Sartre: Autrui est ma chute originelle
Extrait du document
«
Dans L'Etre et le Néant, Sartre va poursuivre une analyse phénoménologique de la
théorie hégélienne.
"L'essence des rapports entre consciences n'est pas le "Mitsein"
(être-avec), mais le conflit." Ailleurs il dira même que c'est la violence qui fait le fond de
toute relation humaine.
Quelle est l'origine du conflit ? La seule existence de l'Autre fait
que j'ai un dehors, une extériorité pour autrui, une nature.
Des sentiments tels que la
honte ou la fierté n'ont de sens que par rapport à cette nature que je suis, c'est-à-dire
que j'apparais au regard de l'autre.
Être quelque chose de perçu, être une nature
objective, c'est ne plus être tout à fait libre.
Quand l'autre me regarde, je suis en partie
aliéné de ma liberté, qui fuit hors de moi : "Je saisis le regard de l'autre comme
solidification et aliénation de mes propres possibilités." La liberté humaine se définit
comme transcendance, à savoir comme possibilités plurielles que je suis et qui font que
je ne me résume pas à mon simple donné présent.
Le regard de l'autre me coupe de mes
propres possibilités pour me faire chose, être-là déterminé dans une certaine attitude ou
une certaine expression, privé par là même de ce que je pourrais être d'autre et de
différent.
De la contingence de ce que je suis maintenant, il fait nécessité ("Tu as fait
ceci, tu as dit cela").
Le regard d'autrui transcende ma transcendance, pour la ramener
à n'être plus qu'une seule chose : un acte, une parole, une attitude, une pensée, un comportement.
De plus, être
regardé c'est être objet inconnu, qui m'échappe, car si je suis responsable de ce que je suis ou laisse transparaître,
je n'ai nulle prise sur le jugement de valeur d'autrui.
Sous le regard d'autrui, je suis sans défense pour une liberté qui
n'est pas la mienne.
Si l'existence d'autrui est indispensable à l'existence objective de ma propre conscience, car
sans lui je ne serais rien qu'une conscience flottante et évanescente, autrui est la marque indélébile de ma
dépendance à une conscience et une liberté qui ne seront jamais miennes.
Sur la question d'autrui, Sartre souligne que seul Hegel s'est vraiment intéressé à l'Autre, en tant qu'il est celui par
lequel ma conscience devient conscience de soi.
Son mérite est d'avoir montré que, dans mon être essentiel, je
dépends d'autrui.
Autrement dit, loin que l'on doive opposer mon être pour moi-même à mon être pour autrui,
« l'être-pour-autrui apparaît comme une condition nécessaire de mon être pour moi-même » : « L'intuition géniale de
Hegel est de me faire dépendre de l'autre en mon être.
Je suis, dit-il, un être pour soi qui n'est pour soi que par un
autre.
»
Mais Hegel n'a réussi que sur le plan de la connaissance : « Le grand ressort de la lutte des consciences, c'est
l'effort de chacune pour transformer sa certitude de soi en vérité.
» Il reste donc à passer au niveau de l'existence
effective et concrète d'autrui.
Aussi Sartre récupère-t-il le sens hégélien de la dialectique du maître et de l'esclave,
mais en l'appliquant à des rapports concrets d'existence : regard, amour, désir, sexualité, caresse.
L'autre
différence, c'est que si, pour Hegel, le conflit n'est qu'un moment, Sartre semble y voir le fondement constitutif de
la relation à autrui.
On connaît la formule fameuse : « L'enfer, c'est les autres ».
Ce thème est développé sur un
plan plus philosophique dans « L'être & le néant ».
Parodiant la sentence biblique et reprenant l'idée hégélienne
selon laquelle « chaque conscience poursuit la mort de l'autre ».
Sartre y affirme : « S'il y a un Autre, quel qu'il soit,
quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de
son être, j'ai un dehors, une nature ; ma chute originelle, c'est l'existence de l'autre… »
J'existe d'abord, je suis jeté dans le monde, et ensuite seulement je me définis peu à peu, par mes choix et par mes
actes.
Je deviens « ceci ou cela ».
Mais cette définition reste toujours ouverte.
Je suis donc fondamentalement libre
« projet », invention perpétuelle de mon avenir.
Et je suis celui qui ne peut pas être objet pour moi-même, celui qui
ne peut même pas concevoir pour soi l'existence sous forme d'objet : « Ceci non à cause d'un manque de recul ou
d'une prévention intellectuelle ou d'une limite imposée à ma connaissance, mais parce que l'objectivité réclame une
négation explicite : l'objet, c'est ce que je me fais ne pas être… »
Or je suis, moi, celui que je me fais être.
Et c'est précisément parce que je ne suis que pure subjectivité et liberté,
que le simple surgissement d'autrui est une violence fondamentale.
Peu importe qu'il m'aime, me haïsse ou soit
indifférent à mon égard.
Il est là, je le vois et je découvre que je ne suis plus centre du monde, sujet absolu.
Il me
voit, et avec son regard s'opère une métamorphose dans mon être profond : je me vois parce qu'il me voit, je
m'appréhende comme objet devant une transcendance et une liberté.
Si chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolu, elle ne peut que chercher à transformer la liberté de
l'autre en chose passive.
Sartre illustre d'abord ce conflit à travers l'expérience du regard.
Qu'est-ce qui, en effet,
me dévoile l'existence d'autrui, sinon le regard ? Si je regarde autrui, ce dernier me regarde aussi.
C'est la raison
pour laquelle Sartre envisage les deux moments.
Dans un premier moment, je vois autrui.
Imaginons : « Je suis dans un jardin public.
Non loin de moi, voici une
pelouse et, le long de cette pelouse, des chaises.
»
Situation paisible.
Le décor est neutre, la trame est inexistante : « Un homme passe près des chaises.
Je vois cet
homme… »
Finie la quiétude ! Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne le saisis pas seulement comme un objet, mais aussi
et en même temps comme un homme.
Si je pouvais penser qu'il n'est rien d'autre qu'un objet, un automate, par
exemple, je le saisirais « comme étant « à côté » des chaises, à 2,20 m de la pelouse, comme exerçant une certaine
pression sur le sol, etc.
».
Autrement dit ce ne serait pour moi qu'un objet comme les autres, qui s'ajouterait aux.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Sartre: Autrui est ma chute originelle
- « Ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre » SARTRE
- La chute originelle vient-elle de l'intervention d'un esprit mauvais ?
- FICHE DE RESVISION L'EXISTENTIALISME EST UN HUMANISME, SARTRE
- La Nausée - Jean-Paul Sartre (1905-1980) - Roman, France, 1938