Saint Thomas d'Aquin: vivre en société
Extrait du document
«
"Si donc il est naturel à l'homme de vivre en société, il est nécessaire aussi qu'il y ait un
principe recteur de la multitude.
En effet, les hommes sont nombreux.
Chacun cherche
ce qui lui convient.
Il s'ensuit que la multitude se disperserait dans un pur divers, s'il n'y
avait quelqu'un qui ait le souci du bien de tous.
De même, le corps humain, ou celui de
tout animal, périrait sans une force directrice qui pourvoit au bien commun de tous les
membres.
C'est ce que Salomon '2' constatait : là où il n'y a plus de chef, le peuple se
disperse.
Cette nécessité se comprend facilement.
Il n'y a pas en effet identité entre ce
qui est propre à chacun et ce qui est commun à tous.
Le singulier divise ce que
l'universel unit.
Or à des réalités diverses conviennent des principes divers.
En plus de
ce qui meut chacun à son bien propre, il faudra quelque chose qui assure le bien de
tous." THOMAS
[Introduction]
La nécessité, pour l'homme, de vivre en collectivité fait surgir immédiatement le problème radical que saint
Thomas thématise ici : comment éviter que la diversité des intérêts de chacun n'aboutisse à une disharmonie ?
[I.
La nécessité d'un principe recteur]
– La vie en société est « naturelle » pour l'homme (influence d'Aristote) : impossible dans ces conditions de
réfléchir sur un « état de nature » antérieur à la vie sociale.
Saint Thomas est encore « essentialiste » : vivre en
société appartient à l'essence de l'homme.
– Mais cette société apparaît fragile : ses membres, « nombreux », sont différents et animés par des intérêts
divergents.
– Cette diversité risque de briser le lien social.
D'où la nécessité de découvrir un « principe recteur ».
[Il.
La métaphore du vivant]
– La société est comparable à un corps, humain ou animal.
Métaphore traditionnelle — depuis Platon — entre
corps vivant et corps « social », ou « politique » (cf plus tard La Fontaine : Les membres et l'estomac).
De même
que les organes coopèrent au bien global de l'organisme, il faut une « force directrice » qui unifie le peuple par le
« souci du bien de tous ».
– Peu de précision sur la nature de la force directrice dans le corps (il faut attendre Kant).
Mais son efficacité
sert de modèle au nécessaire passage de « ce qui est propre à chacun » à « ce qui est commun à tous ».
– Dernière phrase du texte : relation possible entre intérêt privé et intérêt public : le second vient «s'ajouter » au
premier, il ne le supprime pas.
[III.
Solutions possibles au problème]
– De Platon (la cité juste hiérarchisée) à saint Thomas, il y a effort de généralisation dans la conception de
l'intérêt commun : le christianisme admet une égalité de tous devant Dieu, et il n'y a plus à admettre de
hiérarchisation a priori.
– Le vocabulaire utilisé hésite, pour repérer le bien commun, entre une personne (l'allusion à Salomon et au « chef
») et un principe (« quelque chose qui assure le bien de tous »).
Ambiguïté qui sera maintenue encore longtemps
:
– pour Hobbes, il faut un tyran ;
— pour Rousseau, le bien commun vient de l'action du « législateur » soucieux d'énoncer la « volonté générale »;
— chez Kant, intériorisation de ce législateur sous l'aspect, en chacun, de la loi morale (qui doit servir de modèle
aux relations entre États).
[Conclusion]
Texte dont les soubresauts de l'histoire ne font que confirmer l'actualité..
»
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