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qu'est-ce qu'une théorie scientifique ?

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« Il y a quarante ans, Pierre DUHEM publiait La Théorie Physique, son principal ouvrage de philosophie des sciences.

Les idées qu'il y exprimait sont devenues pour la plupart monnaie courante, mais elles marquaient alors une étape dans la réflexion sur les théories scientifiques.

Nous nous inspirerons ici de cet ouvrage, tout en notant les points sur lesquels les idées de Pierre DUHEM sur ce sujet nous paraissent actuellement dépassées. I.

— DÉFINITIONS. Précisons d'abord les notions d'hypothèse et de théorie.

Actuellement on entend généralement par hypothèse une proposition affirmant une relation définie entre certaines grandeurs physiques ou certains phénomènes; cette relation n'est pas directement vérifiable par l'expérience, et c'est ce qui distingue l'hypothèse de la loi scientifique, mais les conséquences qu'on peut en tirer par raisonnement doivent être conformes aux faits connus jusqu'à cette heure. On appelle théorie, ou parfois grande hypothèse, « un système de propositions déduites d'un petit nombre de principes qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible un ensemble d e lois expérimentales » (P. DUHEM). On le voit, une théorie a comme point de départ une ou plusieurs hypothèses qui lui servent de fondement, selon le sens étymologique du mot hypothèse, et à partir desquelles elle développe toute une représentation cohérente d'un ensemble de faits.

Dans les sciences physiques, une thèse s'exprime généralement en une relation mathématique simple plusieurs grandeurs physiques, et une théorie prend la forme d'une rie mathématique se développant à partir de l'expression algébrique des hypothèses combinées entre elles suivant les lois de l'analyse Mathématique. Ainsi, en physique, la théorie ondulatoire de la lumière que (nous prendrons pour exemple est fondée sur l'hypothèse suivante : la lumière est constituée par la prorogation de mouvements vibratoires périodiques continus.

Partant alors de l'expression mathématique bien connue des oscillations sinusoïdales, elle développe une représentation des divers phénomènes optiques comme interférences, diffraction, polarisation, réflexion et réfraction de la lumière.

Chemin faisant, elle précise au besoin son hypothèse fondamentale p a r d'autres hypothèses, comme celle par exemple qui suppose que les vibrations lumineuses sont transversales, c'est-à-dire perpendiculaires à la direction du rayon lumineux.

Ceci permet d e rendre compte d e façon satisfaisante de nouveaux groupes de phénomènes. II.

ÉLABORATION D'UNE THÉORIE. On voit donc que, idéalement, une théorie se constitue suivant quatre étapes : A.

Le choix et la définition de certaines grandeurs mesurables : dans le cas de l'optique ondulatoire, ce sera par exemple les coordonnées d'espace et de temps, la longueur d'onde et l'intensité lumineuse, etc. B.

Le choix des hypothèses fondamentales qui relient ces grandeurs.

Le choix de ces hypothèses et leur nombre sont commandés par le but de la théorie qui est de tendre à exprimer et à représenter de façon simple, exacte et synthétique tous les phénomènes et toutes les lois d'une branche de la science. C.

Le développement rationnel de la théorie : déductions mathématiques en sciences physiques, raisonnements et rapprochements théoriques en sciences naturelles. D.

La confrontation de la théorie avec l'expérience.

Le raisonnement a permis de déduire des relations nouvelles entre les grandeurs physiques; ces relations doivent exprimer des lois : le savant contrôlera alors si ces lois coïncident avec celles que l'expérience a déjà fournies ou que de nouvelles expériences peuvent vérifier. Il est donc essentiel que le développement rationnel aboutisse à des relations vendables par l'expérience.

En optique, il est impossible de vérifier directement si la lumière est constituée par des vibrations transversales : ces vibrations sont insaisissables par nos moyens expérimentaux.

Mais les lois qu'on en déduit, par exemple, sur les phénomènes d'interférences des ondes, sont vérifiables par de multiples expériences qui nous montrent les franges d'interférence et nous permettent de les compter, de mesurer leur écartement, l'intensité lumineuse en chaque point, etc.

On dira donc que cette théorie est conforme à l'expérience sur ce point.

Ceci nous amène à parler de la valeur des théories scientifiques. III.

— LA VALEUR D'UNE THÉORIE SCIENTIFIQUE. A.

théorie et expérience.

— « La théorie physique n'a d'autre objet que de fournir une représentation et une classification des lois expérimentales; la seuls épreuve qui permette de juger une théorie physique...

c'est la comparaison entre les conséquences de cette théorie et les lois expérimentales qu'elle doit figurer et grouper.

» (P.

DUHEM.) C'est inversement la poussée des observations nouvelles et des faits nouveaux qui oblige les théories à se préciser ou à s'élargir et se transformer pour rester adéquates au réel. B.

Exemple.

— Ainsi en fut-il de la théorie de la lumière.

Roemer avait découvert en 167S, en observant les anomalies des éclipses des satellites de Jupiter, que la lumière se propage à une vitesse finie de 300.000 kilomètres à lia seconde.

La théorie de l'émission, exprimée par NEWTON vers 1700, s'accordait avec ce fait.

Elle régna au XVIIIe siècle.

Cependant, elle expliquait bien mal les phénomènes de diffraction déjà connus.

Au début du XIXe siècle, l'étude précise des franges d'interférence par YOUNG et des franges de diffraction par FRESNEL poussa ces physiciens à reprendre et à préciser la théorie de l'ondulation naguère esquissée par HUYGENS : la lumière consistait bien en l'émission d'un phénomène se propageant à une vitesse finie, mais le phénomène émis était un train d'ondes, et non une rafale de corpuscules. Nouveau progrès : cette théorie une fois élaborée, FRESNEL explique victorieusement un grand nombre d e faits autres que ceux qui l'avaient mis en éveil : double réfraction dans les cristaux, polarisation, etc.

Ce fut la polarisation qui contraignit à supposer les vibrations transversales.

Mieux encore, la théorie, en se développant, devançait l'expérience, et le savant « lui enjoignait cet ordre audacieux : Prophétise ! » (P.

DUHEM).

Le mathématicien Poisson calcula que si la théorie de Fresnel sur la diffraction était vraie, il devait s'ensuivre la conséquence étonnante que voici : si on place un tout petit écran opaque et rond perpendiculairement sur le trajet d'un rayon lumineux, il existe derrière l'écran et sur son axe, au milieu de l'ombre, des points aussi lumineux que si l'écran n'était pas interposé.

L'expérience vérifia ce fait inattendu prévu par le calcul. Mais c'est en 1850 que la théorie ondulatoire triompha, définitivement de sa rivale : la théorie de l'émission prévoyait que la vitesse de la lumière devait être plus grande dans un milieu plus réfringent comme l'eau.

La théorie ondulatoire prévoyait le contraire.

D'où possibilité d'une expérience discriminante.

FOUCAULT réussit, par l'expérience très ingénieuse du miroir tournant à 400 tours à la seconde, à comparer les vitesses de la lumière dans l'eau et dans l'air sur une distance de quelques mètres : il trouva que la lumière se propageait plus lentement dans l'eau : coup mortel pour la théorie de l'émission. Remarquons qu'une expérience de cette nature ne décide pas seulement de l'exactitude d'une loi particulière sur la vitesse de la lumière, mais de toute une théorie à multiples propositions qui forme un tout solidaire, et doit être confrontée en bloc avec l'expérience, prise en défaut sur une de ses conséquences.

La théorie de l'émission était tout entière ébranlée. C.

Conclusion.

— La valeur d'une théorie scientifique se mesure donc à trois signes : 1° Elle ne doit être contredite par aucun fait certain. 2° Elle doit représenter exactement un ensemble de lois relatives à une branche de la science. 3° Elle doit permettre de prévoir de nouvelles lois.. »

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