Sartre: L'enfer, c'est les autres
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«
Thème 493
Sartre: L'enfer, c'est les autres
1.
« L'enfer c'est les autres »
Cette célèbre formule de Huis clos est présentée de façon plus théorique dans L'Être et le
Néant.
Les autres existent autour de moi et viennent remettre en cause la liberté de ma
conscience.
Et si autrui est un objet pour moi, je suis moi-même un objet pour autrui :
autrui me chosifie par son regard, il me « vole le monde », ce monde dont je croyais être
jusqu'à présent le centre.
Le conflit est ainsi le mode premier du rapport à autrui, mais
également l'essence des relations entre les consciences : dans l'amour, par exemple, une
conscience demande à l'autre sa liberté.
2.
La remise en question du sens
Cependant, la notion de groupe permet de penser des formes d'actions collectives dans
l'histoire.
Sartre oppose l'unité apparente de la « série » (une file d'attente, par exemple,
qui rassemble des individus qui sont tous là pour des besoins différents) à celle du groupe,
unité réelle d'individus participant à une action commune.
Cette nouvelle relation à autrui
permet de comprendre l'histoire comme action de la liberté humaine.
Ma chute originelle, c'est l'existence de l'autre...
Sur la question d’autrui, Sartre souligne que seul Hegel s’est vraiment intéressé à l’Autre, en tant qu’il est celui par
lequel ma conscience devient conscience de soi.
Son mérite est d’avoir montré que, dans mon être essentiel, je
dépends d’autrui.
Autrement dit, loin que l’on doive opposer mon être pour moi-même à mon être pour autrui, « l’êtrepour-autrui apparaît comme une condition nécessaire de mon être pour moi-même » : « L’intuition géniale de Hegel est
de me faire dépendre de l’autre en mon être.
Je suis, dit-il, un être pour soi qui n’est pour soi que par un autre.
»
Mais Hegel n’a réussi que sur le plan de la connaissance : « Le grand ressort de la lutte des consciences, c’est l’effort
de chacune pour transformer sa certitude de soi en vérité.
» Il reste donc à passer au niveau de l’existence effective
et concrète d’autrui.
Aussi Sartre récupère-t-il le sens hégélien de la dialectique du maître et de l’esclave, mais en
l’appliquant à des rapports concrets d’existence : regard, amour, désir, sexualité, caresse.
L’autre différence, c’est que
si, pour Hegel, le conflit n’est qu’un moment, Sartre semble y voir le fondement constitutif de la relation à autrui.
On
connaît la formule fameuse : « L’enfer, c’est les autres ».
Ce thème est développé sur un plan plus philosophique dans
« L’être & le néant ».
Parodiant la sentence biblique et reprenant l’idée hégélienne selon laquelle « chaque conscience
poursuit la mort de l’autre ».
Sartre y affirme : « S’il y a un Autre, quel qu’il soit, quels que soient ses rapports avec
moi, sans même qu’il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j’ai un dehors, une nature ; ma
chute originelle, c’est l’existence de l’autre… »
J’existe d’abord, je suis jeté dans le monde, et ensuite seulement je me définis peu à peu, par mes choix et par mes
actes.
Je deviens « ceci ou cela ».
Mais cette définition reste toujours ouverte.
Je suis donc fondamentalement libre «
projet », invention perpétuelle de mon avenir.
Et je suis celui qui ne peut pas être objet pour moi-même, celui qui ne
peut même pas concevoir pour soi l’existence sous forme d’objet : « Ceci non à cause d’un manque de recul ou d’une
prévention intellectuelle ou d’une limite imposée à ma connaissance, mais parce que l’objectivité réclame une négation
explicite : l’objet, c’est ce que je me fais ne pas être… »
Or je suis, moi, celui que je me fais être.
Et c’est précisément parce que je ne suis que pure subjectivité et liberté, que
le simple surgissement d’autrui est une violence fondamentale.
Peu importe qu’il m’aime, me haïsse ou soit indifférent à
mon égard.
Il est là, je le vois et je découvre que je ne suis plus centre du monde, sujet absolu.
Il me voit, et avec
son regard s’opère une métamorphose dans mon être profond : je me vois parce qu’il me voit, je m’appréhende comme
objet devant une transcendance et une liberté.
Si chaque conscience est une liberté qui rêve d’être absolu, elle ne peut que chercher à transformer la liberté de
l’autre en chose passive.
Sartre illustre d’abord ce conflit à travers l’expérience du regard.
Qu’est-ce qui, en effet, me
dévoile l’existence d’autrui, sinon le regard ? Si je regarde autrui, ce dernier me regarde aussi.
C’est la raison pour
laquelle Sartre envisage les deux moments.
Dans un premier moment, je vois autrui.
Imaginons : « Je suis dans un jardin public.
Non loin de moi, voici une pelouse
et, le long de cette pelouse, des chaises.
»
Situation paisible.
Le décor est neutre, la trame est inexistante : « Un homme passe près des chaises.
Je vois cet
homme… »
Finie la quiétude ! Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne le saisis pas seulement comme un objet, mais aussi et
en même temps comme un homme.
Si je pouvais penser qu’il n’est rien d’autre qu’un objet, un automate, par exemple,
je le saisirais « comme étant « à côté » des chaises, à 2,20 m de la pelouse, comme exerçant une certaine pression
sur le sol, etc.
».
Autrement dit ce ne serait pour moi qu’un objet comme les autres, qui s’ajouterait aux autres : «
Cela signifie que je pourrais le faire disparaître sans que les relations des autres objets entre eux soient notablement
modifiées.
En un mot, aucune relation neuve n’apparaîtrait par lui entre ces choses de mon univers… »
Le saisir comme homme, qu’est-ce que cela signifie, sinon saisir une « relation non additive » des objets à lui, une
nouvelle organisation des choses de mon univers autour de cet objet privilégié ? Autrement dit, avec l’apparition
d’autrui dans mon champ de vision, une spatialité se déploie qui n’est pas ma spatialité, un autre centre du monde
apparaît et du même coup un autre sens du monde.
Les relations que j’appréhendais entre les objets de mon univers se
désintègrent : « L’apparition d’autrui dans le monde correspond donc à un glissement figé de tout l’univers, à une
décentration du monde qui mine par en dessous la centralisation que j’opère dans le même temps.
».
»
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