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SIGNIFICATION ET VALEUR DU SACRIFICE ?

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« SIGNIFICATION ET VALEUR DU SACRIFICE. Ce qui frappe d'abord dans le sacrifice c'est son aspect négatif, destructeur.

Qu'il s'agisse du sacrifice religieux primitif où le fidèle jette aux flammes des offrandes consacrées ou bien immole un être vivant, ou s'immole lui-même, qu'il s'agisse d'un sacrifice moral où nous renonçons à des plaisirs, à des avantages personnels, dans tous ces cas il semble qu'il y ait « un manquement au moins apparent aux règles du jeu de l'existence ».

Les conduites habituelles de l'être vivant sont des conduites d'appropriation ; le comportement sacrificiel est tout l'opposé ; ici il semble y avoir négation de l'universelle volonté de puissance, privation librement consentie.

perte sans compensation. Biologiquement c'est un paradoxe.

Le sacrifice se présente à nous comme une énigme qu'il faut déchiffrer. En fait le don sacrificiel dissimule peut-être un échange qui, tout compte fait, se révélera fructueux.

Le commerçant qui propose dans sa vitrine des articles « sacrifiés » à très bas prix.

limite ses bénéfices pour vendre plus rapidement et en plus grande quantité des objets qui l'encombrent.

Tout sacrifice ne masque-t-il pas un marché ? Parfois même le marché s'étale naïvement comme dans cette épisode signalé par les annales romaines.

Le pieux roi Numa marchande avec Jupiter pour épargner à ses sujets les ravages de la foudre, aux moindres frais.

Jupiter veut des têtes...

D'oignons.

s'empresse de préciser Numa.

— Non, d'hommes -- J'y joindrai des cheveux --Non, des êtres vivants J'y joindrai donc des petits poissons.

conclut Numa.

Il ne s'agit pas ici d'autre chose que des tarifs d'un marché : l'habileté du négociateur aboutit à une réduction de prix : au lieu de sacrifices humains, le dieu se contentera de victimes animales ; contre ce salaire il promet son intervention ou son abstention. La vie morale, selon Bentham.

ne comporte elle-même que des sacrifices de cet ordre ; l'éthique pose en effet un problème arithmétique ; comme le dit Bentham.

« le bonheur est la plus grande somme de plaisirs diminuée de la plus petite somme de douleurs dans une existence complète ».

L'agent moral n'est qu'un habile comptable qui envisage les plaisirs sur toutes leurs dimensions : il y a e l'intensité » du plaisir mais aussi la « durée », la proximité (un plaisir peut être à portée de la main ou au contraire lointain), la pureté (un plaisir est pur quand il n'est pas mêlé de douleur).

Il faut donc bien souvent choisir, c'est-à-dire sacrifier quelque avantage ; par exemple on n'hésitera pas à sacrifier un plaisir intense pour un plaisir plus durable, un plaisir lointain pour un plaisir proche.

Sans doute faut-il aussi tenir compte des autres, mais le principe reste le même.

Comme le dit Hutcheson, « l'action la meilleure est celle qui procure le plus grand bonheur au plus grand nombre de gens ».

Donc on n'hésitera pas, à l'occasion, à sacrifier son intérêt propre si, tous calculs faits, il en résulte un accroissement de bonheur pour l'humanité tout entière ; mais il faut que la perte soit payée d'un gain supérieur sans quoi « le bilan moral n serait négatif.

Comme le dit Bentham lui-même : « Si pour procurer à quelqu'un une certaine somme de plaisir un homme renonce pour luimême à une somme de plaisir plus considérable ce n'est pas là vertu mais folie, c'est un faux calcul, car la somme du bonheur général s'en trouverait diminuée ». Seulement tout le monde voit bien que cette façon de justifier le sacrifice équivaut purement et simplement à une négation du sacrifice.

Comme le dit M.

Jankélévitch, "Le sacrifice n'est pas un marché c'est un abandon total ou ce n'est pas.

Il se situe sur le plan non de la relation, mais de l'absolu".

Tout à l'opposé de la réduction éidétique des phénoménologues (qui dégage la signification profonde des essences et des valeurs) la réduction psychologique des empiristes e 4 une entreprise de démolition.

C'est démolir le sacrifice que de le ramener à ce qui est exactement son contraire, c'est-à-dire à la ruse d'une conscience intéressée : « Les mortifications que notre intérêt nous impose ne sont que des succédanés négatifs du sacrifice, la diète ne se confond pas avec la vertu.

» Historiquement, la thèse qui réduit les sacrifices religieux primitifs à des conduites mercantiles est d'ailleurs un contresens.

Accidentellement le sacrifice religieux a pu prendre cette signification, mais l'interprétation mercantiliste est ici une projection naïve de l'utilitarisme moderne — lié au capitalisme et à la promotion de u l'homo oeconomicus sur une mentalité primitive qui est en réalité.

comme l'ont montré Mauss ou Leenhardt, bien différente.

La pratique du don a précédé dans le temps la pratique de l'échange, l'échange lui-même, chez les primitifs, ne s'opère pas dans le cadre de l'individualisme propre aux sociétés industrielles évoluées; l'individu vit dans un climat de « participation », il est intimement mêlé à la société et aux puissances cosmiques.

L'explication du sacrifice ne paraît donc pas relever des catégories de la mentalité utilitaire. Mais.

si nous refusons une justification intéressée du sacrifice, celui-ci risque de nous apparaître comme une absurdité.

Il semble que nous aboutissions à ce dilemme : ou bien le sacrifice est un marché (mais alors ce n'est plus un sacrifice) ou bien il est une folie.

Guyau cite le cas de ces mineurs qu'il fallait empêcher de descendre dans la fosse et qui voulaient aller rejoindre des camarades victimes du « grisou ».

Ceux-ci étaient perdus sans espoir : leurs compagnons en allant les retrouver seraient morts à leur tour, sans leur porter secours.

Un tel sacrifice est esthétiquement admirable, mais moralement injustifiable.

La maxime du sacrifice n'est pas, pour parler le langage de Kant, susceptible d'être « universalisée ».

Comme le dit un philosophe genevois, Gourd, « se représente-t-on un monde où l'un renoncerait à sa santé, l'autre à son droit, tous à quelque urgente condition de l'existence : quelle désorganisation, quel contresens ! n Simone Weil, pendant que les Allemands occupaient la France.

se rend en Angleterre auprès du Général de Gaulle.

Elle décide de ne prendre comme aliments que l'équivalent des rations qui sont accordées officiellement aux Français sous l'occupation.

Elle ruine sa santé et meurt avant la Libération. Un tel sacrifice- qui au demeurant ne sauve personne de la faim ne fait qu'ajouter un malheur à d'autres malheurs. On peut donc penser que la catégorie du sacrifice appartient beaucoup plus à la pensée magique qu'à une éthique rationnelle.

Le tyran de Samos, Polycrate, qui se trouve trop heureux et qui craint que les dieux ne châtient cet « hubris », jette à la mer une bague très précieuse, à laquelle il tient beaucoup.

Il la retrouve, comme on sait, dans le ventre d'un poisson et se désespère alors que les dieux rejettent sa parade magique.

Jean Genet raconte dans son «Journal du Voleur » qu'avant de commettre ses forfaits il cherche à « charmer les puissances inconnues de qui semble dépendre la réussite de l'aventure ; je donne plus et mieux aux mendiants du métro, je cède ma place aux vieillards; j'aide les aveugles à traverser les rues ».

En somme il tente de séduire le dieu des voleurs par des B.

A.

de boy-scout ! Le sacrifice magique relève ici purement et simplement de la psychiatrie ; on pense à ce « bilanisme ». »

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