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SARTRE et l'art

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Il y a le vert, il y a le rouge, c'est tout ; ce sont des choses, elles existent par elles-mêmes. Il est vrai qu'on peut leur conférer par convention la valeur de signes. Ainsi parle-t-on du langage des fleurs. Mais si, après accord, les roses blanches signifient pour moi « fidélité », c'est que j'ai cessé de les voir comme roses : mon regard les traverse pour viser au-delà d'elles cette vertu abstraite ; je les oublie, je ne prends pas garde à leur foisonnement mousseux, à leur doux parfum croupi ; je ne les ai pas même perçues. Cela veut dire que je ne me suis pas comporté en artiste. Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la soucoupe sont choses au suprême degré ; il s'arrête à la qualité du son ou de la forme, il y revient sans cesse et s'en enchante ; c'est cette couleur objet qu'il va transporter sur sa toile et la seule modification qu'il lui fera subir c'est qu'il la transformera en objet imaginaire. Il est donc le plus éloigné de considérer les couleurs et les sons comme un langage. Ce qui vaut pour les éléments de la création artistique vaut aussi pour leurs combinaisons : le peintre ne veut pas tracer des signes sur la toile, il veut créer une chose. SARTRE

« Il y a le vert, il y a le rouge, c'est tout ; ce sont des choses, elles existent par elles-mêmes. Il est vrai qu'on peut leur conférer par convention la valeur de signes.

Ainsi parle-t-on du langage des fleurs.

Mais si, après accord, les roses blanches signifient pour moi « fidélité », c'est que j'ai cessé de les voir comme roses : mon regard les traverse pour viser audelà d'elles cette vertu abstraite ; je les oublie, je ne prends pas garde à leur foisonnement mousseux, à leur doux parfum croupi ; je ne les ai pas même perçues.

Cela veut dire que je ne me suis pas comporté en artiste.

Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la soucoupe sont choses au suprême degré ; il s'arrête à la qualité du son ou de la forme, il y revient sans cesse et s'en enchante ; c'est cette couleur objet qu'il va transporter sur sa toile et la seule modification qu'il lui fera subir c'est qu'il la transformera en objet imaginaire.

Il est donc le plus éloigné de considérer les couleurs et les sons comme un langage.

Ce qui vaut pour les éléments de la création artistique vaut aussi pour leurs combinaisons : le peintre ne veut pas tracer des signes sur la toile, il veut créer une chose.

SARTRE QUESTIONS 1. 2. a. b. 3. Dégagez la thèse de Sartre en indiquant ce qui caractérise pour lui le langage. Expliquez : « Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la soucoupe sont choses au suprême degré.

» « [...] le peintre ne veut pas tracer des signes sur la toile, il veut créer une chose.

» Un langage de l'art est-il inconcevable ? Argumentez et développez votre réponse. QUESTION 1 Le véritable artiste ressemble à Rimbaud : il est visionnaire, voyant, dans le sens qu'il donne son existence au monde, qu'il l'opacifie, le rend pesant.

Non pas d'une lourdeur qui entrave la pensée, le regard, mais au sens que le monde prend vraiment sa place, qu'il prend son importance, qu'il se montre et s'installe.

Comment ? à la fois concrètement et symboliquement mais pas conventionnellement. Le langage est une convention : il sert à « viser au-delà » des choses, abstraitement.

Lorsqu'on parle du langage des fleurs, c'est qu'on a oublié la fleur.

Les conventions permettent de s'accorder et de communiquer.

Mais le langage, qu'il soit des fleurs ou qu'il soit la langue française, oublie le concret, les choses qui habitent le monde et sont le monde.

Le langage ne nous donne des choses que leur transparence, leur absence.

Il remplace les choses.

Au fond, le langage appauvrit le réel ou du moins il reflète notre vision plate, sans intérêt, de la réalité : on oublie le « foisonnement mousseux » des fleurs, leur subtilité.

Seul l'artiste voit les choses concrètes : c'est pourquoi il sait les transformer et leur donner toutes leurs forces. QUESTION 2 a.

« Pour l'artiste [...] degré ». Tout, pour l'artiste, a du poids : la couleur, le bruit sont présents d'une présence jaillissante.

Si le mot « choses » est mis en italique, c'est pour montrer la force de cette apparition.

Les souliers peints par Van Gogh sont « plus souliers que n'importe quel souliers », dit le grand penseur Georges Steiner.

Ils représentent l'essence même des souliers, la présence pour toujours réelle des souliers. L'artiste montre la réelle présence des choses (cf.

Réelles présences de Georges Steiner, NRF-Essais). b.

« [...] le peintre ne veut pas tracer des signes sur la toile, il veut créer une chose.

» Le peintre ne veut pas utiliser un langage conventionnel qui ne donne rien de plus que ce que l'on connaît déjà.

Au contraire, l'artiste fait surgir des formes que nous n'avions pas vues, des couleurs inaperçues.

Il nous montre les choses par le détour de son art, il nous fait vivre autrement, plus intensément, nos rapports aux choses. « Tracer des signes sur la toile », c'est rester un artisan qui reproduit fidèlement, un excellent technicien qui manie les couleurs. Mais l'artiste invente ses formes, ses couleurs.

Il déconstruit ce qu'il a bien regardé.

Il modifie pour mieux montrer.

L'imitation de la nature n'est pas le but de l'art.

Et cette création n'est pas un langage conventionnel.

C'est un éclatement de tout ce qu'on a pu connaître (cf.

la théorie du génie de Kant).

Le cubisme, par exemple, provoqua une réelle rupture avec la tradition occidentale. Les cubistes ne voulaient pas supprimer la représentation mais la transformer. Picasso est l'un des plus illustres représentants de cette transformation : l'une de ses toiles, Violon et raisins (1912), en dépit d'un apparent mélange de formes disloquées, n'évoque aucun désordre.

Pourtant, ce violon et ces raisins sont imaginaires, symboliques mais présents. L'artiste est un créateur de formes, pas un reproducteur. QUESTION 3 (pistes de réflexion) L'activité artistique est l'une des toutes premières manifestations de la culture humaine - grottes de Lascaux, par exemple. - L'artiste véritable, même s'il a appris l'histoire de l'art et toutes les techniques nécessaires à son art, même si au début il imite d'autres artistes, c'est-à-dire qu'il leur emprunte leur langage, doit inventer son style, ce qui fera de lui un génie (cf.

Kant). - Cependant, pour le spectateur que je suis, il existe bien un langage de l'art.

Sinon, comment pourrais-je apprécier l'art ? D'où la difficulté de tout art d'avant-garde qu'on ne peut pas comprendre, faute de grille de lecture, de points de repères. Il y a toujours un passé à connaître : il peut éclairer le présent (cf.

L'Histoire de l'art de E.H.

Gombrich, Gallimard).

Cependant, il n'y a pas de « progrès » en art. - Un langage de l'art n'est pas inconcevable : l'art est le signe d'un homme à d'autres hommes.

Il faut donc qu'on puisse déchiffrer ce signe.

Ce qui arrive souvent, c'est une compréhension plus ou moins tardive.

Gauguin, Van Gogh moururent seuls, pauvres.

Le véritable artiste doit supporter cette solitude, non qu'elle soit nécessaire à la création – ne tombons pas dans la vision des artistes maudits par définition –, mais parce que la puissance créatrice de l'artiste bien souvent effraie et nous le fait tenir à distance.. »

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