Qu'est-ce qu'une vertu ? Qu'est-ce qu'être vertueux ?
Extrait du document
«
Le mot vertu semble avoir vieilli.
Le sens commun l'accompagne volontiers d'une nuance ironique et envisage le problème comme posé
sur le plan exclusif de la vie privée.
C'est sans doute que les débats du Moyen Age sur la vertu ont encore quelque écho et semblent
scholastiques.
En fait le vieux problème de la définition de la vertu a toujours une grande importance mais il est traité à l'aide d'un autre vocabulaire.
Il
est question aujourd'hui de valeur.
Peut-être d'ailleurs faut-il regretter le terme de vertu, qui avait sa précision, quand il définissait les
qualités propres d'un homme dans la poursuite des valeurs morales.
Quand suis-je moral et quand ne le suis-je pas ? Quelle doit être ma règle de conduite, soit dans des circonstances importantes, soit dans
la vie de tous les jours ? Dois-je m'assigner une règle morale, et laquelle ?
La réflexion morale a été longtemps dominée par la pensée religieuse, l'histoire de la philosophie en fait foi.
La morale a été comprise
dans une atmosphère morale de spiritualité théologique.
La philosophie à la suite de la religion a pu définir la vertu comme la qualité de
l'âme humaine dans sa recherche de Dieu ou de l'absolu.
« Il faut aller à la vérité de toute son âme » disait Platon, et la vertu, dans la
philosophie morale de Socrate, est bien cet élan de l'homme vers la vérité, vérité dont il donne par ailleurs une définition « transcendante
», qui dépasse les limites de notre connaissance.
Dans la pensée religieuse, cette vérité à laquelle l'homme doit adhérer, c'est Dieu même.
Le premier
devoir de l'homme est d'aimer Dieu.
Sans doute la morale religieuse est humaniste, mais pourrait-on
dire, au second degré.
Dieu apprend à l'homme à aimer son prochain, ce Tu aimeras ton prochain
comme toi-même et cela pour l'amour de moi » dit le Christ.
Ce rapport a été appelé par un philosophe
contemporain le rapport théandrique.
Les trois vertus théologales, la foi, l'espérance, la charité, ne sont
au fond qu'une seule et même vertu, l'amour de Dieu.
Dans la pensée contemporaine, tout un courant philosophique définit la vertu comme l'effort de
l'homme pour s'adapter à l'absolu, pour s'entraîner à lui et se perdre dans la félicité.
Plus que le sage,
serait vertueux, le héros, dont la philosophie bergsonienne a fait un pôle d'attrait, d'entraînement à la
vie morale.
On retrouve ici le sens du latin virtus, qui doit se traduire par courage ou force d'âme.
L'homme vertueux est celui qui aura pu se vaincre en tant qu'homme et qui aura tenté de dépasser sa
condition humaine.
Sa conduite sera imperceptiblement empreinte d'une certaine démesure, qui fera
exemple et appel.
Sans doute au départ était-il un homme, mais un fossé invisible le sépare
désormais de ses semblables pour lesquels il devient figure idéale en laquelle se reflète l'idéal
inaccessible.
La forme la plus pure de l'héroïsme sera la sainteté.
L'homme y accomplira pleinement sa
condition d'homme dans le sacrifice, et par une bizarre contradiction, se sera séparé des autres
hommes, en atteignant l'absolu.
La vertu devient dans cette perspective une sorte de qualité qui fait d e certains hommes l'élite
privilégiée de la moralité.
La vertu serait une nature.
Et comme telle, à la manière d'un don, réservée
aux vertueux (chargés, en fonction d'on ne sait quel décret d'incarner la valeur).
A définir ainsi la vertu,
on risque d e décourager le commun des mortels, celui qui précisément n'est pas, par sa nature,
vertueux.
Enfin, cette force d'âme intrinsèque doit-elle être définie en dehors de la raison, de la réflexion, ou même les contredisant ? Le bon sens
répugne à caractériser la vertu comme « une force qui va », à la façon des forces romantiques, sans savoir où elle va.
Sans minimiser la
valeur morale des définitions précédentes la pensée rationaliste veut s'appuyer sur des analyses plus précises, et partant sur l'homme tel
qu'il est et se conduit.
Elle place la vertu dans une perspective humaniste.
L'humanisme pourrait être défini, du moins à l'époque où nous le considérerons, comme l'effort pour mettre l'homme au centre des
préoccupations philosophiques ; en morale comme l'effort pour proposer à l'homme des règles qu'il puisse suivre avec ses ressources
propres d'humanité.
« Il suffit de bien juger pour bien faire », disait Descartes.
C'est définir la vertu comme discernement.
Le discernement consiste à ne pas
confondre la chose que l'on considère avec une autre.
Il faut rechercher, ici comme partout ailleurs, la
clarté.
Dans l'esprit de Descartes, la morale arrive dans un ordre ; elle succède à l'établissement des
autres sciences.
Il semble bien que la morale suppose la science, et (bien que sa morale ne se
conçoive pas comme morale scientifique), l'homme qui a le plus de chance d'être vertueux, c'est celui
qui aura le plus de connaissances pour bien juger.
Bien juger, tout est là, le bien agir suivra, avec une
sorte de nécessité consentie.
Au terme, l'homme vertueux serait le sage et peut-être même le savant.
On peut se demander si alors la vertu ne serait p a s à nouveau et d'une autre manière le privilège
d'une élite de la connaissance.
Cette pensée semble étrangère à Descartes qui, dans sa
correspondance, s'intéresse aux qualités morales des gens simples et les admire.
La vertu ne serait-elle pas ce qu'il y a en l'homme de plus universel, et la possibilité pour tout homme
de percevoir pleinement qu'il est homme, c'est-à-dire une raison ? C'est le sens de la célèbre analyse
kantienne de la bonne volonté.
Est vertueux tout homme qui accomplit son devoir, parce que c'est son
devoir, sans se soucier des conséquences.
Dans ces conditions, la vertu serait à la fois très commune,
— en puissance, — et fort rare, — en fait —.
Elle serait possible pour tous et ne saurait être construite
par le philosophe dans son cabinet, comme le fait remarquer Kant.
Ce qui caractérise les définitions précédentes et les rend dangereuses, c'est que la vertu reste la qualité
d'une â m e et n'est pas attachée, du moins, fondamentalement, aux actions réelles qui font notre
conduite.
Or « l'enfer est pavé de bonnes intentions ».
Nous connaissons des hommes qui savent où
est le bien et qui font le mal ; comme disait Polyeucte à Néarque : La foi qui n'agit point, est-ce une foi
sincère ?
Une vertu ne saurait se définir en dehors de sa pratique.
C e n'est pas là éliminer les définitions
précédentes : effort de l'homme pour atteindre à l'idée du bien, travail de discernement, etc.
C'est au
contraire les rendre réelles.
Une vertu ne saurait exister, sinon « ici et maintenant ».
Après une discussion sur le fondement de la morale,
le moraliste Frédéric Rauh proposait ironiquement cette question aux métaphysiciens : Mais vous, que pensez-vous de l'impôt sur le
revenu ?
La vertu est la conduite pratique de l'homme en marche vers lui-même, c'est-à-dire vers l'idée qu'il se fait de lui-même en tant qu'être
universel.
C'est parmi des difficultés réelles que nous aurons à exercer notre tâche d'hommes.
Nous ne saurions négliger ni les
informations que nous apportent les sciences, ni davantage celles que nous procurent l'histoire, la sociologie, la psychologie.
On ne peut
sans imprudence séparer la vertu de la connaissance.
On risquerait d'offrir aux hommes des buts trop vagues et de tromper leur bonne
volonté.
La vertu des vertus peut-elle être dite courage, force d'âme ? Ce sont accompagnements ordinaires de la vertu, non la vertu elle-même.
La vertu est inséparable de son objet, ce qui nous permettrait d'entrevoir une hiérarchie des vertus au premier rang de laquelle il faudrait
placer la justice, parce qu'elle contient à la fois le coeur et la raison, et qu'en chaque occasion elle nous oblige à réfléchir nos actes, et,
comme l'on dit, à les ajuster à leur objet..
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