SARTRE: «Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes [...], nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre...»
Extrait du document
«
PRESENTATION DE "L'EXISTENTIALISME EST UN HUMANISME" DE SARTRE
Marqué comme oeuvre de circonstance et de vulgarisation, le texte est tiré d'une conférence donnée à Paris en
Octobre 1945, qui devait donner l'occasion à Sartre (1905-1980) de répondre à une série d'objections.
Il montre que
les accusations d'anti-humanisme sont infondées, car sa philosophie ne conduit en rien au mépris de la réalité humaine
et de sa valeur.
La définition annoncée par le titre est donc en réalité la défense d'une philosophie existentialiste dans
sa version athée.
L'existentialisme' est un courant philosophique, émergeant avec Kierkegaard au XIXe siècle ; son trait
caractéristique est d'enraciner l'investigation philosophique dans la considération de l'existence, humaine en particulier.
Sartre résume le projet existentialiste en le ramenant à « un effort pour tirer toutes les conséquences d'une position
athée cohérente ».
Je connais autrui en même temps que moi—même.
«Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes [...], nous nous atteignons
nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes.»
Sartre, L'Existentialisme est un humanisme (1946).
• Sartre critique l'hypothèse solipsiste de Descartes.
L'existence d'autrui, pour lui, ne peut
pas faire l'objet d'une démonstration car le «moi» qui effectuerait cette démonstration ne
se connaît lui-même qu'en même temps qu'il connaît autrui.
• En effet pour Sartre, «l'autre est indispensable à mon existence aussi bien qu'à la
connaissance que j'ai de moi»: je ne peux parler de moi-même et prendre conscience de
moi-même que par rapport au regard qu'autrui porte sur moi.
L'intersubjectivité, c'est-àdire la structure commune à moi et autrui, est première par rapport à ma subjectivité.
• C'est pourquoi je ne peux pas sérieusement mettre en doute l'existence d'autrui.
Ce qui
ne signifie pas que je sois toujours d'accord avec lui ou que je ne puisse pas le maltraiter.
« Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la
philosophie de Kant, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est
aussi certain pour nous que nous-mêmes.
Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les
autres et il les découvre comme la condition de son existence.
Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on
dit qu'on est spirituel ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel.
Pour
obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre.
L'autre est indispensable à mon existence, aussi
bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi.
Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en
même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense et qui ne veut que pour ou contre moi.
Ainsi, découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l'intersubjectivité et c'est dans ce monde que
l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres.
En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe
pourtant une universalité humaine de condition.
Ce n'est pas par hasard que les personnes d'aujourd'hui parlent plus
volontiers de la condition de l'homme que de sa nature.
Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté
l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l'univers.
Les situations historiques varient
: l'homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire.
Ce qui ne varie pas, c'est la
nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu des autres et d'y être mortel.
(...) En
conséquence, tout projet, quelque individuel qu'il soit a une valeur universelle.
» SARTRE.
Le sujet n'est que relativement à autrui
Dans la tradition du « je pense » (Descartes), ce qui est atteint est une subjectivité « rigoureusement individuelle ».
Avec le cogito existentialiste, on ne se découvre « pas seulement soi-même, mais aussi les autres ».
En nous
atteignant, nous nous atteignons « en face » de l'autre.
D'un autre qui semble avoir été déjà là, puisque nous le
trouvons par le mouvement même où nous nous trouvons.
Et, en découvrant cet autre qui est en face de nous, nous
découvrons en même temps tous les autres, comme si tous les autres eux aussi étaient déjà là.
Enfin, remarque ultime,
cet autre n'est pas le simple alter ego du sujet qui se découvre dans le cogito.
Il est ce qui conditionne le sujet.
Le
sujet n'est plus, comme dans les philosophies traditionnelles, un absolu ; il n'est que relativement par rapport à autrui.
La reconnaissance d'autrui
D'emblée, nous nous croyons d'abord, peut-être, seul au monde.
Et si nous reconnaissons vite que nous ne sommes
pas seuls au monde, nous croyons pourtant que c'est autour de nous que le monde se constitue, comme si, en tant
que sujet, nous étions le centre autour duquel tout devait se dis-poser.
Mais à mieux examiner sa situation, le sujet se
rend compte qu'il n'a pas d'être en tant que tel, mais que, pour être, il est totalement dépendant d'autrui, de son
existence, de son jugement, de son approbation.
Sartre en donne des exemples concrets.
Tout ce qui semble faire un
caractère (être jaloux), tout ce qui semble faire une qualité qu'on se serait appropriée (être intelligent), ou un défaut
qu'on revendique (être méchant) n'est pas une propriété dont on disposerait d'abord et une fois pour toutes.
Il y faut
la reconnaissance d'autrui..
»
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