Sens et compréhension ?
Extrait du document
«
Les acceptions du mot « sens » sont nombreuses et diverses.
Quel rapport, en effet, entre les « organes des sens
», le « sens des réalités », le « sens des affaires », le « sens moral ou esthétique » ? Nous pourrions avancer qu'il
s'agit toujours de moyens de connaissance, de compréhension.
Celui qui a le « sens des réalités », par exemple,
manifeste un pouvoir de saisir le cours des choses.
Il saisit à la fois la signification et la direction de la réalité (res :
chose, en latin).
Mais qu'en serait-il du sens s'il n'y avait pas une conscience pour le saisir ? Le « bon sens » serait-il alors cette
faculté qui, par son activité propre, rendrait possible la saisie de l'unité du « sens » qui, pourtant, nous est d'abord
apparu multiple ?
Sens et fait
Lorsque nous disons, par exemple, que « les faits parlent d'eux-mêmes », nous voulons dire qu'il n'y a pas besoin de
chercher un sens autre que celui qu'ils présentent.
Le sens paraît pris dans le fait lui-même, qui délivre son sens
pour une conscience attentive.
Ainsi, une personne prise en « flagrant délit » semble ne pas pouvoir échapper au
sens de la situation où elle a été prise, car celui-ci la dépasse et l'enveloppe à la fois.
Le sens s'offre alors comme
une évidence.
Toutefois faut-il en rester à une constatation aussi brève ? La justice ne doit- elle pas chercher
également la raison du sens, le « flagrant délit » n'étant pas suffisant pour expliquer le sens total de la situation ?
Le fait ne dit pas tout.
Il ne parle que parce que nous l'interrogeons.
Le sens de l'événement, qui paraissait
immédiat, est toujours insuffisant et peut même nous tromper.
Avoir le « sens des réalités » n'est donc pas seulement recueillir un sens qui existe sans nous : c'est « en un certain
sens » orienter la réalité.
La capacité de donner une signification présuppose que la réalité est obscure ou confuse.
Le fait est toujours relatif à une conscience qui le questionne et cherche à l'interpréter, parce qu'il n'est pas clair et
distinct.
Sens et conscience
Parce qu'elle est productrice du sens, la conscience manifeste son intention de signifier.
Le langage en est le
meilleur exemple : il permet à l'homme une appropriation symbolique du monde qui le fait exister comme signe.
La
conscience est donc déterminante dans l'existence du sens, toujours lié à un signe médiateur entre nous et la
réalité.
Il caractérise une conscience qui vise le réel pour lui donner forme (signifier, informer).
Le réel dans son ensemble n'est pas seulement un champ de signes à déchiffrer : il semble en attente du sens que
peut lui donner une conscience.
Le sens suppose toujours un rapport entre la manière dont nous saisissons le réel et
ce réel lui-même.
Toutefois, si nous devons déchiffrer le réel, c'est qu'il n'est pas univoque.
La conscience vient
donc compléter le sens inachevé de la réalité, en le jugeant, en lui donnant une orientation qui lui est propre.
Qu'en
est-il alors de la vérité du sens ?
Sens et intuition
Qu'est-ce que posséder le « sens des réalités » ? C'est avoir l'intuition juste du cours de la réalité, être capable
d'ajuster son action à ce que le réel attend de nous, être capable d'une décision ferme et cohérente avec les
exigences du réel.
Par exemple, l'homme politique qui est capable d'accorder son action avec ce que la situation
historique semble lui commander, a le « sens des réalités ».
Même chose avec le « sens des affaires ».
Celui qui le
possède parvient toujours à saisir le cours des affaires, et donc à en épouser le développement possible.
Dans les
deux cas, posséder un tel sens, c'est jouir d'un pouvoir supérieur, qui permet anticipation et prévoyance.
La notion
est aussi liée à l'avantage que l'on peut tirer de ce pouvoir : celui qui possède le « sens des affaires » possède un
temps d'avance sur ceux qui ne l'ont pas et peut donc orienter la situation en sa faveur.
Une telle capacité semble
donc se présenter comme un début de connaissance des événements.
Sens et signe
Cependant le signe d'une chose n'est pas la chose.
Il y a entre eux une distance, et donc une incertitude qui
autorise une interprétation.
Le signe prête un sens au réel.
L'historien qui interprète des événement passés produit
un sens possible du cours des événements passés.
L'incertitude fait partie intégrante de l'acte d'interpréter.
Interpréter, c'est toujours donner une certaine direction parmi une multiplicité de possibles.
L'interprétation du sens
est relative à l'ambiguïté de la réalité.
Si nous n'avions aucun doute sur la compréhension du sens d'une action,
d'une conduite, d'un événement, il n'y aurait pas besoin d'interpréter.
La vérité doit être univoque.
Mais la réalité ne
l'est jamais : elle se prête à notre manière de lui donner un sens.
Nous pouvons même donner du sens à ce qui n'est
pas encore connu de nous : c'est le cas lorsque nous parlons d'un sens caché.
Il ne l'est jamais tout à fait, puisque
nous supposons son existence.
Il nous revient de le démasquer ou de le révéler.
La psychanalyse nous en offre
l'exemple remarquable : le névrosé est victime d'un sens qui lui échappe encore.
Le soin prend la forme d'une quête
de sens, là où il pensait qu'il n'y avait rien à dire.
C'est pourquoi dire qu'une chose « n'a pas de sens », c'est moins
affirmer l'absence d'un sens que refuser d'en produire un.
Une quête n'assure jamais une possession certaine ni même durable.
Mais elle rend possible la circulation du sens et,
par conséquent, la vie de l'esprit..
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