Qu'est-ce qu'un concept ?
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«
Le mot concept est le substantif formé à partir du verbe concevoir, qui étymologiquement signifie "prendre avec" ou prendre ensemble ».
Le mot concept,
peu employé dans le langage courant, appartient plus spécifiquement au langage philosophique.
Il est utilisé comme synonyme d'idée abstraite et générale.
Ainsi, par exemple, le mot « cheval », le mot e justice » sont des concepts.
Les mathématiques raisonnent à partir de concepts, le langage assemble ces
concepts généraux que sont les noms communs de façon à les adapter aux objets particuliers que nous proposons de désigner.
Mais les exemples que nous
avons choisis, les indications que nous donne l'étymologie, nous permettent d'entrevoir de façon plus précise le problème que pose le concept.
Quelle est
sa réalité ? Est-il une idée ou une chose, ou est-il, à la rigueur, un son, ce son même qui sert à le désigner ? S'il est une réalité, comment peut-il désigner
des choses différentes, cest-à-dire comment peut-il être abstrait et général ? S'il est une « idée pure », comment peut-il s'adapter aux objets réels qu'il
permet pourtant de désigner ? Ce problème a une grande importance, car, s'il n'y a de science que du général, si la science se compose, ce qui est un fait,
uniquement de concepts, le problème posé aboutit en somme à poser celui de la valeur de la science.
Ce n'est pas faire avancer beaucoup la question que de définir le concept comme une « idée abstraite et générale » car, cette idée, comment peut-elle se
former ? Nous retrouvons ici des problèmes anciens et que posait avec beaucoup d'insistance la scolastique.
A bstraire, c'est « tirer de », c'est-à-dire
reconnaître dans plusieurs objets un caractère commun, sans considérer les caractères particuliers différents qu'ils peuvent présenter.
Mais pour abstraire,
il faut donc généraliser.
Et la difficulté se retrouve, en sens inverse; on ne saurait généraliser si l'on ne sait déjà abstraire.
Il faudrait donc admettre que le
pouvoir d'abstraire et de généraliser est inné dans notre esprit, ce qui est contredit par l'expérience, qui nous montre la lente conquête de ce pouvoir par
l'enfant, conquête qui est le prix d'une longue lutte avec le monde extérieur.
Mais il serait aussi superficiel d'admettre que l'idée générale soit le résultat
passif d'une usure des sensations, en quelque sorte une sensation « moyenne et qui, ne s'appliquant plus à aucune d'entre elles, s'applique à toutes.
Ces
vieilles querelles, dont on serait tenté de minimiser l'importance, ne concernent pas en réalité la manière dont le concept se forme, mais sa nature, et en
conséquence, son rôle et sa valeur.
Est-il une idée pure ? Mais alors il faut admettre que la science est une construction purement logique et que les
grandes théories, assemblages de concepts, sont « vraies » plutôt que réelles.
Le concept est-il au contraire un résidu des sensations ? Mais alors, c'est
ouvrir la voie au scepticisme, qui renaît toujours, a-t-on dit, de l'empirisme.
Examinons avec plus de précision comment se forme chez l'enfant ce qu'on appelle un concept.
C ommence-t-on par généraliser, par abstraire ? Ce n'est
nullement ainsi que le problème se pose.
En face de situations objectivement différentes, l'enfant, — qui ne dispose, à cause de son faible développement
physique et intellectuel, que de peu de réactions, — adopte une attitude quasi identique.
Il généralise par la force des choses, pourrait-on dire, car il ne sait
pas encore différencier.
Ainsi devant un canard inoffensif, un jars de mauvaise humeur, un avion, une pièce de monnaie portant l'effigie d'un aigle, il fera le
même mouvement de bras et prononcera le mot qui, dans son vocabulaire approximatif, signifie oiseau.
Mais peu à peu, l'expérience lui apprendra certaines différences essentielles : mauvais caractère du jars, bruit de l'avion, immobilité de la pièce de monnaie,
etc.
Bergson parle d'une ressemblance vécue qui précéderait celle conçue par le moyen du concept.
Peut-être vaudrait-il mieux dire « ressemblance
pratiquée, expérimentée concrètement ».
C'est par rapport à lui-même, à son pouvoir, que l'enfant classe les objets : d'abord ceux qui lui sont hostiles et
ceux qui lui sont favorables.
Peu à peu, et d'autant plus vite que le langage et les catégories sociales qu'il contient, lui viennent en aide, l'enfant apprendra
de nouveaux classements, et les dépouillera de la tonalité affective qu'ils contenaient, évoluant ainsi vers la pensée rationnelle.
Mais l'aspect apparemment
abstrait et intellectuel du concept ne doit pas nous tromper : il s'agit d'une conduite, d'une activité qui ne sont plus posées comme telles, mais qui n'en
restent pas moins liées à notre action.
Aussi bien voit-on l'enfant acquérir de nouveaux concepts à mesure que ses possibilités physiques et intellectuelles
se précisent.
Le concept s'enrichit, se précise, prend des sens nouveaux tout au long de la vie de l'homme.
Et c'est explicable.
En effet, lié au
développement de son esprit, de son activité pratique, le concept n'est pas une réalité (intellectuelle ou matérielle) isolée, il est toujours au centre d'un
réseau de rapports et reste prêt à entrer dans un autre réseau.
Il n'est abstrait et général que provisoirement, que par convention.
Prenons par exemple le
mot « cheval ».
Il ne désigne, bien entendu, aucun cheval particulier.
Mais ce concept, pour employer des expressions classiques en logique formelle, à une
« extension » et une « compréhension >, notions qui renvoient à l'ensemble de tous les jugements où le concept tient la place d'attribut, ou de sujet.
Tout se
passe comme si une frange, un halo entouraient le concept, lui permettant d'entrer en relation avec d'autres concepts, de signifier sans cesse des choses
nouvelles.
Cette description s'applique d'ailleurs aux mots — qui sont les véhicules naturels des concepts et qui, comme eux, aptes à tout signifier, par l'intermédiaire
des suffixes, préfixes et diverses flexions, par la place qu'ils occupent dans la phrase, par l'assemblage des éléments du discours, parviennent à signifier
tout juste ce qu'ils veulent signifier.
Ainsi nous parvenons à une définition paradoxale, mais dynamique du concept : c'est une conduite, une activité
abstraite.
Une telle définition peut se vérifier dans les sciences, et en particulier dans la science la plus abstraite de toutes et qui apparaît facilement comme une pure
activité conceptuelle : les mathématiques.
Sans doute peut-on la considérer comme séparée du réel et régie par les règles logiques de l'identité, de la non-contradiction et du tiers exclu.
On a pu
définir le raisonnement démonstratif comme le « syllogisme du nécessaire ».
En effet, les principes sur lesquels il se fonde semblent conventionnels et
fabriqués par l'esprit : définitions qui créent leur objet, « positionnelles », suivant l'expression de Mme Daval, postulats admis sans démonstration et
comme par décret de l'esprit, axiomes qui symbolisent le fonctionnement même de cet esprit.
On définit volontiers les concepts mathématiques comme un «
passage à la limite », un refus de la réalité, sans doute dans le but initial de mieux la connaître, mais refus malgré tout qui aboutit en définitive à la création
« d'êtres logiques ».
Si cependant nous étudions avec plus de précision une étape quelconque de l'histoire des mathématiques, nous apercevons que leurs concepts, pour être
conventionnels, n'en sont point pour autant arbitraires.
Quand on définit les concepts mathématiques comme des « êtres logiques », on donne volontiers
pour exemple les définitions d'Euclide où la droite est posée comme longueur sans largeur, le point sans épaisseur, etc.
En fait, le « passage à la limite a qui
caractérise Euclide s'explique par rapport aux mathématiques de Pythagore qui maintenaient la liaison entre le nombre et l'espace, entre le discontinu et le
continu, alors que le progrès des mathématiques, compte tenu de l'état des techniques et des sciences à l'époque, dépendait
précisément d'une convention qui permit de considérer les grandeurs en tant que telles, et non liées à des nombres.
Il s'agit d'une
étape, et avec Descartes, des concepts nouveaux permettent de lier de nouveau, mais de façon plus précise, les longueurs et les
nombres (géométrie analytique).
Et l'histoire des mathématiques nous présente
es de nombreux autres exemples d'une évolution des concepts fondamentaux.
A quoi correspond-elle ? Au progrès propre des
mathématiques, mais aussi au développement des techniques et des sciences de la nature, qui n'ont jamais cessé d'être liées aux
mathématiques.
Les concepts mathématiques nous renvoient en conséquence à la définition du concept que nous avions dégagée au
terme d'une analyse psychologique : ils sont aussi, dans une certaine mesure, « des conduites abstraites », c'est-à-dire correspondent
à un certain état des techniques et des sciences de la nature, c'est-à-dire à un certain rapport entre l'homme et la nature.
L'homme
dispose des concepts qui correspondent à son pouvoir sur la nature.
Un concept, en conséquence, n'est pas une réalité abstraite, froide et sans vie.
Sans doute un mot, dans un dictionnaire, une définition, dans un manuel de
mathématiques, peuvent nous donner une impression d'étrangeté, d'indifférence.
Cependant, si nous les considérons mieux, si nos connaissances sont
suffisantes, un grand nombre de souvenirs vont préciser ces concepts, imprécis malgré leur précision ; et nous apercevrons que nous sommes liés à eux,
qu'ils sont des signes, des symboles de notre activité, de l'activité humaine.
On peut en conséquence accepter la définition du concept comme « passage à
la limite a, à condition de remarquer que cette limite recule sans cesse..
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