Qui est mon prochain ?
Extrait du document
«
Comment connaître, identifier mon prochain ? La question "qui est mon prochain" suggère qu'autrui peut ne pas être mon prochain.
Il y a
une question sur la "proximité" qui est en jeu.
Pour différencier autrui de mon prochain, on peut se référer à certaines tribus d'Amérique
du sud (citées par Lyotard dans La condition postmoderne), pour lesquelles le nom de la tribu veut dire "homme" : les autres ne sont pas
des hommes.
De même pour les Grecs anciens et les Barbares : ceux-ci déterminaient donc la proximité à partir de la communauté
sociale, et ultimement à partir de la proximité de langue.
Le terme "prochain", selon la formule biblique, est paradoxal : le prochain, c'est
aussi ce qui n'est pas le proche.
Comment celui que je ne connais pas, avec qui je n'ai rien en commun, peut-il être mon prochain ?
Toutes les cultures produisent une différence entre le Même et l'Autre, donc déterminent un "prochain" et un "lointain" (l'étranger).
Cette
relation peut être de respect ou d'hostilité mais le principe est le même que celui de la démarcation Même/Autre.
Mon prochain, c'est
l'autre ; il est mon prochain parce qu'il est autre, et par là, parce qu'il est hors du Même, parce qu'il est absolument Autre.
La question est
donc : comment à rebours de la logique de la différenciation culturelle, l'altérité peut-elle produire de la proximité ? Et quelle est la nature
de cette proximité ? Ne peut-elle pas être éthique ? Levinas, dans Le temps et l'autre, montre que l'avenir est en quelque sorte porté par
autrui (au sens où autrui annonce quelque chose de totalement autre donc qui tranche sur mon présent).
Cela permet d'introduire un sens
plus temporel contenu dans "prochain".
L'autre, mon prochain
A.
Le dialogue permet l'accord des esprits
Mais ramener toujours la relation avec autrui au conflit ou à la rivalité, c'est oublier qu'il est possible, dans l'amour, dans l'amitié ou
simplement dans le dialogue, d'établir avec autrui une communication authentique.
À travers les nombreux dialogues qu'il a composés, Platon montre notamment que l'entretien contradictoire est un bon moyen de parvenir
à l'accord des consciences.
Pour pouvoir nous entendre les uns avec les autres et vivre en bonne intelligence au sein de la cité, rien de tel
que le dialogue, nous suggère Platon.
Non pas un « dialogue de sourds », qui n'est que la juxtaposition de deux monologues (on n'écoute
pas ce que dit l'autre, on ne répond pas à ses arguments), mais l'entretien dialectique, au cours duquel chacun expose à l'autre ses
raisons et s'oblige à examiner les raisons de l'autre.
B.
L'amitié
L' amour du prochain, c'est-à-dire de l'autre considéré comme mon semblable, n'est-il pas la condition de toute paix sociale ?
Il semble en effet que le souci du bien de l'autre soit à la source de toute fraternité humaine.
Celui qui est mû par l'amour-propre ne
considère que ses seuls intérêts, et fait bien plus de cas d e lui que de tout autre, observe Rousseau.
En revanche, celui qui aime
sincèrement ses semblables prête attention à ceux qui l'entourent et s'efforce de ne pas leur nuire.
C'est ainsi qu'Aristote fait de l'amitié,
sentiment de bienveillance active et réciproque, le lien social par excellence.
L'amitié, dit-il, est « ce qu'il y a de plus nécessaire pour vivre
» ; nul bonheur n'est pensable si l'on est privé d'amis.
Encore faut-il insister sur le caractère désintéressé de la véritable amitié.
Si l'on
aime l'autre pour les avantages qu'on peut tirer d e sa fréquentation, c'est toujours soi-même qu'on aime à travers lui (ce qui nous
ramène à l'amour-propre) ; les vrais amis au contraire « se souhaitent pareillement du bien les uns aux autres », sans hypocrisie ni
arrière-pensée.
C.
Le respect
Mais quand l'amour repose sur l'attrait sexuel ou même sur la parenté (l'amour qu'on éprouve pour ses frères et soeurs, par exemple), il
devient difficile de faire la part entre l'« amour oblatif» (amour qui donne priorité à la satisfaction des besoins d'autrui) et l'« amour
captatif » (amour qui vise à la capture, à la possession de l'autre).
Par amour, je peux en toute bonne foi détruire la personnalité de
quelqu'un, ou du moins le priver de toute autonomie (si je suis pathologiquement jaloux, par exemple).
Aussi Kant ne considère-t-il
comme « sentiment moral » que le respect, en tant que ce dernier est « représentation d'une valeur qui porte préjudice à mon amourpropre ».
Le respect est, d'après Kant, le seul sentiment qui résulte de la détermination immédiate de la volonté par la loi morale.
Respecter l'autre, c'est m'interdire de l'employer comme un pur moyen au service de mes fins ; c'est m'incliner devant ce qui en lui est
proprement humain, à savoir le fait qu'il soit capable, comme tout être raisonnable, de se soumettre librement à la législation morale qu'il
a lui-même instituée.
« Personne n'est mon semblable, ma chair n'est pas leur chair, ni ma pensée leur pensée.
» Max Stirner, L'Unique et sa propriété,
1845.
C'est sur le constat du caractère unique de chaque individu que repose l'individualisme agressif de Stirner.
Nul ne peut partager mes
pensées, mes joies, mes souffrances ; l'autre est d'abord celui qui n'est pas moi, celui qui demeure irréductiblement étranger à moimême.
« Autrui, [...] c'est l'autre, c'est-à-dire le moi qui n'est pas moi.
» Sartre, L'Être et le Néant, 1943.
« Autrui, en tant qu'autrui, n'est pas seulement un alter ego.
Il est ce que moi je ne suis pas : il est le faible alors que moi je suis le
fort; il est le pauvre, il est "la veuve et l'orphelin".
» Levinas, De l'existence à l'existant, 1947..
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