Qu'est-ce qu'un mot ?
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Qu'est-ce qu'un mot ?
Le langage est un produit de la vie en société ayant pour fin la communication.
C'est un système de signes
qui sont utilisés intentionnellement par un sujet et qui se traduisent dans différentes langues réelles.
Le langage est donc éminemment humain : une abeille n'utilise pas intentionnellement son code, elle l'effectue
d'instinct, comme un programme.
Et pour toutes les abeilles, il n'y a qu'un seul code, une seule et même "danse"
signifiante.
Leur réseau de signes est naturel et non pas culturel.
En revanche, la diversité des langues traduisant
différemment la fonction du langage est culturelle.
La manière dont l'homme actualise la fonction du langage dépend
d'un contexte socio-culturel et historique.
Prendre la parole, ce n'est pas seulement effectuer un code.
Se servir du
morse pour transmettre des informations et en recevoir, cela n'épuise pas toute la richesse que contient une langue
ouverte à l'imprégnation de l'histoire, aux innovations poétiques ou populaires, aux jeux de mots, à l'implicite, aux
bafouillements qui expriment le désir de parler, et même de parler pour ne rien dire.
Une langue, c'est un système arbitraire ou conventionnel de signes propres à une communauté linguistique.
Qu'estce que cela veut dire ? Appeler "table" l'objet table est une convention ; c'est une règle à propos de laquelle les
locuteurs se sont mis d'accord par commodité, mais on aurait pu trouver une autre règle d'appellation.
La
convention est fondée par l'accord des usagers de la langue.
Dire "table" pour désigner l'objet visé, cela ne repose
pas sur les propriétés de l'objet.
Rien dans l'objet ne contraignait à l'appeler plutôt ainsi qu'autrement.
C'est
pourquoi la convention est arbitraire.
"Arbitraire" : ce qualificatif rappelle que la dénomination, qui a été choisie par
un groupe pour désigner les objets, aurait pu être complètement différente puisqu'elle n'est pas fondée en raison
dans une qualité de l'objet.
La raison d'être du mot employé, ce n'est pas un aspect de l'objet mais une décision du
groupe humain.
Voilà pourquoi la langue est un système de signes conventionnels et arbitraires.
Mais ce n'est pas tout.
Certes, la langue est un système de signes conventionnels et arbitraires propres à une
communauté linguistique donnée.
Il faut aussi souligner que ce système de signes s'impose à l'individu, lui offre un
répertoire dans lequel il peut manifester ses intérêts, ses désirs, réaliser le désir de parler, de communiquer, et grâce
auquel il donne une certaine tournure à sa pensée.
A ce titre, il est impossible de détacher une langue de la communauté qui la met en œuvre ou de l'individu qui la
parle.
La langue n'est pas un système de signes figé et clos.
La langue a une histoire, elle évolue dans le temps et
dans l'espace en fonction du contexte politique ou du milieu social ; elle change d'un individu à un autre en fonction
du faisceau de valeurs dont chaque individu se fait le porte-parole.
Voilà le paradoxe : même si nous parlons la
même langue, nous ne parlons pas la même langue ! En effet, chacun de nous marque ce système de signes de son
appartenance culturelle et sociale : nos intonations, nos accents (banlieue, snobisme ou accent régional…)
spécifient l'usage d'une langue pourtant commune.
C'est en se fondant sur cette idée que dans Ce que parler veut
dire, le sociologue Pierre Bourdieu considère que parler veut dire plus que communiquer un point de vue, plus
qu'informer : c'est aussi et surtout dire d'où l'on vient et, par la manière de s'exprimer, c'est se situer dans une
échelle sociale.
Une hiérarchie de classe marquerait l'élocution, l'acte d'utiliser la langue et contribuerait à figer les
rapports sociaux car il est très difficile de changer une manière de parler.
Notre sensibilité esthétique, notre goût de la poésie ou notre niveau de culture, d'érudition, ou notre absence de
culture et la pauvreté de notre vocabulaire, tout cela nous amène à choisir des termes qui disent quelque chose de
nous, de notre appartenance sociale et culturelle.
On dit d'ailleurs de certains, qui ont un beau bagage culturel,
qu'ils utilisent "un vocabulaire choisi" : les mots ne leur manquent pas.
Leur répertoire est suffisamment vaste pour
qu'ils choisissent le terme le plus approprié à une situation.
Qui manque de mots, en revanche, s'empare de celui qui
lui vient à l'esprit, en dépit des rudiments de la diplomatie.
La violence verbale serait ainsi le signe d'une carence du
langage de l'individu qui ne peut exprimer sa frustration par les voies détournées d'une périphrase bien sentie à la
politesse irréprochable.
La spontanéité du langage serait ainsi l'expression d'un manque de choix.
"tenir un drôle de
langage", "être prié de changer de langage" : ces jugements de valeur montrent que parler, c'est bien plus que
communiquer une information sur un sujet donné.
C'est aussi exister aux yeux du groupe, se voir attribuer une
identité sociale, endosser un rôle.
Mais l'expression verbale ne témoigne pas que d'une appartenance sociale.
Le choix des termes que nous employon.
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