Sartre fait dire à un de ses personnages : « IL N'Y AVAIT QUE MOI : J'AI DÉCIDÉ SEUL DU MAL. SEUL J'AI INVENTÉ LE BIEN ». Pensez-vous que l'individu puisse créer librement ses valeurs ?
Extrait du document
«
Dans Le Diable et le bon Dieu, Goetz, reître pillard et cruel, décide soudain,
par un acte de pure liberté- de devenir un saint, un soldat de Dieu.
Cet
épisode illustre clairement la théorie sartrienne des valeurs : » Il n'y avait que
moi : j'ai décidé seul du mal- seul j'ai inventé le bien ».
Les valeurs, bien et
mal, beau et laid, vrai et faux- seraient donc l'oeuvre de notre moi, une
création de notre liberté.
Qu'en devons-nous penser ?
Il paraît incontestable que la philosophie des valeurs -- que l'on peut faire
remonter à Kant est liée à une philosophie du sujet- de la liberté.
Pour Kant
c'est la conscience humaine qui décide du bien et du mal.
La nature n'est plus
une providence où nous pourrions déchiffrer le sens de notre destin.
Elle n'est
qu'un système d'apparences bien réglées.
dont la science nous fait connaître
l'organisation.
Mais si la science nous dit ce qui est, ou plus exactement ce
qui apparaît, elle ne peut nous dire ce qui doit être.
Quant à la métaphysique
qui prétend découvrir l'être au delà de l'apparence.
le noumène au delà du
phénomène, elle est, d'après Kant, tout à fait illusoire.
En dehors de
l'expérience, la raison tourne à vide et ne peut rien connaître.
La morale ne
repose donc plus que sur la conscience humaine.
Chez Kant cependant, on ne
saurait parler d'une création capricieuse des valeurs par chaque individu car le
sujet responsable des valeurs s'appelle encore raison et a vocation pour
l'universel.
Le vrai précurseur du subjectivisme sartrien, c'est Nietzsche.
Avec Nietzsche
apparaît clairement ce qui sera le thème majeur de l'athéisme sartrien : la
libre création des valeurs est présentée comme l'exacte contrepartie de la « mort de Dieu ».
Le « surhomme »
nietzschéen, créateur absolu de toute valeur depuis que « Dieu est mort ».
savoure lui-même "la satisfaction que
Dieu tire de sa propre personne".
Sans cesse il aspire à se dépasser, à s'élever au-dessus des valeurs qu'il a
naguère créées, « jusqu'à ce que ses étoiles même soient au-dessous de lui ».
Qu'est-ce que le Surhomme ?
Le Surhomme est une forme d'humanité supérieure qui laisse parler en lui la totalité des instincts, et précisément
ceux-là mêmes que la Culture christianisée a étouffés parce qu'ils étaient des formes de la volonté de puissance, «
ce qu'il y a de pire » en l'homme : égoïsme, instinct de domination, sexualité.
Mais il convient ici de souligner un
point important.
L'homme est de toute façon un être de culture.
Il n'est donc en aucun cas possible de retourner au
moment où les Barbares étaient encore indemnes des effets de la volonté de puissance de leurs esclaves, moment
fondateur de la culture.
Les instincts doivent être libérés pour être spiritualisés : « L'homme supérieur serait celui qui
aurait la plus grande multiplicité d'instincts, aussi intenses qu'on peut les tolérer.
En effet, où la plante humaine se
montre vigoureuse, on trouve les instincts puissamment en lutte les uns contre les autres...
mais dominés.
» Ce
surhomme parvient à la connaissance véridique de l'humanité, qui est la connaissance « tragique » qui a été décrite
précédemment.
Il se réalise dans les seules issues que Nietzsche a réservées : celle de l'art, qui est une fiction
connue comme telle, ou celle de la connaissance intellectuelle.
Il réalise ainsi le sens de l'humanité même, car il est
celui qui adhère à la doctrine de l'Éternel Retour et qui donc est le sommet de la volonté de puissance.
Ainsi se forme chez Nietzsche l'idée contemporaine existentialiste de «
transcendance » non pas certes la « transcendance n de la philosophie
classique qui est le dépassement de l'homme par l'Être.
par Dieu.
mais une
transcendance qui est tout au contraire le dépassement par l'homme de tout
ce qui existe et de lui-même, l'activité inventrice d'une liberté souveraine qui
ne cesse de faire surgir des valeurs.
Telle sera l'opinion de Sartre.
Le «néant» qu'il oppose à l' "être", dans un
ouvrage célèbre.
n'est pas autre chose que la valeur jaillie d'un libre projet et
qui apparaît d'abord comme un idéal absent du monde et nié par lui : mais à
partir de cet idéal.
l'homme va contester "nier" ce qui existe et transformer le
monde.
Ainsi l'homme est « ce par quoi les valeurs surgissent dans le monde
n.
La liberté humaine est l'acte même de poser des valeurs.
L'invention des
valeurs est d'ailleurs un acte strictement individuel.
Pendant l'occupation
allemande un ancien élève de Sartre était venu le consulter.
Resterait-il en
France pour travailler et faire vivre sa mère sans ressources ? Ou irait-il en
Angleterre poursuivre la lutte contre l'envahisseur ? Sartre répond que ce
jeune homme doit choisir lui-même sa voie et décider de ses valeurs.
La
création des valeurs est un acte personnel.
Nul ne peut l'assumer que pour
soi.
Cependant, il ne semble pas que l'expérience que la conscience fait de la
valeur justifie l'interprétation sartrienne.
Revenons à l'exemple très habile de
Sartre.
Évidemment on conçoit qu'entre le devoir d'assistance filiale et le
devoir patriotique il ne puisse être question que d'un choix en quelque sorte gratuit.
Mais Sartre a pris la précaution
de nous proposer en exemple deux valeurs d'égale dignité.
Supposons que le jeune homme ait hésité entre le projet
d'aller rejoindre les forces armées et le projet de faire du marché noir ou de piller des centres de réfugiés.
Ici.
il n'est
plus question de choix gratuit et la distinction du bien et du mal s'impose à nous de l'extérieur.
J'éprouve le bien et.
»
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