Si la vie était belle y aurait-il de l'art ?
Extrait du document
«
Pour traiter ce sujet, vous devez d'abord remarquer qu'il comporte un présupposé, à savoir que la vie est n'est pas
belle.
Pour comprendre cette affirmation, vous devez proposer une définition de la beauté.
La beauté est classiquement définie comme ce qui procure un plaisir sensible tout en étant irréductible à l'ordre du
plaisir subjectif.
Lorsque nous disons d'une fleur qu'elle est belle, nous n'énonçons pas à son sujet le même type de
jugement que lorsque nous disons qu'elle sent bon.
Le beau apparaît donc comme « ce qui plaît universellement
sans concept » (Kant).
En effet, le jugement esthétique revient à affirmer un plaisir subjectif dans une proposition
qui s'universalise.
Or, ce type de jugement ne semble pas réservé au domaine de l'art, au contraire de ce que semble présupposer le
sujet.
Devant une oeuvre de la nature, ou devant un événement particulier de notre existence, nous prononçons
souvent un jugement de ce type.
La question qui revient à se demander si l'absence de beauté dans la vie est la cause de l'existence de l'art semble
donc viciée.
Bien au contraire, on pourrait affirmer que l'art vise à imiter la beauté de la nature, à fixer la beauté que nous
trouvons parfois dans l'existence.
Cependant, cette conception pose problème et nous permet de revenir sur la justesse de la question posée.
En premier lieu, il s'agit de voir que l'art n'est pas une simple copie de la réalité, sa simple imitation mais le lieu d'une
représentation particulière et originale de cette dernière.
De plus, si nous prononçons parfois un jugement esthétique sur notre existence, il apparaît que ce sentiment n'est
pas destiné à durer.
La lucidité face à la vie nous conduit souvent à ressentir de l'angoisse face à l'absurdité de
notre condition.
L'art serait donc effectivement lié à cette absence de sens, et la vision particulière qu'il propose de la vie serait lié
au besoin de nous rassurer face à l'absurde de notre condition.
Il est cependant réducteur de considérer l'art comme une activité simplement rassurante, source d'illusions.
D'ailleurs, de nombreux exemples nous conduiraient à nuancer cette conception.
Ainsi, la peinture baroque,
notamment les tableaux que nous nommons « vanités » ne semblent pas destinés rassurer l'homme mais bien plutôt
à le rendre lucide sur la précarité de sa condition.
Comment, dès lors, comprendre le rôle de l'art si nous refusons de le considérer comme une activité visant à nous
rassurer en nous donnant une vision idéalisée de la vie ?
Pour répondre à ce problème, il nous faut revenir sur la notion de beauté.
La beauté est en en effet moins ce qui
nous procure un plaisir que ce qui fait sens universellement.
Ce qui distingue le beau de la simple sensation agréable
est cette portée signifiante et intellectuelle.
Dès lors, le rôle de l'art serait moins de suppléer à la difficulté de notre existence que de nous proposer un sens de
cette dernière.
L'absence de beauté de la vie serait ainsi moins une absence de plaisir qu'une absence de sens dans
notre existence quotidienne, absence à laquelle l'art remédierait.
En effet, dans notre rapport au monde quotidien se voile souvent notre interrogation face à ce dernier.
Notre
existence semble marquée par un oubli du sens, oubli que l'art tenterait de dépasser en proposant de dégager du
sens dans le monde qui nous entoure.
Affirmer que l'art naît dans l'absence de beauté de la vie ne revient donc pas à le considérer comme une activité
générant l'illusion rassurante d'un monde idéalisé.
Cette affirmation revient au contraire à affirmer que l'art pourvoit
du sens, souvent critique, dans notre existence marquée par son oubli.
Il serait dès lors possible d'affirmer que si nous pouvons affirmer parfois que notre existence est belle, c'est dans la
mesure où nous pouvons avoir un regard artistique sur cette dernière, à savoir un regard attentif au sens que nous
pouvons en dégager.
Bien plus il serait justifiable d'affirmer que si certains moments, certains paysages nous apparaissent comme beau,
c'est dans la mesure où nous y retrouvons certains traits d'oeuvres d'art consacrées par notre culture, à savoir un
sens particulier auquel ces oeuvres nous ont rendus attentifs.
Edgar Poe souligne ainsi que le brouillard londonien ne
semblerait pas beau à ses contemporains si le peintre Turner n'en avait pas proposé une vision particulière et
signifiante dans ses tableaux.
Il apparaît donc que c'est l'art lui-même, comme l'activité d'un regard particulier sur le monde, qui pourvoit du sens
dans l'existence, et que sans l'art nous ne parlerions peut-être pas de beauté.
1) L'art, comme représentation particulière de la réalité générant un plaisir détaché peut contribuer à
rassurer l'homme face à la difficulté de son existence.
À travers l'art, l'homme peut contempler une vision
idéalisée de la vie, source d'un agrément qui dans son existence quotidienne n'est jamais durable.
« La nature semble agir pour elle-même, l'artiste agit en tant qu'homme, pour le bien des hommes.
Parmi tout ce
que la nature nous offre au cours de notre vie, nous ne choisissons qu'avec parcimonie ce qui est désirable et
agréable.
Tout ce que l'artiste offre à l'homme doit être entièrement à la portée des sens et leur être agréable, cela
doit être stimulant et attrayant, procurer jouissance et satisfaction, être nourrissant et formateur pour l'esprit et
être capable de l'élever.
Et ainsi l'artiste, reconnaissant envers la nature qui l'a créé lui aussi, lui rend-il une
deuxième nature, mais une nature sentie, pensée et humainement parfaite.
» Goethe
Si nous n'avions approuvé les arts et inventé cette sorte de culte du non-vrai, nous ne saurions du tout supporter.
»
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