Qu'est-ce qu'une émotion esthétique ?
Extrait du document
«
D'un point de vue psychophysiologique, l'étude de l'art est fréquemment rattachée à celle de l'émotion, bien qu'on
soit encore loin d'un consensus quant au caractère émotif du comportement esthétique.
Cependant, l'empathie
– ou, plus explicitement, l'Einfühlung allemand – joue un rôle incontestable dans de nombreuses théories
esthétiques.
Mais dans un domaine aussi neuf, les connaissances actuelles sont insuffisantes pour démêler avec
certitude l'avéré de l'hypothétique et du faux ; il est donc indispensable d'être particulièrement prudent lorsqu'on
parle d'émotion en esthétique.
Face à l'art, on peut ressentir une palette de sentiment, avoir des attitudes qui ne
sont en rien émotive.
La réflexion en fait partie.
Aussi l'émotion esthétique sera une catégorie particulière de
l'émotion où l'esprit aura une grande importance.
1) La catharsis comme émotion esthétique ?
L'ambiguïté même de la traduction du mot catharsis chez Aristote invite à une réflexion cette ambiguïté n'est pas
seulement hésitation possible d'un traducteur zélé, elle est l'indice d'un problème réel d'interprétation.
En choisissant
purification ou purgation, on s'engage dans une voie précise et l'on détermine du même coup, a priori, le statut de
la contemplation esthétique.
Si l'on traduit catharsis par purgation, la contemplation esthétique apparaît alors
comme un simple phénomène mécanique de décharge d'un trop-plein d'affects, phénomène nécessaire pour la
préservation de la cohésion du groupe.
Si l'on traduit catharsis par purification, la contemplation esthétique devient
une opération d'ordre essentiellement intellectuel et moral, proprement individuel, révélant une promotion interne du
sujet contemplant, puisque ce dernier purifie des émotions d'abord impures.
Le statut de la contemplation
esthétique se lie donc étroitement à celui de l'individu au sein du groupe social.
Le plaisir que procure la tragédie est spécifique.
Aristote le définit ainsi : «
[...] la tragédie est l'imitation d'une action de caractère élevé et complète,
d'une certaine étendue, dans un langage relevé d'assaisonnements d'une
espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite par des
personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et
crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions.» Assaisonnement du
langage désigne la proportion variable de chants et de vers.
L'essence de la
tragédie réside dans l'action, non dans le récit, action représentée en un
temps limité.
Le plaisir résulte des émotions ressenties: crainte et pitié.
Tout
cela est clair.
Aristote mentionne la cause et les effets.
Mais sur le mécanisme de l'opération, peu de détails ! Un seul terme assez
inattendu: «purgation», catharsis.
On peut dire aussi « purification ».
Ce mot
a donné lieu à maints commentaires.
Chez Aristote lui-même, il est l'objet de
plusieurs interprétations.
On croit comprendre qu'il y a un rapport entre
l'imitation, la mimésis, et la purgation, la catharsis: devant un spectacle
représentant des actions éprouvantes, je suis enclin à ressentir les mêmes
émotions que l'on cherche à provoquer en moi.
La représentation de
sentiments violents ou oppressants, par exemple la terreur, l'effroi ou la pitié,
bien que mimés et donc fictifs, déclenche dans le public, dans la réalité, des
sentiments analogues.
Cette réaction est banale dans la vie courante; trop d'événements réels,
effrayants ou affligeants, suscitent des émotions correspondantes, par exemple, de la compassion pour les victimes.
Mais ce phénomène est plus surprenant lorsqu'il s'agit d'un spectacle créé et imaginé de toutes pièces.
Il suppose
une identification avec un personnage et non plus avec une personne.
Certes, cette identification a ses limites, car
il ne s'agit pas d'imiter, de copier ni de transposer dans la vie réelle les actions qui se déroulent sur la scène.
Et l'on
imagine mal un jeune homme, influencé par l' "Œdipe" de Sophocle, décidant de tuer son père, de commettre un
inceste avec sa mère et de se crever les yeux.
Ce transfert de la fiction à la réalité est-il toutefois tellement inconcevable? Pour nous, malheureusement non.
Mais,
pour Aristote, certainement.
En éprouvant des sentiments analogues à ceux que la tragédie provoque en moi, je me
libère du poids de ces états affectifs pendant et après le spectacle.
J'en ressors comme purgé et apaisé.
Ces
émotions préexistaient-elles en moi à l'état latent et le spectacle s'est-il contenté de les éveiller? Ou bien les a-t-il
d'un bout à l'autre provoquées? Le spectateur est-il prédisposé, par sa nature même, à réagir en fonction d'une
représentation spécialement conçue pour le troubler en des points sensibles de sa personnalité ? Aristote ne le dit
pas.
La "Poétique" ne répond pas vraiment à l'attente de la "Politique".
Aristote, là aussi, avait évoqué la catharsis,
mais uniquement à propos de la musique «Nous disons qu'on doit étudier la musique, non pas vue de l'éducation et
de la purgation - ce que nous en vue d'un avantage unique, mais de plusieurs (en nous en reparlerons plus
clairement dans un entendons par purgation, terme employé en général, traité sur la poétique - et, en troisième lieu,
en vue du divertissement, de la détente et du délassement après la tension de l'effort).
» Certes, il en reparle, mais
si peu !
En revanche, la "Politique" donne quelques précisions qu'on ne retrouve pas dans la "Poétique": à la crainte et à la
pitié s'ajoute l'«enthousiasme».
A propos de cet état d'exaltation, Aristote fait référence explicitement au sens
thérapeutique du terme: «certains individus ont une réceptivité particulière pour cette sorte d'émotions
[l'enthousiasme], et nous voyons ces gens-là, sous l'effet des chants sacrés, recouvrer leur calme comme sous
l'action d'une cure médicale ou d'une purgation.
»
Est-ce pour lui, une manière de retrouver le lieu commun selon lequel «la musique adoucit les mœurs» ? Il y a sans.
»
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