Saint Thomas d'Aquin et la loi
Extrait du document
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Texte de Thomas d’Aquin (Bac L de juin 1994, Toulouse)
" Nous avons dit, à propos de l'étude des lois, que les actes humains soumis aux lois portent sur des situations
singulières qui peuvent varier à l'infini.
Il est donc impossible d'instituer une loi qui ne serait jamais dans aucun cas en
défaut.
Pour établir une loi, les législateurs considèrent les conditions générales ; mais l'observance de cette loi serait
dans certaines situations contraire à la justice et au bien commun que la loi entend sauvegarder.
Par exemple, la loi
déclare qu'il faut rendre un dépôt, ce qui est juste dans la généralité des cas particuliers, mais peut devenir dangereux
dans des cas particuliers, tel le fou qui réclame l'épée qu’il a déposée, ou l'individu qui demande son dépôt pour trahir
sa patrie.
En pareilles circonstances et en d'autres semblables, il serait mal d'obéir à la loi, et le bien consiste à
transgresser la lettre de la loi pour rester fidèle à l'esprit de justice et à l'exigence du bien commun ".
Thomas d'Aquin, Somme théologique.
Bien lire le texte.
Thème : l'application de la loi aux circonstances particulières où elle est prise en défaut.
Thèse : lorsque le bien l'exige, il faut transgresser la loi.
Plan :
- (I.
1 à 5) La loi vaut en général.
- (I.
5 à 11) L'observance de la loi peut entrer en contradictior avec la justice et le bien commun.
- (I.
11 à 14) Il vaut mieux alors violer la lettre de la loi, afin de la respecter dans son esprit.
Ce texte de Thomas d’Aquin s’inscrit dans un long passage de la Somme théologique dans lequel Thomas définit la
nature et les modalités d’application de la loi.
Le problème ici posé est celui de la limite jusqu’à laquelle il est pertinent
d’appliquer la loi, autrement dit, de la valeur de l’universalité de la loi pour les cas particuliers.
Le texte peut se diviser en deux moments : dans le premier, Thomas rappelle l’objet qu’il a assigné à la loi (« des
situations singulières qui peuvent varier à l’infini ») et le problème qui en découle : l’universalité de la loi est forcément
limitée par la singularité des cas qui parfois contredisent les modes de fonctionnement généraux des choses.
Dans le
second moment, à partir de « par exemple, la loi déclare », Thomas prend deux exemples (celui de l’homme qui, devenu
fou, viendrait réclamer une épée qu’il avait mise en dépôt alors qu’il était encore sain d’esprit : le fait de devenir fou
contredit les lois générales de la nature sur lesquelles les lois sur le dépôt ont compté ; celui de l’homme qui demande
qu’on lui rende un dépôt pour servir une cause que les lois en cours n’avaient pas forcément prévu : trahir sa patrie) et
finit par expliciter la thèse qui est sous-jacente dans l’ensemble du texte : « En pareilles circonstances et en d'autres
semblables, il serait mal d'obéir à la loi, et le bien consiste à transgresser la lettre de la loi pour rester fidèle à l'esprit
de justice et à l'exigence du bien commun.
»
Le problème général est donc celui du rapport de la loi aux circonstances : si l’on pose que la loi doit garder une rigidité
universelle, on risque de manquer la singularité de certains cas et d’agir, dans ces cas, contre le bien et la justice ;
mais si l’on pose que la loi doit être très souple et s’élaborer en quelque sorte au cas par cas, la loi perd son statut de
loi pour devenir une vague règle de conduite collective que l’on peut transgresser sans dommage.
Notre texte essaie
de trouver une juste position entre ces deux extrêmes, afin de garantir à la fois la justice de la loi et la force de son
statut de loi.
Sa position est finalement médiane, elle tente de concilier les deux aspects de la loi qui font problème.
Cela ne va pas sans soulever d’autres questions, car l’on peut considérer que toute loi qui admet des exceptions ou
des allègements n’est plus une loi.
Cela pourra se discuter dans la partie ‘intérêt philosophique’ du
commentaire.
Thomas s’inscrit en effet dans une longue tradition qui remonte aux origines platoniciennes de la
philosophie politique : il serait intéressant de comparer sa position à celle de Platon dans les Lois (voir le livre I, par
exemple).
Recherche de l'intérêt philosophique : la question qu'aborde dans ce texte Thomas d'Aquin possède un intérêt
politique et juridique immédiat : l'auteur nous invite à nous interroger sur l'application de la loi et sur sa valeur,
question classique depuis Aristote.
Comment devons-nous obéir à la loi, s'il est vrai qu'elle ne peut avoir valeur
universelle? Jusqu'à quel point faut-il tenir compte des circonstances singulières? Que devient alors le principe de
l'égalité de tous devant la loi? Par ailleurs, nous sommes aussi conduits à envisager les conséquences de la
contradiction entre la lettre et l'esprit de la loi sur l'essence de cette dernière : la loi (au sens juridique du terme)
n'est pas cet absolu qui s'imposerait aveuglément à tous, elle n'a de valeur que généralement, c'est-à-dire dans
la plupart des cas, ou, à tout le moins, elle ne peut trouver de formulation universellement valable..
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