qu'y a-t-il de donné, qu'y a-t-il de construit dans notre perception du monde extérieur
Extrait du document
«
Qu'y a-t-il de donné, qu'y a-t-il de construit dans la perception du monde extérieur?
INTRODUCTION.
- Lorsque nous bâtissons des châteaux en Espagne ou lorsque, plus positifs, nous élaborons le projet de quelque
machine ou de quelque édifice, adaptant les parties les unes aux autres, allant du résultat à obtenir à l'antécédent qui le commanda,
nous avons l'impression d'une grande activité mentale : la représentation ne nous est pas donnée; elle s'élabore en nous et par
nous.
Le monde de l'imagination est construit.
Au contraire, le monde de la perception semble donné.
En effet, lorsque j'ouvre les yeux, c'est immédiatement et sans aucune
opération mentale que je vois les arbres qui se balancent doucement sous ma fenêtre et pardessus la ville les coteaux qui se
détachent sur le fond du ciel.
Cette représentation s'impose à moi et je n'interviens pas dans sa construction.
Mais la psychologie moderne, depuis DESCARTES, a bien réduit cette opposition.
Elle a montré dans notre perception du monde
extérieur beaucoup de construit.
Certains sont même allés jusqu'à dire que tout y était
construction de l'esprit et que rien d'extérieur ne nous est donné immédiatement.
La vérité, nous pouvons le conjecturer, se trouvera sans doute entre ces deux thèses extrêmes :
il y a du donné et il y a du construit dans la perception du monde extérieur.
Mais qu'est-ce qui
est donné et qu'est-ce qui est construit ?
I.
On peut considérer comme données l'extériorité et l'étendue avec ses diverses couleurs :
c'est immédiatement que nous percevons une réalité distincte de nos états subjectifs, étendue et
colorée.
La thèse opposée, qui n'admet que l'intuition immédiate des états de conscience, se
fonde sur une conception a priori de l'homme (l'homme est « une substance dont toute l'essence
n'est que de penser », DESCARTES), non sur l'observation
A.
L'extériorité est une donnée immédiate, sinon jamais nous ne pourrions avoir l'idée d'une
réalité extérieure.
En effet, pourquoi avons-nous conscience que l'état psychologique que nous
appelons perception est différent de l'état psychologique appelé souvenir ou image, sinon parce
que la perception implique une relation immédiate avec une.
réalité extérieure ? Cette relation
immédiate, inexplicable quand on a fait de l'homme une pensée unie, on ne sait trop comment,
à un corps, ne fait pas de difficulté insurmontable si on le considère comme un être un, mais
résultant de l'union de deux principes, l'un matériel et l'autre spirituel.
B.
L'étendue, elle aussi, est donnée immédiatement, et les efforts pour la construire avec des
sensations inétendues (SPENCER) se sont révélés tout à fait vains.
Par la cénesthésie, résultante
des impressions du toucher interne, nous avons la sensation de la voluminosité de notre propre
corps; le toucher externe actif, c'est-à-dire le mouvement de nos membres parcourant et palpant les objets, nous fait percevoir des
lignes et des surfaces résistantes; la vue, enfin, nous donne la sensation de l'étendue colorée.
L'homme étant surtout visuel, le monde extérieur nous est donné sous forme de masses colorées extérieures à nous.
Mais ce
tableau est d'une confusion extrême; ce n'est qu'au prix d'une longue élaboration que nous parvenons aux représentations distinctes
de l'âge adulte, percevant nettement les objets avec leurs caractéristiques essentielles, dans leur vraie relation les uns avec les
autres.
II.
La part du construit dans la perception extérieure est donc très importante, et il est bien difficile à un adulte d'en dresser un bilan
à peu près complet.
A.
Il semble bien tout d'abord que la troisième dimension soit construite, et non perçue.
Sans doute, le toucher actif parait bien nous
faire percevoir immédiatement la distance, la profondeur, le relief.
Mais notre représentation du monde est essentiellement visuelle
et il semble bien plus probable que la vue ne perçoit immédiatement que les surfaces.
En effet, les impressions sensorielles
(convergence du cristallin, parallaxe binoculaire), au moyen desquelles l'adulte parvient à apprécier la distance, sont des impressions
non pas visuelles, mais musculaires; d'autre part, ce ne sont pas des sensations de distance, mais des sensations au moyen
desquelles on apprécie la distance.
Enfin, c'est surtout en nous fondant sur d'autres connaissances que nous jugeons de la distance
ou de la profondeur : ainsi c'est parce que nous connaissons la taille moyenne de l'homme que nous percevons un individu près ou
loin; c'est en parcourant du regard l'espace qui nous sépare de lui que nous jugeons de la distance d'un arbre...
B.
Ensuite, c'est par une construction de l'esprit que les différentes données sensorielles se groupent en des ensembles prenant une
certaine forme : la perception n'est pas une photographie dans laquelle toutes les taches colorées ont une valeur égale, mais un
croquis dans lequel seuls les points de repère sont nets, le reste ne s'élevant pas au-dessus de la sensation confuse.
Ainsi, dans un
paysage, sont privilégiées les lignes nettes, comme les routes et les rivières, les couleurs particulièrement intéressantes pour le
spectateur, comme les tachés rouges d'un village, le damier multicolore d'une plaine cultivée...
C.
Enfin, dans la perception de chaque objet particulier, la part du construit est bien plus importante que la part du donné, et on a pu
dire avec raison que « percevoir n'est guère qu'une occasion de se souvenir ».
Devant le magasin d'un marchand de fruits, je vois des
oranges.
Qu'est-ce qui m'est donné ? Des taches colorées rondes : tout le reste est construit.
En effet, je vois l'orange avec
l'impression qu'elle produirait à mon toucher si je la prenais dans ma main : poids, résistance et élasticité, une certaine rugosité...
Je
l'atteins avec les sensations que j'éprouverais si j'en mangeais quelques quartiers : douceur acidulée, fraîcheur...
Mon odorat luimême ajoute sa note discrète.
Ce ne sont pas là des données de la sensation actuelle, mais des souvenirs qui viennent la
compléter.
Ma perception d'orange est une construction complexe échafaudée sur une étroite base sensorielle.
CoNClUsION.
— La part du construit est donc extrêmement importante dans notre perception du monde extérieur, et cette part
augmente tous les jours.
On peut même faire consister l'expérience et la science dans le perfectionnement des constructions que
nous nous faisons du monde extérieur.
Mais ces constructions reposent, en définitive, sur le donné immédiat de l'expérience et elles doivent constamment être vérifiées par
une confrontation avec ce donné.
C'est dans ce va-et-vient de l'intuition immédiate à la construction rationnelle et de la construction
rationnelle à ln donnée immédiate que se fait le progrès de toute connaissance..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- DIDEROT: «C'est la perception des rapports qui a donné lieu à l'invention du terme beau.»
- Le monde extérieur est-il un produit de l'imagination ?
- Est ce que le monde extérieur est un produit de l'imagination ?
- La connaissance que nous avons du monde extérieur n’est-elle possible que par l’intermédiaire des sciences ?
- Y a-t-il un problème de la réalité du monde extérieur ?