ROUSSEAU et le langage
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Rousseau traite dans ce texte du problème de l'origine du langage humain, ainsi que des rapports qu'il convient d'établir entre le processus de formation du langage et le processus de formation de la communauté. À la même époque, les Encyclopédistes, singulièrement Condillac, avaient résolu ce problème en optant pour l'hypothèse d'une origine intellectuelle du langage : la création de celui-ci s'expliquerait par un accord intervenu entre les hommes sur un système de conventions arbitraires, ce qui suppose une antecedence de l'organisation communautaire sur l'institution du langage. C'est cette supposition que conteste ici Rousseau, en faisant valoir que la possibilité d'un tel accord, préalable à la constitution d'un langage, suppose elle-même que les humains aient pu par le langage communiquer leurs idées.
- Introduction
Présentation de la thèse rousseauiste sur l'origine du langage Son rapport à la question de l'origine des sociétés
- I. Étude ordonnée du texte
1. L'hypothèse d'un langage d'avant le langage a. le cri : un langage qui n'en est pas un b. l'expression des passions 2. Le développement de l'expressivité du langage a. le perfectionnement du langage primitif et la formation du lien social b. le geste, plus expressif que la parole 3. Le langage articulé et conventionnel a. pourquoi le langage articulé s'est-il substitué au langage gestuel ? b. la nécessité d'un consentement commun
- II. Intérêt philosophique du texte
1. Mise en perspective de son enjeu en référence à Platon et Saussure 2. Langue et communauté
«
Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique,
et le seul dont il eût besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés,
est le cri de la nature...
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), écrivain de langue française, est passé à la
postérité en tant qu'auteur des Confessions et des Rêveries du promeneur solitaire et
par là même comme un des précurseurs du romantisme.
Sa brouille avec les
Encyclopédistes, le succès de La Nouvelle Héloïse l'ont fait paraître plus homme de
lettres que philosophe.
Le succès de son opéra (Les Muses galantes) et de sa pièce Le
Devin du village, ainsi que l'intérêt qu'il a toujours porté à la musique (il donne à
l'Encyclopédie des articles sur la musique), l'ont fait fréquenter la meilleure société de
son temps, alors que d'autres épisodes de sa vie, plus tardifs, l'ont fait passer pour un «
ennemi du genre humain ».
Cependant Du contrat social (1761) fait de Rousseau un des plus grands philosophes du
XVIII siècle.
C'est déjà une sorte de dissertation philosophique répondant à la question
de savoir « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs » qui l'a rendu célèbre
avec le Discours sur les sciences et les arts (1750).
Et c'est à nouveau pour répondre à une question mise au
concours par l'Académie de Dijon (« Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la
loi naturelle ») que Rousseau publie (mais cette fois sans être couronné) son Discours sur l'origine et les fondements
de l'inégalité parmi les hommes (1755).
C'est dans ce texte, qui dénonce l'inégalité sociale comme contraire à la loi
naturelle, que Rousseau, réfléchissant sur le « besoin des langues » dans l'état de nature, déclare :
« Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant
qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature.
»
On sait que Rousseau, de manière toute théorique, fait une description d'un état de nature supposé, qui aurait
existé avant l'institution de la société.
Il imagine un temps antérieur où l'homme sauvage est « épars dans les bois
parmi les animaux », et remarque qu'aucun progrès n'est possible, certes sans l'aiguillon de la nécessité, mais aussi
et surtout sans le « secours de la communication ».
D'où l'obligation pour Rousseau de réfléchir au moyen de
communication qu'est le langage :
« Qu'on songe de combien d'idées nous sommes redevables à l'usage de la parole : combien la grammaire exerce et
facilite les opérations de l'esprit ; et qu'on pense aux peines inconcevables, et au temps infini qu'a dû coûter la
première invention des langues.
»
Le cri, comme premier langage, est celui qui est poussé dans les grands dangers pour implorer du secours ou pour
manifester le soulagement de maux violents.
C'est une sorte de cri de la nature, qui ne peut s'exprimer que par
excès, dans des situations extraordinaires.
Que le premier langage soit celui du cri, Rousseau soutient aussi cela
dans un autre passage du Discours : « Des cris inarticulés, beaucoup de gestes, et quelques bruits imitatifs durent
composer pendant longtemps la langue universelle.
» Il reviendra à la question de l'origine du langage dans le traité
d'éducation que constitue Émile, où il estime que les pleurs de l'enfant sont une sorte de langue naturelle et
commune à tous les hommes : « De ces pleurs qu'on croirait si peu dignes d'attention, naît le premier rapport de
l'homme à tout ce qui l'environne ; ici se forme le premier anneau de cette chaîne dont l'ordre social est formé.
»
Mais si le cri est l'expression naturelle du désarroi de l'homme dans une situation extrême, il n'est d'aucun secours
dans le besoin de communiquer qui naît lorsque l'homme reconnaît l'autre comme semblable à lui.
Autrui perçu à la
fois comme être pensant et sensible, à qui on désire communiquer et ses pensées et ses sentiments.
Cela n'est
possible que par les sens, « seuls instruments par lesquels un homme puisse agir sur un autre ».
Toute la description
de cette action de l'homme sur l'homme est surtout faite par Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues
(rédigé entre 1745 et 1761, et publié après sa mort).
Si le texte sur le langage du Discours sur l'origine de l'inégalité
était une simple parenthèse, au contraire, l'Essai expose une théorie très élaborée du développement des langues.
Au cri succède donc un langage des gestes, puis de la voix, signes sensibles pour exprimer la pensée
« Les moyens généraux par lesquels nous pouvons agir sur les sens d'autrui se bornent à deux, savoir le mouvement
et la voix.
L'action du mouvement est
immédiate par le toucher ou médiate par le geste : la première ayant pour terme la longueur du bras, ne peut se
transmettre à distance, mais l'autre atteint aussi loin que le rayon visuel.
Ainsi restent seulement la vue et l'ouïe
pour organes passifs du langage entre des hommes dispersés.
»
Mais la langue sert aussi à émouvoir le coeur et à enflammer les passions.
Alors, c'est tout autre chose.
Le langage
des gestes, qui est un langage muet et qui jusqu'alors faisait tout, ne vaut plus rien.
C'est la voix, avec ses
accents, qui l'emporte :
« La seule pantomime sans discours vous laissera presque tranquille ; le discours sans geste vous arrachera des
pleurs.
Les passions ont leurs gestes, mais elles ont aussi leurs accents, et ces accents qui nous font tressaillir, ces
accents auxquels on ne peut dérober son organe pénètrent par lui jusqu'au fond du coeur, y portent malgré nous les
mouvements qui les arrachent, et nous font sentir ce que nous entendons.
»
Aussi, pour Rousseau, la véritable origine des langues n'est pas dans les besoins, mais dans les passions, qui
poussent les hommes à se rapprocher (alors que les besoins ont tendance à les éloigner les uns des autres) :
« Ce n'est ni la faim ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix.
Les
fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proie dont on veut
se repaître ; mais pour émouvoir un jeune coeur, pour repousser un agresseur injuste la nature dicte des accents,
des cris, des plaintes : voilà les plus anciens mots inventés.
»
Mais le développement des langues ne s'arrête pas là.
Car Rousseau, on l'aura compris, a en tête une vision de l'homme qu'on pourrait dire tripartite : d'abord ce qui est de.
»
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