Regret, remords, repentir
Extrait du document
«
INTRODUCTION.
— 1° L'homme est dans la durée.
— L'homme n'est pas tout entier emporté par le temps.
Non seulement le passé
s'inscrit dans son tempérament physique et psychique comme dans celui de tout être vivant, mais son regard conscient peut dominer
l'écoulement temporel, le remonter même à contre-courant ou le.
ramasser dans une vue synthétique : il est une durée consciente, la
durée se définissant à partir du temps comme un effort pour unifier sa successivité.
L'esprit peut même dans une certaine mesure
considérer par la pensée tel acte passé comme s'il était présent ou futur et traduire cette fiction dans son comportement.
2° L'essence commune du regret, du remords et du repentir.
— Nous nous trouvons ainsi en présence de l'attitude d'âme qui est
l'élément commun des sentiments désignés par les mots de regret, de remords et de repentir.
Si nous l'analysons, nous y trouvons
l'alliance de deux points de vue opposés : le premier est bien la considération de l'acte passé comme passé, puisque nous en savons
les conséquences mauvaises et que nous avons pu en mesurer la valeur; mais voici que, forts de cette science, nous considérons alors
l'acte passé comme il se trouvait encore au moment où le futur va devenir présent; nous nous reportons à cet instant où il va être
produit, où l'on pourrait encore ne pas le produire.
Bien que tout acte posé soit devenu nécessaire, nous lui prêtons la contingence du
futur, soit qu'il ait dépendu de notre liberté ou de celle d'autrui, soit que, suivant notre habitude fréquente d'envisager des possibilités,
nous traitions les phénomènes naturels comme s'ils étaient soumis à notre liberté.
Appuyés sur cette contingence fictive, nous
émettons le souhait rétrospectif que les choses se soient passées autrement.
Or, le souhait est bien, lui aussi, une attitude qui ne
convient qu'au futur, un futur sur lequel on sent qu'on n'a pas de prise et qu'on essaie malgré toul d'infléchir dans le sens de ses
désirs.
C'est la fusion paradoxale, de ces deux points de vue qui constitue l'originalité commune des trois sentiments que nous avons à
étudier.
Nous allons tâcher de distinguer chacun d'eux des autres, puis nous déterminerons leur valeur et leur rôle dans la vie morale.
I.
— ANALYSE.
Il n'est guère facile de mettre de l'ordre dans les notions contenues sous ces trois mots : regret, remords, repentir.
Car leur emploi
n'est pas net, .la langue met ici sa confusion habituelle.
Le regret n'est souvent qu'une forme atténuée de remords ou de repentir sans
contenu propre.
On dit ainsi indifféremment « regretter ses fautes » ou « se repentir de ses fautes ».
De même, diverses expressions
marquent l'état aigu de ce que nous appelons à proprement parler regret : « être désolé », etc.
C'est que remords et repentir
désignent des sentiments émotionnellement faibles.
Cependant, nous pouvons, d'après l'usage le plus courant, restreindre l'emploi de
chacun de ces mots à un concept assez précis.
A.
Le regret.
— L'analyse que nous avons faite précédemment de l'essence commune à ces trois idées convient sans autre addition
au regret.
Il se distingue des deux autres en ce qu'il n'est pas un sentiment de culpabilité morale.
Nous regrettons des actes qui ne
dépendent pas de notre volonté, telle pluie qui nous a empêchés de sortir, tel ami qui n'est pas venu nous voir, telle bévue que nous
avons commise par mégarde, c'est-à-dire des phénomènes naturels, des actes posés par la volonté d'autrui, des actes qui sont de
nous sans que nous les revendiquions comme vraiment nôtres, car nous ne les avons pas voulus.
Nos regrets peuvent aussi porter sur
des décisions volontaires, mais lorsque ces décisions sont de simples erreurs, des maladresses, non des fautes.
La différence entre ce
que nous appelons erreur et ce que nous appelons faute n'est pas difficile à percevoir.
Une action peut être appréciée diversement
selon qu'on la rapporte à sa fin immédiate ou bien aux principes et aux fins dernières de l'activité humaine, selon qu'on la juge d'un
point de vue technique ou d'un point de vue moral.
Ainsi, un poison qui tue son homme dans le plus bref délai, sans souffrance et sans
qu'on puisse constater sa présence dans l'organisme, sera un bon poison.
Son emploi sera techniquement à recommander, puisqu'il
arrive à sa fin avec le minimum de risques pour l'empoisonneur : il ne s'ensuit pas que le geste soit bon moralement.
Se servir d'un
poison avarié pour faire périr son adversaire sera une maladresse technique — puisque le but n'est pas atteint — qui n'empêche pas
une faute morale, car la valeur morale d'un acte est indépendante de la réussite ou de l'insuccès de l'opération.
L'assassin pourra être
alors tellement aveuglé par la haine qu'il regrettera l'échec de sa tentative sans se repentir de son crime.
Ou inversement, s'il se
repend du crime, il ne regrettera plus d'avoir échoué.
B.
Le remords.
— Le remords, au contraire, est un sentiment de culpabilité, et il ne considère pas comme le regret les conséquences
malheureuses de l'acte, sa valeur technique, mais sa valeur morale.
Notre empoisonneur endurci, qu'il ait à se féliciter de son succès
ou à regretter son échec, a beau se croire protégé contre toutes les attaques de la moralité, parfois, lorsque sa haine un peu détendue
découvrira les points faibles de sa cuirasse, il ressentira, plus ou moins fort, suivant, que sa conscience est plus ou moins émoussée,
les brusques assauts du remords.
On ne peut guère les figurer par de meilleures images que celle que suggère l'étymologie.
C'est un
animal qui, profitant des inattentions, vient mordre et remordre; ou une douleur dont on ressent de temps en temps les élancements
brusques et courts.
Alors sa haine se réveille violente et essaie d'étouffer l'ennemi.
Mais si elle diminue et que la force du remords
augmente, se renouvelle la scène que symbolise la tragédie grecque : ces Erinnyes vengeresses qui harcèlent de ville en ville le
malheureux ORESTE, meurtrier de sa mère...
jusqu'à le rendre fou.
Le remords est donc facile à distinguer du repentir, car il n'est pas accepté par sa victime qui essaie de s'en distraire, de le fuir, de
l'étouffer.
Il reste comme extérieur et manifeste une étrange dualité de la conscience et de la volonté : la conscience accusatrice
oppose ses assauts aux résistances de la volonté à la fois juge, avocat et coupable.
Le remords nous paraît ainsi un signe du caractère
impératif et de l'origine transcendante de la conscience morale : il y a en nous quelque chose qui est en lutte avec nous.
C.
Le repentir.
— Le repentir, c'est le remords accepté, reconnu, assumé par la volonté.
L'assassin a enfin succombé aux attaques
répétées de l'Erinnyes.
Mais ce n'est pas la déesse malfaisante de la tragédie, qui
accule sa victime à la folie, c'est la divinité bienveillante, l'Euménide, qui n'a frappé que pour sauver.
Le vaincu se recueille, et, les
yeux libérés de la haine qui l'aveuglait, ose regarder son acte tel que le lui présente sa conscience.
La dualité aperçue tout à l'heure, il l'a réduite à l'unité.
Il a fait sien ce sentiment de culpabilité morale et pas seulement par une
reconnaissance intellectuelle ou affective, car il n'y a pas de repentir sans une.
volonté ferme de progrès.
Cette résolution de traduire
ses sentiments en actions, en réalisations pratiques, est une part essentielle du repentir : sans elle il n'y a que comédie.
On ne peut
même pas se contenter de la seule décision de ne pas recommencer, il faut la rendre possible : puisque tout acte est un début
d'habitude, le faute commise reste inscrite dans notre nature qui tendra à la répéter.
Il est donc souvent nécessaire, pour que le
repentir soit effectif, qu'un acte opposé vienne rectifier, en créant une habitude contraire, la tendance défectueuse..
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