Rationalisation du monde, rationalisation de l'homme ?

« Les premières formes de discours rationnel concernent donc la formation du monde, le cosmos.

Mais la vision de l'homme et de la société dans laquelle il vit se rationalise aussi, avec le développement de la démocratie. En effet, si c'est l'Assemblée des citoyens qui décide des lois, celles-ci n'ont plus de fondement naturel ou surnaturel.

La politique se déplace des dieux vers l'homme ; l'ordre politique apparaît conventionnel et, faisant objet de délibérations incessantes, amendable.

En outre, à l'Assemblée, l'argument d'autorité propre aux sociétés archaïques religieuses ne vaut plus.

La parole devient publique, contradictoire et doit, pour s'imposer — c'est-à-dire rallier la majorité — se faire convaincante, c'est-à-dire rationnelle. Historiquement, le discours philosophique supplante le mythe.

Dans la Grèce archaïque, les mythes cosmogoniques (de cosmos, monde » et genesis, genèse ») racontent comment le monde s'est formé à partir d'une généalogie divine (comme dans la Théogonie d'Hésiode) ou d'interventions de personnages surnaturels.

Entre le VIIe et le vie siècle avant J.-C., les premiers philosophes de la Grèce, Thalès, Anaximène, Anaximandre, tous originaires de Milet, transforment peu à peu les cosmogonies mythiques en cosmologies rationnelles.

D'une part, ils se proposent d'expliquer la formation du monde, et non plus seulement, comme le mythe, de la raconter ; d'autre part, cette explication substitue les éléments naturels aux personnages surnaturels : pour Thalès, l'eau est l'élément originaire ; pour Anaximène, c'est l'air ; pour Héraclite, le feu...

Enfin, si un tel discours a une valeur, c'est en vertu de la vraisemblance de sa construction, et non d'un don d'extra-voyance reconnu au conteur de mythes. Ce qui naît alors, ce n'est pas la raison, aussi vieille que l'homme, mais le discours rationnel (logos), conçu comme moyen et critère de toute vérité concevable.. »