Qui est autorisé à me dire tu dois ?
Extrait du document
«
Au delà de la signification littérale de l'interrogation, qu'il faut bien sûr dégager précisément, se pose la question
de son sens philosophique, de ses enjeux.
C'est bien sûr la question du devoir qui retiendra ici toute l'attention.
Quelle instance peut être reconnue comme habilitée à me dire « tu dois » ? S'agit-il d'une puissance extérieure à moi
- et me dictant une sorte de commandement sur fond de domination et d'assujettissement ? Mais un tel
commandement est-il légitime ? Les dix commandements de l'Ancien Testament mettent en scène un Dieu tout
puissant, et une créature humaine déjà convaincue de sa faiblesse comme de son aveuglement.
Obéir à un ordre
venu d'une puissance supérieure, c'est se soumettre - et reconnaître implicitement son infériorité, ou son inaptitude
à agir spontanément comme il convient.
Le « tu dois » est un impératif qui peut avoir des champs d'application
divers, notamment politique (« tu dois voter ») et éthique (« tu dois respecter l'humanité dans la personne d'autrui
»).
La question est de savoir si le « tu dois » peut relever d'un commandement autonome (de soi à soi), attestant la
capacité d'autodétermination de l'être humain, ou s'il met enjeu l'intervention d'un tiers, puissance transcendante ou
pouvoir établi.
Elle prendra sans doute une signification différente dans le champ politique et dans le champ éthique,
encore qu'une problématique de la souveraineté populaire (Rousseau) puisse être mise en parallèle avec une
conception de la loi morale autonome (Kant) puisque dans un cas comme dans l'autre « l'obéissance à la loi qu'on
s'est prescrite est liberté » (Rousseau, Contrat social).
On oppose communément la liberté à la loi.
Se soumettre à la loi, ce serait ne pas ou ne plus être libre.
Mais n'obéir
à aucune loi, serait-ce être libre ? Mais il faut s'entendre sur le terme liberté et sur le terme loi..
Il y a un premier sens du mot libre qui est négatif : être libre c'est ne pas être empêché de faire ce qu'on a envie de
faire.
On emploie le terme libre dans ce sens à propos des choses comme à propos des hommes : retirer d'un chemin
les arbres qui font obstruction, c'est libérer le passage, ne pas retenir un oiseau dans sa cage, c'est le laisser libre
de s'envoler, ne pas empêcher quelqu'un de s'étendre sur le gazon d'un jardin public, c'est le laisser libre de le faire.
Toute loi comporte des interdictions.
Dès lors toute loi réfrène la liberté, prise en ce sens négatif.
C'est le seul sens
que Hobbes donne au mot liberté.
Selon Hobbes, dans l'état de nature, chacun est empêché à tout moment, dans
ses mouvements et ses entreprises, par autrui qui est virtuellement son ennemi.
Mais les lois d'un Etat - institué en
vue justement de mettre fin à cet état de guerre qu'est l'état de nature - empêchent les individus de se nuire les
uns aux autres.
L'autre sens du mot liberté n'est réservé qu'à l'homme, et caractérise ce que Kant appelle l'autonomie : obéir, à la loi
dont on est, en tant qu'être raisonnable, l'auteur, ou encore, obéir à sa propre raison.
Obéir à sa raison, c'est être
pleinement responsable de sa conduite.
Etre libre, c'est s'obliger soi-même à une conduite raisonnable, s'interdire
certains débordements, en un mot c'est obéir à la loi qu'on s'est prescrite.
La loi peut s'entendre ici dans un sens moral, comme dans un sens politique.
Autrement dit, les obligations
auxquelles on se soumet volontairement et librement (alors qu'on subit bon gré malgré une contrainte) sont morales,
ou bien civiques.
C'est dans ce sens-ci d'obligation civique que Rousseau l'entend d'abord.
Rousseau dans le Contrat
Social jette les bases d'un Etat dont les lois constituent des obligations et non des contraintes : car c'est le peuple
souverain, plus exactement la volonté générale (selon la règle de la majorité) qui décide des lois.
Ainsi chacun
d'entre nous, en tant que citoyen, est libre parce qu'il se soumet aux lois dont il est l'auteur, en tant que membre
de la volonté générale.
L'obéissance
au
seul
appétit est esclavage et
l'obéissance à la loi qu'on
s'est prescrite est liberté.
(Du Contrat Social)
La liberté ne consiste pas à suivre nos désirs.
Elle
n'est pas dans l'absence de contraintes mais dans
le libre choix des contraintes que l'on se donne à
soi-même.
On peut appliquer cette idée au peuple.
Un peuple libre est celui qui se donne à lui-même
ses propres lois, ce qui définit la démocratie.
Le « tu dois », dans les problématiques de l'autonomie est plutôt un Je dois - le même sujet posant la loi et y
obéissant, ce qui revient à dire qu'il détient en lui-même le principe de son action.
L'effort portera donc essentiellement sur la légitimité de l'existence d'une instance extérieure de commandement sur ce qu'elle peut traduire.
La réflexion sur la différence entre « tu dois » et « je dois » sera à cet égard décisive.
De même que l'approche des conditions dans lesquelles une personne, ou un pouvoir, peut légitimement représenter,
lorsqu'elle me dit « tu dois », une exigence incontestable.
Obéir à un représentant de l'État républicain, après tout,
est-ce autre chose que de s'obéir à soi-même, si dans l'exercice de la souveraineté, ce représentant n'est rien de
plus que la forme incarnée de la loi que je me suis fixée à moi même tout en statuant sur la communauté ?
INTRODUCTION ET PROBLEMATISATION
De prime abord, l'expression « tu dois » se présente communément comme une injonction, un impératif
moral orientant mon choix ou mon agir selon un idéal moral ou des valeurs morales à l'instar des parents disant « tu
dois » à leur enfant.
« Tu dis » se présente tel un impératif moral qui serait à même de structurer l'ensemble de mes
actions.
Or qui est à même de m'adresser une telle injonction? Quelle est l'origine et quel serait le pouvoir d'un tel
impératif? S'interroger sur les fondements d'une telle adresse nous invite à discuter la nécessité ou la contingence
du contenu moral de nos actions.
Si une extériorité, une tierce personne, est à même de me dire « tu dois », cela
n'impliquerait-il pas que notre sentiment moral n'est pas inné et qui plus est ne s'absente -t-il pas de nos actions?
L'enjeu
est
de
s'interroger
ici
sur
la
dimension
morale
accompagnant
notre
agir
et
nos.
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