elle est toutefois à
l'origine du développement des dispositions de la société humaine.
Elle constitue, paradoxalement, pour une société
des ferments ou des germes de progrès.
Ainsi tout se passe comme si la nature se servait de cette insociabilité pour
pousser les hommes à réaliser un état où seule la sociabilité régnerait.
Aussi Kant ironise-t-il sur une vision possible d'un état premier de l'humanité, comparable sinon au paradis, du moins
à une « bergerie » à la Fragonard.
État fondé sur un sentiment unique et universel de bienveillance.
Selon cette
vision douce et niaise, chacun serait alors en accord avec autrui (« la concorde »), chacun serait en accord avec
lui-même (« la satisfaction »).
À l'égoïsme est substitué l'amour naturel, à la violence la douceur.
Ici donc, pas
d'histoire, avec ses contradictions et ses luttes, mais la répétition à l'identique du même.
Mais du même coup, pas
de développement.
L'homme ne devient rien, il reste toujours un quelque chose qui ne vaut « guère plus » que les
bêtes de son troupeau.
Pire, un tel homme sans ressort a perdu toute animalité – car il ne vaut « guère plus » que
les bêtes de son troupeau domestique..
»
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