Qu'est-ce qui dévoile, selon la Boétie, l'énigme de la servitude volontaire ?

« Les mêmes réflexions ont inspiré la poésie de La Boétie et son essai politique.

En témoignent ces vers de jeunesse : « Même les bœufs sous le poids du joug geignent, et les oiseaux dans la cage se plaignent.

» On connaît la relation privilégiée qu'entretenait La Boétie avec Montaigne.

Dans un Essai consacré à l'amitié, Montaigne rend hommage à La Boétie, auquel il reprit d'ailleurs l'essentiel de ses théories politiques. Autant que les tyrans, La Boétie dénonce la résignation des peuples à vivre sous leur joug, et s'interroge sur l'origine de cette « servitude volontaire » ainsi que sur la manière d'y remédier. Un hymne à la liberté Toute l'argumentation de La Boétie repose sur un principe : tout pouvoir doit s' appuyer sur le consentement des sujets.

La puissance du tyran n'est donc pas à craindre, car c'est le peuple lui-même qui la lui confère, se faisant l'instrument de sa propre servitude.

Les hommes n'ont pas même le désir de s'affranchir de l'état de servitude, qui, cependant, est contraire à leur nature, car ils sont nés libres.

C'est qu'il est aussi dans la nature humaine de s'habituer à tout, même au pire : si le tyran instaure son gouvernement par la force, il le maintient grâce au pouvoir de la coutume.

Il saura également rendre le peuple insensible à son asservissement, en lui procurant des plaisirs indignes, ou s'aidera de la religion pour légitimer son pouvoir, habituant ses sujets non plus seulement à le servir, mais à l'adorer comme un dieu.

Que le peuple enfin cesse de craindre le tyran, qui ne doit pas tant son pouvoir à l'armée qu' à l'ambition de quelques individus intéressés qui le relaient pour asservir ses sujets.

Que l'homme secoue son joug et recouvre sa dignité : ce n'est qu'accomplir la volonté de Dieu, qui l'a voulu libre. Un génie précoce Le Discours de la servitude volontaire tient à la fois de l'exercice rhétorique et de l'intuition novatrice.

En bon humaniste, La Boétie sait rendre hommage aux Anciens, s'inspirant autant de leur histoire que de leur mythologie.

Mais, en reprenant le problème de la tyrannie, il ne se contente pas d'aborder la question de la résistance populaire ; il rend intelligible la servitude politique non seulement du point de vue du pouvoir — en montrant que tout tyran est secondé par d'aussi méchants et ambitieux que lui — mais encore du point de vue de l'obéissance, en révélant que la soumission s'obtient moins par la contrainte extérieure que par la volonté des individus qui s'y accoutument, voire s'y complaisent.

Ils sont liés par l'ignorance de ce qu'ils sont, le tyran plus ambitieux que légitime, le sujet plus habitué à obéir que libre.

Adresse aux peuples ou aux princes (dirigé contre Machiavel selon certains historiens), l'ouvrage qu' on rebaptisa Contr'un sert la liberté.

Toutefois, très théorique, le message de La Boétie ne remet nullement en cause les fondements de la monarchie. Le Discours sur la servitude volontaire est l'un des grands textes de la philosophie de la Renaissance.

L'ami cher de Montaigne y lève un lièvre de belle taille: les hommes courbent l'échine devant le pouvoir des rois sans se rendre compte que c'est leur obéissance qui fait la force de ceux-ci: soyez résolus à ne plus servir, écrit crânement La Boétie, et vous voilà libres! Le pouvoir, en effet, a toujours été considéré comme une force qui coulait de haut en bas, mais sans l'obéissance qui lui répond, quelle consistance aurait-il ? L'idée d'une servitude volontaire ne manqua pas d'apparaitre comme paradoxale, voire scandaleuse.

Il fallut attendre la psychanalyse pour en pénétrer l'énigme. La Boétie et la volonté de servir Étienne de La Boétie (1530-1563) fait des études de droit à l'Université d'Orléans, pendant lesquelles il écrit, à dix-huit ans semble-t-il, Le Discours de la servitude volontaire. Une énigmatique question Pourquoi tant d'hommes obéissent-ils à un seul, dont ils souffrent souvent, sans y être toujours contraints ? Telle est l'incompréhensible situation que veut éclairer Le Discours de la servitude volontaire.

Nous recevons ainsi, en pleine face, un choc, au spectacle de ces peuples assujettis, qui pourraient, à l'évidence, selon La Boétie, briser l'assujettissement, et qui, néanmoins, endurent tout.

En somme, une servitude voulue s'établit : « Pour le moment, je désirerais seulement qu'on me fit comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a de pouvoir de leur nuire, qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire.

Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu'il faut plutôt en gémir que de s'en étonner) ! c'est de voir des millions de millions d'hommes misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable » (La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire, Payot, p.

174). La chaîne des tyranneaux d'esclave s'identifie au maître et c'est ainsi que fonctionne la tyrannie : telle est la réponse de La Boétie.

Nos âmes veulent (fréquemment) être identiques ou quasi identiques, proches de celle du tyran.

Ainsi l'esclave se laisse-t-il séduire et a-t-il le sentiment de participer à ta puissance du maître.

Il accepte alors de laisser la domination s'installer dans son âme.

Surgissent ainsi ces millions de millions : « non qu'ils y soient contraints [à l'asservissement] par une force majeure, 'nais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter, puisqu'il est seul, ni chérir, puisqu'il est, envers eux tous, inhumain et cruel [...j N'est-il pas évident que, pour se raffermir, les tyrans se sont continuellement efforcés d'habituer le peuple non seulement à l'obéissance et à la servitude, mais encore à une espèce de dévotion envers eux » (La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire, Payot, p.

175, 211).. »