Qui suis-je ?
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La question « qui suis-je » ? pose un problème singulier.
En effet, dans cette question, la conscience
apparaît à la fois comme le sujet questionnant et l'objet interrogé.
De ce dédoublement surgissent d'autres
questions : ainsi, comment atteindre cette connaissance de soi sur soi ? Le puis-je dans la solitude, en me
« retournant » sur moi-même ? En outre, si je suis à la fois sujet et objet, puis-je me connaître en mon intégralité ?
À l'inverse, on peut se demander si le recours à autrui n'est pas indispensable dans ce type de questionnement.
I – Descartes et la substance pensante
Dans les Méditations Métaphysiques, Descartes soumet ses
connaissances à un doute radical, dans le but d'aboutir à une première vérité.
Or, de cette pratique du doute ressort l'idée que l'acte même par lequel on
doute n'est pas en soi douteux.
Si je doute de tout, je ne peux résolument
douter que je doute.
Descartes en conclut qu'il doute forcément, c'est-à-dire
qu'il pense.
Comme son corps reste soumis au doute, la conclusion s'impose
au philosophe de se considérer comme une substance pensante, susceptible
de douter.
Ainsi, chacun, dans l'exercice du doute, peut aboutir à la même
conclusion, à savoir qu'il est une chose qui pense.
Cependant, ce premier
niveau d'analyse ne révèle pas à la conscience « qui » elle est, mais « ce
qu'elle » est : une substance pensante.
Or, notre question se situe plus
précisément au niveau personnel, au sens où je m'interroge sur ce qui me
distingue des autres.
La question est donc plus proprement psychologique
que philosophique.
II – Freud et l'inconscient
Si je suis une subjectivité qui pense, désire, veut...
et que j'ai cela en
commun avec tous les hommes, je dois alors me reporter sur le contenu de ces pensées, de ces désirs ou de ces
volitions, afin de déterminer « qui » je suis.
Si je désire manger du chocolat, c'est sans doute que je suis gourmand,
etc.
Cependant, toutes les pensées et tous les désirs sont-ils susceptibles d'être repris dans l'introspection ?
À l'inverse de Descartes, Freud montre comment une partie de la conscience échappe de fait à son éclairage.
L'inconscient, partie de la conscience où se trouve refoulée partie des désirs et des pulsions, échappe à ma saisie
consciente.
Ainsi, m'est-il toujours possible de me connaître de part en part et d'énoncer dans une formule « qui je
suis » ?
III – La phénoménologie et le pour-autrui
Qu'il s'agisse de Descartes ou de Freud, la conscience reste repliée en elle-même.
La phénoménologie postule
au contraire que la conscience est intentionnelle, c'est-à-dire qu'elle se porte nécessairement sur un objet.
Si j'ai
conscience, cela signifie que j'ai conscience de quelque chose.
Ainsi, dans les rapports humains, la relation à autrui
apparaît comme indispensable.
Pour appréhender mon être, je dois emprunter le chemin qui va de moi à moi, en
passant par autrui.
De fait, autrui n'est pas celui qui me connaît le mieux ; mais, de ma confrontation avec toutes les autres
consciences, surgit une certaine image de moi.
Si je commets un acte honteux, dit Jean-Paul Sartre (L'Être et le
Néant), je ne suis honteux que sous le regard (physique ou mental) d'autrui.
Si je mange du chocolat à outrance, je
ne me blâme ni me juge en le faisant ; toutefois, j'en conçois des remords sitôt que je songe à autrui.
Conclusion :
La question « qui suis-je » n'interroge donc pas la conscience sur sa nature (substance pensante), mais
bien sur ce qui fonde la spécificité de l'individu.
À cet égard, celui-ci se trouve bien embarrassé pour déterminer ce
qu'il est lui-même, eu égard au fait que la conscience n'est pas transparente à soi-même.
Autrui apparaît comme le
recours indispensable afin d'esquisser une réponse : en effet, je suis ceci ou cela uniquement sous le regard
d'autrui ; bien plus, je ne peux l'être qu'en présence d'autrui.
La structure de la conscience s'en trouve ainsi modifié,
puisque le plus court chemin pour m'atteindre passe par l'autre..
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