Robert Maillart
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L'ingénieur suisse Robert Maillart compte parmi les grands intuitifs qui sont les pères du béton armé. Son idée fondamentale est celle de la continuité de la structure que permet, voire qu'exige la nature même du nouveau matériau. La fluidité du béton, la souplesse de l'armature, invitent à concevoir des structures "coulées", monolithiques, à rejeter les assemblages de "pièces détachées" qu'on est contraint de maintenir lorsqu'on utilise le béton armé sous forme d'éléments linéaires, montants et poutres, inspirés de la charpente en bois ou en fer. Multipliant les points de rupture, les solutions de continuité, ne faisant travailler le matériau que dans une seule direction, ces combinaisons font en effet perdre le principal avantage qu'offre sa texture en nappe ; elles entraînent un coûteux gaspillage de matière, alourdissent les formes, limitent les possibilités d'articulation structurale. Les recherches de Maillart portent donc sur l'emploi d'éléments bi et tridimensionnels - surfaces planes, voiles cintrés ou pliés - comme éléments actifs de la structure. Elles aboutissent à l'amélioration de la dalle autoportante conçue par Hennebique : dans le système dit du plancher-champignon (1908), la dalle, par une disposition nouvelle de l'armature en nappes entrecroisées, est rendue solidaire de la colonne qui la porte. Pour la première fois dans l'histoire, un plancher est lié, sans l'intermédiaire d'aucun chapiteau ni sommier, aux montants linéaires sur lesquels il repose.
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Robert Maillart
1872-1940
L'ingénieur suisse Robert Maillart compte parmi les grands intuitifs qui sont les pères du béton armé.
Son idée fondamentale est celle
de la continuité de la structure que permet, voire qu'exige la nature même du nouveau matériau.
La fluidité du béton, la souplesse de
l'armature, invitent à concevoir des structures "coulées", monolithiques, à rejeter les assemblages de "pièces détachées" qu'on est
contraint de maintenir lorsqu'on utilise le béton armé sous forme d'éléments linéaires, montants et poutres, inspirés de la charpente en
bois ou en fer.
Multipliant les points de rupture, les solutions de continuité, ne faisant travailler le matériau que dans une seule
direction, ces combinaisons font en effet perdre le principal avantage qu'offre sa texture en nappe ; elles entraînent un coûteux
gaspillage de matière, alourdissent les formes, limitent les possibilités d'articulation structurale.
Les recherches de Maillart portent donc
sur l'emploi d'éléments bi et tridimensionnels — surfaces planes, voiles cintrés ou pliés — comme éléments actifs de la structure.
Elles
aboutissent à l'amélioration de la dalle autoportante conçue par Hennebique : dans le système dit du plancher-champignon (1908), la
dalle, par une disposition nouvelle de l'armature en nappes entrecroisées, est rendue solidaire de la colonne qui la porte.
Pour la
première fois dans l'histoire, un plancher est lié, sans l'intermédiaire d'aucun chapiteau ni sommier, aux montants linéaires sur lesquels
il repose.
Ce principe de la continuité et de la solidarité organiques des éléments de la structure, Maillart l'avait appliqué dès 1901 à un autre
type de construction : les ponts.
Le pont de Zuoz, dans l'Engadine, ouvre la série des ouvrages qui ont fait sa célébrité, et dans
lesquels s'est concrétisé de la façon la plus significative son apport au renouveau des formes structurales.
Au lieu de traiter le pont
comme un tablier reposant, par l'intermédiaire de jambages, sur l'extrados d'un arc qui est à la fois l'élément portant et raidissant,
Maillart remplace les jambages, éléments linéaires, par des parois de renforcement parallèles à l'axe du pont et unissant sur toute leur
longueur l'arc et le tablier.
Il crée ainsi une unité structurale de type nouveau, un volume creux, une "poutre-caisson", qui permet
d'utiliser à plein, dans la totalité de la matière employée, la faculté du béton armé de travailler aussi bien à la traction qu'à la
compression.
L'arc, les tympans et le tablier forment un organisme multifonctionnel d'une telle cohésion que, sans risquer d'en
compromettre la rigidité, et à condition de disposer en chaque point les nappes de l'armature suivant le sens des efforts, il est même
possible d'échancrer largement les flancs du caisson, et de lui ôter ainsi toute pesanteur.
Le système, mis au point dès 1905 au pont,
aujourd'hui détruit, de Tavanasa sur le Rhin supérieur, a été porté à sa perfection dans les années trente : ponts sur le ravin de la
Salgina (Prätigau), le plus hardi de tous ; sur le Rossgraben (Préalpes bernoises) ; sur la Thur (route Winterthur-Saint-Gall) ; sur l'Arve
(près Genève, 1936) ; à Garstatt (Simmenthal ; dans ce dernier pont, l'arc est remplacé par deux plans se recoupant à la clé à angle
obtus).
En juxtaposant deux caissons et en les décalant l'un par rapport à l'autre, il est de plus possible d'utiliser le système pour le
franchissement d'obstacles — cours d'eau, voie ferrée — se présentant obliquement au tracé : le plus bel exemple de ce type est le
pont "marchant" de Lachen (ligne Zürich-Sargans, 1940).
Augmentation de la portée, réduction de la flèche, c'est-à-dire de la hauteur de l'ouvrage, économie de matière, donc légèreté de
l'ensemble et en particulier des culées, fondations plus faciles — ces améliorations techniques ne se traduisent pas, sur le plan
esthétique, par un simple affinement, mais par une véritable libération de la forme, qui apparaît désormais dégagée de toute
réminiscence de la construction en pierre : constitué de deux corps en forme de flèches qui, projetés sur le vide, se touchent à peine à
la clé et sont ancrés sur les culées par des articulations d'une incroyable finesse, le pont semble ne plus peser, mais tirer sur ces
ancrages ; il ne prend plus appui sur les rives, mais unit celles-ci d'un mouvement sobre et vif ; "phénomène structural", la forme qu'il
inscrit dans le paysage s'y intègre avec la spontanéité d'un "phénomène naturel".
Vingt ans après Tavanasa, au pont du Val Tschiel, dans les Grisons (1925), Maillart crée un nouveau type d'ouvrage reposant
également sur l'emploi des surfaces comme éléments actifs de la structure.
Dans ce système, dit des arcs raidis, l'arc est ramené à un
voile d'une minceur extrême et dont la liaison avec le tablier est assurée par des plans raidisseurs disposés perpendiculairement à son
axe.
C'est le tablier, dont la chaussée et les parapets forment une sorte d'auge ouverte vers le haut, qui supporte les moments
fléchissants.
La poutre-caisson de Tavanasa a donc été profondément remaniée : les tympans raidisseurs ont pivoté de 90 degrés, la
répartition des efforts entre arc et tablier a été inversée.
Pour l'établissement de ponts en terrain très accidenté, ce système présente
d'énormes avantages, tant du point de vue économique et technique (il n'exige en particulier pour son exécution qu'un cintre très
léger), que du point de vue fonctionnel, le fonctionnel rejoignant ici l'esthétique.
En effet, le système raidisseur : arc + tympans
verticaux transverses, permet de donner à ces derniers une forme trapézoïdale, c'est-à-dire de lier à un arc rectiligne en projection
horizontale un tablier incurvé.
Il est ainsi possible d'inscrire le pont dans n'importe quel profil de route, dans n'importe quel site.
Au
pont sur le Schwandbach (1933), voisin de celui du Rossgraben et sans doute le plus achevé des arcs raidis construits par Maillart, le
tablier épouse la courbe que décrit la route pour se dégager d'un vallon encaissé : l'établissement d'un pont rectiligne aurait posé ici
d'insolubles problèmes de tracé.
Inintelligible à qui n'a pas été initié à sa signification statique, le jeu des lames verticales recoupant les
deux surfaces de l'arc et du tablier, incurvées chacune dans une direction différente, exerce sur le spectateur une véritable fascination.
A la passerelle sur la Töss, près de Winterthur (1934), Maillart a été encore plus loin dans le développement des possibilités
esthétiques de l'arc raidi.
N'ayant à tenir compte que de surcharges minimes, il a ramené la construction à l'envolée infiniment
gracieuse des deux voiles incurvés de l'arc et du tablier qui se rapprochent jusqu'à se confondre à la clé, tandis que, de part et
d'autre, ils sont rendus solidaires par des plans vifs, accents verticaux qui en font ressortir par contraste la souplesse.
Seuls
Hennebique, au pont sur l'Ourthe à Liège (âge), et Freyssinet, au Veurdre et à Boutiron (1907-1911), avaient auparavant atteint à une
finesse comparable.
Après S.
Giedion, qui a "découvert" Maillart, nombreux sont ceux qui se sont attachés à dégager la signification plastique de ses
constructions par surfaces et de leurs paradoxes statiques.
Sans aucun doute, elles resteront comme l'un des témoignages les plus
attachants, les plus "précieux" que nous possédions sur la sensibilité spatiale dans la première moitié du XXe siècle.
Mais la forme de
ce témoignage est déterminée par un certain état de la technique.
Aujourd'hui déjà, les formes de Maillart sont, de ce point de vue,
dépassées : la précontrainte permet de donner au béton armé encore plus de sveltesse, de lancer des arcs encore plus tendus, de
réduire encore les attaches des ouvrages au sol ; surtout, elle réalise la continuité de la structure sans avoir nécessairement recours
aux nappes employées par Maillart.
Et déjà elle a fait naître de nouvelles familles de formes, qui contiennent sans doute en germe ce
qui sera le style de la construction de la fin du siècle..
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