Qu'est-ce qui distingue le langage humain des systèmes de communication des animaux ?
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Essayer « de dégager ce qui distingue le langage humain des systèmes de communication des animaux » n'est assurément pas une mince affaire. Il faut à tout prix éviter de sombrer dans les anecdotes familiales tournant autour du bon chien à qui, précisément, il ne manque que la parole ! ou bien encore dans les discours pseudo-scientifiques sur le langage de tel ou tel animal. De solides références sont ici nécessaires afin d'éviter tout bavardage. En plus de connaissances de base des grands thèmes de la linguistique, il serait bon de s'interroger sur les raisons qui amènent les philosophes à distinguer nettement le langage humain de la communication animale. Il serait aussi judicieux de prendre un ou deux exemples parmi les travaux de von Frisch ou de Lorenz.
«
Pour Descartes, la meilleure preuve que les bêtes ne pensent pas nous est
fournie par le fait qu'elles se montrent tout à fait incapables « d'user d'un
véritable langage » (Correspondance avec Arnauld et Morus, Vrin, p.
126127).
Qu'est-ce que Descartes entend par « véritable langage » ? C'est, nous
dit-il, ce qui « nous marque par la voix ou par d'autres signes», ce qui peut
«se rapporter plutôt à la seule pensée qu'à un mouvement naturel ; car la
parole est le signe unique et certain de la pensée cachée dans le corps » (id.,
ibid.).
Le langage nous est ainsi décrit comme une combinaison ou un
arrangement de divers signes.
L'arrangement lui-même procède de l'intention
proprement humaine de chercher à exprimer sa pensée.
« Car c'est une chose
bien remarquable, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en
excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble
diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre
leurs pensées ; et qu'au contraire, il n'y a point d'autre animal, tant parfait et
tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable » (Discours de
la Méthode, cinquième partie).
Le langage atteste ainsi l'existence de la
pensée chez l'homme et l'inexistence de celle-ci chez l'animal.
C'est dans la
mesure où il est défini de façon instrumentale comme étant ce par quoi la
pensée s'exprime que le langage apparaît à Descartes comme le propre de
l'homme.
« Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi
définie, ne convient qu'à l'homme seul » (Lettres, P.U.F., p.
162).
Mais
précisément, le langage est-il bien, en dépit de ce qu'avance Descartes, le
propre de l'homme ? Ne peut-on pas parler, d'une certaine façon, d'un langage animal ?
Cette question se pose notamment à propos d'animaux comme les dauphins ou les abeilles.
Dans un ouvrage célèbre
intitulé Vie et mœurs des abeilles (Albin Michel), Karl von Frisch nous raconte que certaines abeilles sont chargées
de repérer un abri pour l'essaim.
Ce sont les « éclaireuses ».
Que se passe-t-il lorsque certaines d'entre elles ont
découvert l'endroit propice ? Écoutons ce que nous apprend von Frisch : « A leur retour, les éclaireuses dont les
recherches ont été couronnées de succès dansent sur la grappe formée par l'essaim, et indiquent ainsi la direction
et l'éloignement de l'abri qu'elles ont trouvé, exactement comme le font les pourvoyeuses pour la localisation d'une
récolte.
A la suite de cela, on observe un nombre croissant de danses dans l'essaim ; les unes indiquent une petite
distance, les autres une plus grande ; celles-ci une telle direction, celles-là encore une autre, chacune selon
l'habitat découvert ».
Faut-il conclure de là, comme on le fait parfois, qu'il existe un « langage » des abeilles ? Ce
serait aller là un peu vite en besogne.
Il s'agit en effet bien plus d'une sorte de code de signalisation que d'un
véritable langage.
Les danses des abeilles s'insèrent dans un système de signaux.
Or le langage suppose une
combinaison de signes.
Le signal n'exprime rien, il ne fait que provoquer, dans des conditions données, des réactions
déterminées.
Nul ne saurait dire que les diverses danses des abeilles s'articulent librement pour donner naissance à
une signification.
En résumé, il est permis de dire avec Emile Benveniste à propos du mode de communication utilisé par les abeilles
que « ce n'est pas un langage, c'est un code de signaux » (Problèmes de linguistique générale, I, p.
62).
Le langage
est ce par quoi il y a un monde.
Ce n'est pas tant d'ailleurs, comme le pensait Descartes, la propriété de l'homme
que son lien le plus propre..
»
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