Qui était Lévi-Strauss ?
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Sans doute Lévi-Strauss est un structuraliste. Mais on ne peut s'intéresser aux théories abstraites sans les restituer au milieu des opinions «droites» qui les alimentent. Lévi-Strauss ne traite pas d'abord des propriétés syntaxiques ou sémantiques des systèmes formels, il ne s'occupe pas en premier lieu de la théorie des ensembles et des groupes de transformation. Parallèlement aux considérations mathématiques et logiques, on rencontre dans ses ouvrages toute une philosophie des rapports de la nature et de la culture.
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Sans doute Lévi-Strauss est un structuraliste.
Mais on ne peut s'intéresser aux théories abstraites sans les restituer au milieu des opinions
«droites» qui les alimentent.
Lévi-Strauss ne traite pas d'abord des propriétés syntaxiques ou sémantiques des systèmes formels, il ne
s'occupe pas en premier lieu de la théorie des ensembles et des groupes de transformation.
Parallèlement aux considérations
mathématiques et logiques, on rencontre dans ses ouvrages toute une philosophie des rapports de la nature et de la culture.
Nature et culture
Qui s'enflamme, de nos jours, à l'énoncé du mot «progrès»? Ce désenchantement à l'égard des rapides transformations dues à
l'industrialisation des sociétés, il s'exprime tout au long de l'oeuvre de Lévi-Strauss.
Dans «Tristes Tropiques», il souligne, à propos de
l'urbanisation, que le déroulement du temps n'est pas synonyme d'amélioration: «Pour les villes européennes, le passage des siècles
constitue une promotion; pour les villes américaines, celui des années est une déchéance.» Cette dégradation lente qui accompagne ce
que nous voudrions croire notre progrès ne nous est pas méconnue.
L'idée même d'envoyer des ethnographes étudier ce qui reste des
sociétés primitives n'est-elle pas révélatrice du sentiment que nous avons de notre impureté? Cette culpabilité des sociétés développées
se dissipe-t-elle au contact des sociétés primitives?
Parti à la recherche de sociétés primitives qui, en raison même de leur caractère fruste, fourniraient une image simplifiée de la société
dans ses traits fondamentaux, Lévi-Strauss trouve des hommes: «Derrière le voile des lois trop savantes des Caduvéos ou des Bororos,
j'avais poursuivi ma quête d'un état qui — dit Rousseau —« n'existe plus, n'a peut-être point existé, et qui probablement n'existera
jamais, mais dont il est nécessaire pourtant d'avoir des notions justes pour bien juger notre état présent» (...).
J'avais cherché une société
réduite à sa plus simple expression.
Celle des Nambikwara l'était au point que j'y trouvais seulement des hommes.» Il ne faut pas se
méprendre sur le sens d'une telle découverte: et ce serait un contresens d'y voir le point de départ d'une philosophie de l'homme.
L'homme n'est pas un être naturel qui accessoirement vivrait en société: le fait de vivre en société lui est au contraire essentiel.
LéviStrauss oppose sur ce point Diderot et Rousseau: «Jamais Rousseau n'a commis l'erreur de Diderot qui consiste à idéaliser l'homme
naturel.
Il ne risque pas de mêler l'état de nature et l'état de société: il sait que ce dernier est inhérent à l'homme.» Ce qui nous fascine
dans les sociétés primitives, ce n'est pas la découverte d'un hypothétique état de nature, mais l'évocation disparaissante d'un équilibre
entre nature et culture, «le reflet fugitif d'une ère où l'espèce (humaine) était à la mesure de son univers».
Avec Lévi-Strauss, nous voici
dans un climat totalement différent de celui de l'existentialisme.
Il ne s'agit plus de dépassement, mais de retour vers «l'intimité tendre
entre les plantes, les bêtes et les hommes».
L'attitude vitale n'est plus le surgissement; il s'agit au contraire de se «déprendre», de «
suspendre la marche, (de) retenir l'impulsion qui astreint (l'homme) à obturer l'une après l'autre les fissures ouvertes au mur de la
nécessité».
Plus profondément encore, l'homme cesse d'être le point ultime de l'investigation.
Dans son être, il est société.
L'échange des femmes comme langage
Que la société soit relation entre les individus ou les groupes, on n'a pas attendu Lévi-Strauss pour le savoir.
Ce n'est pas même LéviStrauss qui le premier s'est rendu compte que ces relations, si on veut scientifiquement les étudier, doivent l'être par l'intermédiaire de
signes objectifs.
L'apport original de Lévi-Strauss, c'est d'avoir essayé et réussi à traiter ces relations sur le modèle des systèmes
linguistiques.
Dans un texte écrit peu après «les Structures élémentaires de la parenté», il explique ce qu'il a voulu faire dans cet ouvrage:
«Considérer les règles du mariage et les systèmes de parenté comme une sorte de langage, c'est-à-dire un ensemble d'opérations
destinées à assurer, entre les individus et les groupes, un certain type de communication», voilà ce qui a été entrepris.
«Que le
«message» soit ici constitué par les femmes du groupe, qui circulent entre les clans, les lignées, les familles (et non, comme dans le
langage lui-même, par les mots du groupe circulant entre les individus), n'altère en rien l'identité du phénomène considéré dans les deux
cas.» Les structures de la parenté ne sont rien d'autre que les systèmes de lois qui règlent la circulation des femmes.
Le groupe de transformation et la spécificité de chaque société Une fois étudiée la parenté, ne peut-on pas appliquer l'hypothèse
structurale à d'autres niveaux dans l'analyse des relations sociales? L'économie, l'art et la mythologie peuvent à leur tour être étudiés de
façon à en construire la structure.
Dans «Tristes Tropiques», on trouve, à propos de l'art des Caduvéos, l'ébauche d'une analyse
structurale.
Dans les derniers ouvrages de Lévi-Strauss («le Cru et le cuit», «Du miel aux cendres»), ce sont des analyses structurales des
mythes qui sont entreprises.
Chaque type d'analyse structurale tend à l'autonomie.
Celui qui étudie le mythe doit inventer ses concepts
(par exemple, la notion de mythème) et ne peut trouver que peu d'aide auprès des analyses structurales déjà constituées.
Rendre
compte d'une société, c'est donc construire des structures pour chaque niveau de relations sociales.
Le rapport qui s'établit alors entre ces
diverses structures, doit-on supposer qu'il relève d'une sorte d'harmonie préétablie?
Lévi-Strauss répond: ces niveaux «peuvent être parfaitement — et ils le sont souvent — en contradiction les uns avec les autres, mais les
modalités selon lesquelles ils se contredisent, appartiennent toutes à un même groupe».
Autrement dit, moyennant les transformations
nécessaires, — transformations dont on définit les opérations —, on peut retrouver à tous les niveaux de l'activité sociale la même
configuration qui définit, dans sa spécificité, la société considérée.
Structure et histoire
Les niveaux divers, où l'analyse structurale s'exerce, définissent autant de types de structure.
Une société est un ensemble de systèmes
réglés, eux-mêmes organisés selon un «ordre des ordres», le groupe de transformation.
Cette théorie complexe n'a-t-elle pas pour effet
de figer le fonctionnement des sociétés de telle façon qu'on ne peut plus rendre compte alors du développement historique? C'est la
critique traditionnelle par laquelle on croit avoir raison du structuralisme.
Est-elle légitime? A lire les textes, le structuralisme de LéviStrauss offre une théorie de l'histoire beaucoup moins simpliste que celle dont disposent ceux qui le critiquent.
Lorsqu'on examine le
mouvement des sociétés, il ne faut pas se laisser prendre à l'apparence.
Il y a des changements qui ne changent rien, dans la mesure où
tout se passe à l'intérieur du système sans toucher à l'essentiel.
C'est à cette illusion que se laissent prendre ceux qui croient, par
exemple, que Marx est dépassé, sous prétexte qu'il écrivait il y a un siècle.
Si nous sommes encore à l'intérieur du système qu'il décrivait,
alors il est de circonstance.
Lévi-Strauss insiste donc à bon droit sur le fait que chaque société tend à persévérer dans son être.
Le vrai
changement, c'est lorsque le système est perturbé par un événement de telle façon que la régulation traditionnelle ne peut plus s'exercer
sur les relations sociales.
Que se passe-t-il alors? Dans la plupart des cas, la recomposition des éléments se fait selon le code défini par
l'ensemble fini des structures.
Est-ce à dire que rien de nouveau n'apparaît sous le soleil des structures? Il faudrait ne pas tenir compte de
ce que Lévi-Strauss dit dans «Race et histoire».
Il peut se produire de temps à autre une mutation: le patrimoine génétique des sociétés,
pourrait-on dire, se trouve produire une configuration originale.
Combien de combinaisons banales «sortent» avant une mutation vraiment
neuve! C'est sans doute pourquoi il a fallu attendre des millénaires avant qu'une société invente l'élevage et une autre la machine à
vapeur..
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