Qu'est-ce qu'une évidence ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
ÉVIDENCE : Ce qui s'impose immédiatement à l'esprit, avec une vérité dont on ne peut pas douter.
Qu'elle soit naïve (dans l'opinion)
ou non (dans la connaissance rationnelle), l'évidence est une expérience subjective.
Pour traiter convenablement ce sujet de dissertation, il ne faut pas énumérer divers cas d'évidence.
Il vous faut problématiser le sujet
autour des concepts d'évidence et de vérité.
Qu'est-ce que l'évidence ? Est-ce une manifestation objective de la vérité ? L'évidence
n'est-elle que préjugé, subjectivité ? L'évidence est-elle le critère de la vérité ?
Le vrai est à lui-même sa marque
• Ce point acquis, il faut chercher maintenant quel est le critère de la vérité.
Comment reconnaître, caractériser, définir le jugement
vrai ? La réponse la plus simple est celle-ci : le jugement vrai se reconnaît à ses caractères intrinsèques, il se révèle vrai par luimême, il se manifeste par son évidence.
• « La vérité est à elle-même son propre signe » (verum index sui), écrit Spinoza dans L'Éthique (1677) ; «De même que la lumière se
montre soi-même et montre avec soi les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son critérium et elle est aussi celui de l'erreur ».
Cette identification de la vérité et de l'évidence se trouve déjà chez Descartes, qui se fixe comme première règle de n'accepter comme
vrai que ce qui se donne clairement et immédiatement pour vrai : « Ayant remarqué qu'il n'y a
rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois
très clairement que, pour penser, il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle
générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes
vraies », écrit-il dans la 4e partie de son Discours de la méthode (1637).
Pour Spinoza comme
pour Descartes, une idée qui s'impose avec clarté et distinction est une idée vraie, et il n'y a
point à chercher au-delà.
C'est donc dans l'intuition de l'évidence des idées claires et distinctes que Descartes situe le
critère du vrai ; une perception claire de l'entendement étant « celle qui est présente et
manifeste à un esprit attentif » et « distincte, celle qui est tellement précise et différente de
toutes les autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la
considère comme il faut.
» (« Principes », I, 45).
Sous l'évidence, les préjugés
• Cette conception de la vérité peut être dangereuse, car l'évidence est mal définie.
Nous
éprouvons un sentiment d'évidence, une impression d'évidence ; mais devons-nous accorder à
cette impression une valeur absolue ? Descartes a bien senti la difficulté puisque, après avoir
affirmé que nos idées claires et distinctes sont vraies, il reconnaît «qu'il y a seulement quelque
difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement »...
En fait,
l'impression vécue de certitude n'est pas suffisante pour caractériser le jugement vrai.
Car on peut éprouver un fort sentiment
d'évidence et pourtant être dans l'erreur.
Dès lors, comment distinguer les fausses évidences et les vraies évidences ? C'est ici qu'un
critère objectif serait nécessaire, comme Helvétius (1715-1771) le fait ironiquement observer : « Descartes a logé la vérité à
l'hostellerie de l'évidence, mais il a négligé de nous en donner l'adresse.
»
• Souvent les passions, les préjugés, les traditions fournissent des contrefaçons d'évidence.
Nous avons tendance à tenir pour claires
et évidentes les opinions auxquelles nous sommes habitués.
En revanche, les idées nouvelles les mieux fondées ont du mal à se faire
accepter.
Au nom de l'évidence, c'est-à-dire des traditions bien établies et des idées coutumières, les penseurs officiels, installés dans
leur conformisme, ont souvent critiqué les grands créateurs d'idées neuves.
L'Académie des sciences se moqua de Pasteur, comme les
vieux chimistes s'étaient moqués des découvertes de Lavoisier.
Peut-on faire l'économie de l'évidence pour définir la vérité ?
Aussi, pour Leibniz qui juge l'évidence intuitive toujours sujette à caution, le raisonnement en forme fournit l'instrument du vrai, car il
dépasse le psychologique pour s'élever au logique, au nécessaire.
A l'immédiateté de l'intuition il oppose les étapes nécessaires de la
démonstration, conçue comme chaîne où l'on substitue aux définis les définitions, et selon un ordre d'implication logique dont le
syllogisme fournit un des modèles.
« Tous les hommes sont mortels.
Or, Socrate est un homme.
Donc Socrate est mortel.
»S'il est
évident que Socrate est un homme, cette évidence, pour être communiquée et fondée, requiert l'appel, non à une intuition, mais à la
formalisation des relations d'implication logique entre des idées qui ne sauraient être considérées comme des absolus, mais comme les
résultats de définitions ou de démonstration.
Toutefois, et aussi loin que l'on pousse ce travail de réduction des éléments par application du principe d'identité, n'est-il pas inévitable
de parvenir à un terme pour lequel on jugera que l'évidence intrinsèque du rapport ou du défini est, en fin de compte, et au moins pour
nous, plus claire que la démonstration que l'on pourrait en tenter ? Et quel que soit par ailleurs le degré de formalisation des règles, ne
faut-il pas toujours juger qu'elles sont correctement appliquées ?
Ainsi force nous est de constater que le débat entre intuitionnisme et formalisme ne saurait se clore au bénéfice unique de l'un des
deux termes, ce qui est probablement le signe qu'ils constituent non pas deux éléments strictement antithétiques, mais plutôt deux
pôles irréductibles de la connaissance humaine.
Ce que Descartes affirme, contre les critiques du formalisme, « tout critérium qu'on
voudra substituer à l'évidence ramènera à l'évidence ».
»
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