Se sentir obligé, est-ce renoncer à sa liberté ?
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Introduction
« Je suis libre quand je suis dans mon propre élément » écrit Hegel en introduisant ses Leçons sur l'histoire
de la philosophie.
Il signifie par là que la liberté est un état, l'état de l'individu qui agit conformément à sa volonté
et, de fait, qui ne subit aucune contrainte.
Dès lors, on peut penser que l'obligation, entendue comme l'incitation
extérieure et nécessaire à commettre un acte, s'oppose à la liberté ; on dit souvent des actes commis par obligation
qu'ils n'auraient jamais été accomplis si on avait eu le choix.
L'obligation est souvent la seule raison que l'on trouve
à l'accomplissement d'un acte.
Ainsi le devoir semble avoir comme principal aspect l'impossibilité, pour l'agent, de
faire autrement, d'accomplir un autre acte, ou même de ne pas l'accomplir.
C'est cette absence pure et simple de
choix qui paraît être l'antagoniste du libre arbitre, ce dernier étant justement compris comme la possibilité pour
l'individu de décider comme, et quand, il le souhaite de ses actes.
Faut-il pour autant conclure à l'exclusion de toute forme de liberté lorsqu'il est question de devoir ? La liberté
est-elle réellement l'absence totale de toute forme de contrainte ? Si c'est le cas, peut-on vraiment prétendre avoir
jamais commis un seul acte libre ? Inversement est-il correct de dire que l'on accepte un devoir, et donc que l'on s'y
soumet librement ?
On le comprend, s'il est facile d'opposer l'obligation à la liberté, du point de vue de leur définition mutuelle, il
semble qu'au sein du domaine pratique, ces deux notions, sans aller de paire ne s'excluent peut-être pas
totalement ; c'est ce qu'il s'agit d'étudier au sein de cette réflexion.
I.
La liberté est une illusion.
Renoncer à sa liberté c'est accepter sa condition d'homme
selon Spinoza.
On peut dire que Spinoza admet une définition de la liberté similaire à celle
présentée dans l'introduction ; il écrit dans ses Correspondances : « Je dis
que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa
nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister
et à agir selon une modalité précise et déterminée ».
Or pour le philosophe, l'homme ne peut pas être dit libre précisément parce
qu'il n'agit jamais qu'en raison de causes extérieures qu'il refuse de voir.
Ainsi,
il est mu par ses désirs, et s'il pense agir selon sa volonté et choisir ce qu'il
fait, en réalité c'est toujours le désir le plus fort qui le pousse à agir.
L'homme
est une créature parmi d'autres, il est un animal qui subit sa naturalité.
« Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et
qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et
ignorants des causes qui le déterminent » conclut ainsi Spinoza.
Dans cette perspective, on peut dire que se sentir obligé c'est admettre les
causes qui nous poussent à agir.
Par là, ressentir la nécessité que l'homme
subit c'est faire le premier pas vers la libération de ce préjugé inné qu'est
celui de liberté.
II.
Mais alors on peut comprendre l'acte libre comme celui accompli
en toute connaissance de cause.
A la différence de Spinoza, Descartes affirme que la seule preuve que l'on a de l'existence de la liberté c'est
l'expérience qu'on en fait ( voir le paragraphe 39 des Principes de la philosophie).
Mais, selon lui, si je ressens une
volonté infinie en moi -je peux vouloir ou ne pas vouloir une infinité de choses- reste que la liberté se situe non pas
dans l'indifférence, mais bien dans l'engagement, c'est-à-dire dans la prise de décision de l'agent.
Ainsi, dans la Médiation Quatrième (Méditations Métaphysiques) le philosophe français écrit : « Car afin que je sois
libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires ; mais plutôt d'autant
plus que je penche vers l'un […] d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse ».
Donc, si se sentir obligé signifie l'inclination que l'homme ressent parfois -quand par exemple il veut faire le bien et
qu'il sait que tel acte l'y mènera- alors c'est l'expression même de la liberté que d'obéir ou de suivre cette obligation.
Être libre dans ce cas c'est décider et s'engager en toute conscience de son acte, et non pas sentir que l'on peut y
renoncer.
La puissance que nous vivons en nous-mêmes et qui vise la liberté n'est pas nécessairement celle de la passion
destructrice et violente.
Dans ses Méditations, Descartes reconnaît en lui sa volonté "si grande que je ne conçois
point l'idée d'aucune autre plus ample et plus étendue".
En cet infini pouvoir de la volonté que nous expérimentons
en nous-mêmes, il voit la marque et la ressemblance de Dieu.
La liberté humaine est infinie, à l'image de la puissance
infinie de notre volonté.
Il n'appartient qu'à nous d'affirmer ou de nier, de faire ou de ne pas faire, de poursuivre ou
de fuir tout ce que nous voulons.
La liberté n'est pas un état d'indifférence dans lequel je suis plongé lorsque toutes
les contraintes sont absentes — car en ce cas je ne choisis pas ou bien je choisis au hasard —, mais bien dans
l'acte volontaire par lequel je donne mon assentiment ou je le refuse.
Nous serons donc d'autant plus libres que nous
agirons en raison, c'est-à-dire en connaissance de cause.
Plus la connaissance des conséquences et des effets de
nos actes nous est claire, plus notre volonté trouve de facilité à s'exercer dans ses jugements.
Si la volonté est une
puissance infinie, la raison en est le seul guide pour la bien conduire..
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