Rousseau et la puissance souveraine
Extrait du document
«
D'abord la puissance législative et la puissance exécutive qui constituent
la souveraineté n'en sont pas distinctes.
Le Peuple Souverain veut par luimême, et par lui-même il fait ce qu'il veut.
Bientôt l'incommodité de ce
concours de tous à toute chose force le Peuple Souverain de charger
quelques-uns de ses membres d'exécuter ses volontés.
Ces Officiers,
après avoir rempli leur commission, en rendent compte, et rentrent dans
la commune égalité.
Peu à peu ces commissions deviennent fréquentes,
enfin permanentes.
Insensiblement il se forme un corps qui agit toujours.
Un corps qui agit toujours ne peut pas rendre compte de chaque acte : il
ne rend plus compte que des principaux ; bientôt il vient à bout de n'en
rendre d'aucun.
Plus la puissance qui agit est active, plus elle énerve (1)
la puissance qui veut.
La volonté d'hier est censée être aussi celle
d'aujourd'hui ; au lieu que l'acte d'hier ne dispense pas d'agir aujourd'hui.
Enfin l'inaction de la puissance qui veut la soumet à la puissance qui
exécute ; celle-ci rend peu à peu ses actions indépendantes, bientôt ses
volontés : au lieu d'agir pour la puissance qui veut, elle agit sur elle.
Il ne
reste alors dans l'État qu'une puissance agissante, c'est l'exécutive.
La
puissance exécutive n'est que la force, et où règne la seule force l'État
est dissous.
Voilà, Monsieur, comment périssent à la fin tous les États
démocratiques.
ROUSSEAU
(1) Énerver : priver de nerfs, d'énergie.
Rousseau procède, dans ce texte, à l'analyse de la décomposition de l'Etat, plus précisément de l'État démocratique.
La présentation des principaux moments de cette dissolution, qu'il ne faudrait pas interpréter comme une description
historique, lui permet de présenter quelques thèmes importants de sa pensée politique, pensée exposée en particulier
dans le Contrat social (1762).
Les derniers mots du texte (« les États démocratiques ») permettent de comprendre la première phrase.
Dans une
démocratie authentique, pouvoir législatif et pouvoir exécutif sont inséparables.
Le concept de démocratie n'a pas,
chez Rousseau, le sens que nous lui donnons aujourd'hui.
Pour nous, il y a démocratie quand les gouvernements
(l'exécutif) respectent les droits fondamentaux de la personne, ses libertés politique, publique, personnelle, etc.
Rousseau est plus précis : dans une véritable démocratie, le peuple assemblé d'une part exprime sa volonté souveraine
dans des lois (pouvoir législatif direct), d'autre part règle au jour le jour l'exécution des lois, les détails de
l'administration (pouvoir exécutif).
En effet, « celui qui fait la loi sait mieux que personne comment elle doit être
exécutée et interprétée ».
Dans le Contrat social (livre III, chap.
4), Rousseau montre les problèmes que pose une telle
forme de gouvernement.
Ces problèmes sont tels que, en toute rigueur, un tel régime politique n'a jamais existé et
n'existera jamais ; mais c'est un idéal qui mérite d'être étudié parce qu'il fournit une idée qui permet de mieux
comprendre et juger la valeur des autres systèmes politiques.
La perfection de cette Cité explique que Rousseau écrive
: « s'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement ».
Comment l'unité idéale du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif se disloque-t-elle ? Par une sorte de nécessité
logique, exposée ici sous une forme historique.
D'abord, le Peuple assemblé ne peut commodément assurer les deux
pouvoirs : « on ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques » ; et,
d'ailleurs, l'exercice du gouvernement, de l'application des lois, détourne l'esprit « des vues générales » en l'obligeant à
s'occuper de problèmes particuliers, ce qui corrompt la volonté générale, légiférant en vue du seul bien commun.
D'où
la nécessité de charger quelques citoyens d'exécuter les lois.
Mais la volonté propre de l'exécutif ne peut alors, peu à
peu, que se distinguer de la volonté du Peuple souverain.
Rousseau détaille, dans ce texte, le progrès et les raisons de
cette séparation.
Son terme, c'est le despotisme : « J'appelle despote l'usurpateur du pouvoir souverain » (id., III, 10).
Une volonté particulière impose sa loi à tous.
Le bien commun n'est plus la mesure des lois.
Comme les hommes sont
contraints d'obéir à des commandements qu'ils n'ont pas élaborés, ils perdent leur liberté, l'essence de leur être («
Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs » id., I, 3).
C'est pourquoi Rousseau ne peut accepter la définition que donne Hobbes de l'État idéal : la force ne fait pas le droit,
l'État n'existe plus si la force règne seule.
Rousseau exige donc que le gouvernement reste soumis au seul souverain
légitime, le peuple assemblé.
Mais s'il tente dans le Contrat social de définir les conditions qui permettraient d'assurer
cette soumission, il est conscient que la tendance à usurper la Souveraineté est inévitable..
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