Qui dit "je" ?
Extrait du document
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Introduction :
Bien définir les termes du sujet :
- « Qui » : Pose la question de la personne, de l'instance à l'origine d'un acte, d'une parole, ou d'une pensée.
Il s'agit forcément de
quelque chose d'animé.
- « Dit » : verbe qui implique la parole, une instance énonciatrice, et une intention de signifier.
En général, on accorde la parole et le
langage aux humains seulement.
(les animaux sont aussi capables de signifier et de communiquer, mais les hommes sont les seuls à
pouvoir faire un récit ; ils ont une capacité narrative à la 3ème personne que n'ont pas les animaux –voir aussi la capacité de raconter des
choses imaginaires et impossible.)
- « Je » : pronom personnel de la 1ère personne, c'est le sujet en tant qu'il prend conscience de lui-même, en tant qu'il fait l'unité du
déroulement hétérogène de ses états de conscience et de ses actes du moi dans le temps.
« En même temps que je pense, j'ai plus ou
moins conscience de moi, de mon existence personnelle.
Et c'est le Je qui a conscience de ce Moi, si bien que ma personnalité est alors
comme double, étant à la fois le sujet connaissant et l'objet connu » W.
James.
– Il ne faut pas donner de citation dans une introduction
de dissertation en philosophie.
Ici celle-ci sert simplement à éclairer la définition, et à insister sur le fait que la prononciation du « je »
implique une conscience, et un dédoublement.
Construction de la problématique :
Le sujet ne remet pas en cause l'idée que le « je » soit l'apanage et le privilège de l'homme.
Nous l'avons vu, ce pronom implique
une conscience, une capacité de mettre soi et le monde à distance, et seul l'homme le peut.
Du fait de cette conscience et de
l'indétermination qui lui est consubstantielle, l'homme peut se déterminer de différentes manières.
C'est de cette multiplicité dont il s'agit
ici.
è Se pose donc la question de savoir qu'est-ce qui en moi ou à travers moi s'exprime.
Quelles sont les différentes instances qui
peuvent prendre la parole pour s'exprimer en moi ou à travers moi ?
Plan :
I/ Le « je » comme signe de la raison humaine :
● Même si cela paraît évident, on pourrait considérer tout d'abord que le s eul être à dire « je » est l'homme, et cela parce qu'il
possède une raison.
Autrement dit, ce ne serait pas l'homme dans son individualité et sa particularité qui dit « je », mais l'universalité de
la raison, de l'entendement.
● C'est ce qu'explique Descartes dans Les Méditations métaphysiques .
Descartes applique le doute à tout ce qui l'entoure, surtout le
monde matériel.
Il remet donc en cause l'existence de son propre corps, et doute finalement que celui-ci puisse réellement exister.
Il ne
serait qu'une illusion, et seule la pensée pourrait subsister.
En effet, pour avoir une illusion il faut au moins avoir une conscience qui
puisse être le jouet de ces illusions.
L'homme peut donc dire « je pense donc je suis ».
● Le cogito est ainsi prononcé non pas par un homme vu comme corps matériel, mais par une âme, une conscience, un entendement.
Dans ce cas, celui qui dit « je », c'est l'entendement de cet homme, et non pas l'homme lui-même.
Si l'on poursuit le raisonnement, le
« je » exprime non seulement une subjectivité donnée, un individu en particulier, mais aussi l'existence de la conscience.
Dire « je » c'est
avant tout énoncer qu'il existe un rapport au monde, une conscience qui rassemble en elle les éléments de la perception.
II/ Le « je » comme signe de mon environnement culturel :
Mais dire « je », c'est aussi porter une certaine subjectivité, et donc un certain bagage culturel.
Autrement dit, le « je » est aussi
celui de l'environnement dans lequel je vis, il exprime la manière dont la société, l'époque, m'ont déterminé.
● C'est ce qu'explique Durkheim, le fondateur de la sociologie.
Selon lui, le groupe n'es t pas une simple addition d'individus, mais
une synthèse autonome par rapport à ses constituants et les déterminants, et de ce fait, toute collectivité engendre de la "conscience
collective" ("ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une société"), laquelle élabore des
"modèles culturels" qui s'imposent aux individus et déterminent les contenus conscientiels, tant au niveau des émotions, réactions et
tendances qu'à celui de la pensée et donc de l'action.
● Cette conscience collective, dit Durkheim, "forme un s ystème déterminé qui a sa vie propre", elle es t "le type ps ychique de la
société, type qui a ses propriétés, ses conditions d'existence, son mode de développement, tout comme les types individuels, quoique
d'une autre manière" (De la division du travail social).
Ce type déterminant les individus, il n'y a donc d'identité individuelle que
relativement à une "identité collective", et cela par le biais d'une "pression sociale" toute puissante, laquelle s'emploie constamment à la
confirmation de cette identité (cf.
la notion de "déviance", et les sanctions sociales qu'elle implique).
C'est la raison pour laquelle l'individu
est un produit intégralement "culturel", et ne saurait donc être considéré comme un sujet au sens classique du concept.
● De ce fait, lorsque je dis « je », ce n'est as ma propre subjectivité qui parle, mais la société telle m'a déterminé.
III/ Le « je » comme conscience habitant le monde :
● Mais ces deux manières de raisonner ne sont pas tout à fait satisfais antes.
Descartes considère la conscience comme une s orte de
contenant extérieur au monde, mais censé en recevoir les objets, alors qu'il semble au contraire que la conscience habite le monde.
Durkheim quant à lui rend la personnalité individuelle impossible, le « je » n'est que le résultat de pressions sociales ; mais dans ce cas,
je n'existe as en tant que tel, et je ne suis as réellement responsable de mes actes dans le monde.
● C'est ce qu'explique M erleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception.
Selon lui, il n'est pas possible de surplomber le
monde comme le ferait la conscience de Descartes.
Merleau-Ponty part des paradoxes que soulève la perception : elle enseigne à la fois
une proximité absolue au monde (je suis du monde, dans le monde) et une distance irrémédiable (je ne puis pas me confondre dans le
monde, car j'ai toujours un point de vue sur lui).
L'homme occupe donc une place particulière dans le monde au sens propre, c'est-à-dire
qu'il observe toujours les choses selon un certain point de vue.
Il occupe un endroit précis du monde, et y sent son corps qui lui donne
alors un point de vue particulier sur ce qu'il observe.
● Le « je » est donc toujours celui d'une s ubjectivité ancrée dans le monde.
Notre conscience est engagée dans le monde, et ce
dernier est investi de notre subjectivité.
La conscience est en fait un centre de perspective (je ne vois pas le monde de la même manière
si j'ai mal aux dents, ou si je n'ai pas mal aux dents.) Celui qui dit « je » est donc celui qui habite le monde, qui en fait partie, et qui
possède un point de vue particulier sur celui-ci..
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