Sartre: Perception et concept d'objet.
Extrait du document
«
Dans la perception j'observe les objets.
Il faut entendre par-là que l'objet, quoiqu'il entre tout entier dans ma
perception, ne m'est jamais donné que d'un côté à la fois.
On connaît l'exemple du cube : je ne puis savoir que c'est un
cube tant que je n'ai pas appréhendé ses six faces ; je puis à la rigueur en voir trois à la fois, mais jamais plus.
Il faut
donc que je les appréhende successivement.
Et lorsque je passe, par exemple de l'appréhension des faces A BC à celle
des faces BCD, il reste toujours une possibilité pour que la face A se soit anéantie durant mon changement de position.
L'existence du cube demeurera donc douteuse.
En même temps nous devons remarquer que lorsque je vois trois faces
du cube à la fois, ces trois faces ne se présentent jamais à moi comme des carrés : leurs lignes s'aplatissent, leurs
angles deviennent obtus, et je dois reconstituer leur nature de carrés à partir des apparences de ma perception.
On doit apprendre les objets, c'est-à-dire multiplier sur eux les points de vue possibles.
L'objet lui-même est la
synthèse de toutes ces apparitions.
Lorsque, par contre, je pense au cube par un concept, je pense ses six côtés et ses huit angles à la fois ; je pense que
ses angles sont droits, ses côtés carrés.
Je suis au centre de mon idée, je la saisis tout entière d'un coup.
Cela ne veut
naturellement pas dire que mon idée n'ait pas besoin de se compléter par un progrès infini.
Mais je puis penser les
essences en un seul acte de conscience ; je n'ai pas à rétablir d'apparences, je n'ai pas d'apprentissage à faire.
Telle
est sans doute la différence la plus nette entre la pensée et la perception.
Sartre, L'Imaginaire.
I.
L'analyse du texte
a) Les articulations logiques
1re partie du texte -> Sartre analyse notre perception des objets («Dans la perception...
à la fois.») et la définit à partir de l'étude d'un cas précis («On
connaît...
de ma perception.»).
2e partie du texte -> cette analyse le conduit à donner une définition de ce que l'on appelle quotidiennement «un objet» («On
doit apprendre...
toutes ces apparitions.»).
3e partie du texte -> Sartre distingue clairement le concept et l'objet, la perception et la pensée, à l'aide de critères simples («Lorsque, par contre...
la
perception.»).
b) Les notions clés
Objet -> tout ce qui est placé devant le sujet, ou situé dans son champ perceptif.
Synthèse diversité.
Concept - définition d'un ensemble d'objets par leurs propriétés caractéristiques.
unification d'une multiplicité ; rassemblement d'une
Essence -> définition d'un être par ses attributs nécessaires et purement intelligibles.
Perception -> connaissance d'un objet par les sens et l'imagination.
Penser -> connaissance d'un concept par l'entendement et la raison.
c) Le problème et la thèse
• Qu'est-ce qu'un objet? Qu'est-ce qu'une idée? Qu'est-ce qui distingue la perception et la pensée? C omment effectuons-nous ces actes dans le temps?
• Pour Sartre, percevoir n'est pas penser.
Tandis que la perception opère par saisies successives de l'objet dans le temps, la pensée opère instantanément
et nous installe au centre de l'idée.
La perception aspire à reconstituer une unité à partir d'une diversité, tandis que la pensée aspire à explorer la diversité
de l'unité qu'elle connaît.
C hacun de ces actes est l'horizon de l'autre.
2.
Le plan détaillé
I.
Un objet se prend et s'apprend, tandis qu'un concept se pense et se comprend.
a) Sartre note qu'il existe une infinité de points de vue possibles sur un même objet.
Nous l'appréhendons en les parcourant successivement dans le temps.
L'objet est la synthèse de ces perceptions.
b) Le sens d'une idée se comprend en revanche immédiatement, de façon intuitive.
Il se donne dans l'instant, même s'il se conclut d'un raisonnement ou
fournit l'occasion d'en développer un.
c) Sartre montre ainsi que la perception et la pensée correspondent à deux façons qu'a la conscience de se rapporter au monde.
Ce sont deux visées
différentes.
II.
Quel rapport existe-t-il entre nos perceptions et nos pensées ?
a) Kant fait de l'imagination une interface entre la sensibilité et l'entendement, qui permet aux concepts de s'appliquer aux données des sens.
b) Sartre voit dans l'imaginaire une visée de la conscience tournée vers l'irréel, non une faculté rapportant des sensations à des concepts.
Conclusion
Une perception n'est ni une image ni une idée.
3.
Le texte dans le débat philosophique
Sartre introduit le courant phénoménologique (Husserl, Heidegger) en France.
C omme Merleau-Ponty ou Lévinas, il étudie les visées intentionnelles de la
conscience.
4.
Ce qu'il ne faut pas faire
S'étendre sur l'exemple (la description du cube) en oubliant l'argument (l'analyse générale de la perception)..
»
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