Qu'est-ce que réfléchir ?
Extrait du document
«
Introduction.
— L'irréflexion, qui est totale chez l'animal, peut encore être donnée comme une caractéristique de l'enfance,
et c'est au degré d'irréflexion que manifeste la conduite des adultes que nous pouvons mesurer ce qu'il reste d'enfantin
dans leur mentalité.
La réflexion étant un fait essentiellement humain, il convient que celui qui étudie la vie de l'esprit s'y arrête et tâche de
comprendre la nature et le mécanisme de cette attitude mentale.
I.
— CAUSES
Normalement, nous agissons sans réflexion, nous abandonnant au jeu automatique des forces qui exercent sur nous leur
influence, nous fiant aux mécanismes innés que sont les réflexes et aux habitudes acquises par l'expérience, ou encore
nous conformant à l'exemple du milieu dans lequel nous vivons.
A.
Mais il arrive parfois que des difficultés se présentent, auxquelles nos automatismes ne peuvent faire face : le cas est
plus compliqué que ceux auxquels nous sommes habitués (conflits de droits ou de devoirs en morale et devant les
tribunaux) ; ou encore la solution que les uns nous présentent comme sûre, légitime ou même obligatoire est condamnée
par d'autres comme imprudente ou immorale.
Alors les difficultés mêmes de la vie nous amènent à réfléchir : ce mode de
réflexion peut être appelé réflexion spontanée.
B.
Si nous réfléchissons spontanément aux difficultés qui se présentent, nous le devons dans une grande mesure à
l'éducation : nos parents et nos maîtres ont constamment attiré notre attention sur les choses, sur les hommes et sur
nous-mêmes, nous provoquant à observer et à réfléchir.
Ces exercices répétés nous ayant fait acquérir la facilité et le
goût de la réflexion, nous sommes parvenus comme inconsciemment à l'état de l'adulte habituellement réfléchi.
On peut,
en définitive, attribuer à l'éducation l'accès à cet état de réflexion habituelle.
C.
Parfois, il est vrai, les difficultés de l'action entreprise ne nous frappent pas ; nous n'en prenons conscience qu'après
coup, à la lumière du résultat, lorsque notre irréflexion nous a conduits à l'insuccès.
Mais cet insuccès lui-même peut nous
instruire et provoquer la résolution de ne plus agir à la légère, de chercher les difficultés qui se cachent, au lieu d'attendre
passivement qu'elles se présentent d'elles-mêmes à l'esprit.
Dans ce cas, c'est la volonté qui provoque la réflexion que
nous pouvons appeler réflexion volontaire ou réfléchie.
II.
- NATURE
Mais le terme de « réflexion réfléchie » n'est-il pas un mauvais pléonasme, et toute réflexion n'est-elle pas réfléchie ? La
réponse à cette question nous amènera à préciser la nature de la réflexion.
Etymologiquement, réfléchir (« re-flectere ») signifie « revenir en arrière » pour mieux voir ou agir plus sûrement.
Ce sens
premier se retrouve bien dans les divers usages du mot réflexion, mais avec des nuances.
A.
En psychologie on entend surtout par réflexion le retour de la conscience sur son état ou son acte actuels : est réfléchi
l'acte accompli avec une conscience réfléchie, c'est-à-dire l'acte dans lequel l'esprit connaît ses propres opérations.
Mais s'il
y a une conscience réfléchie, consistant dans un repliement de l'esprit sur lui-même, toute réflexion n'est pas un retour sur
soi : quand le médecin réfléchit sur les symptômes présentés par un malade dont l'état l'inquiète, c'est sur un objet
extérieur qu'il fixe son attention, et non sur lui-même.
Bien plus, la réflexion peut se poursuivre sans qu'on en ait
conscience et sans qu'on le veuille : il est des cas de réflexion irréfléchie.
La réflexion n'est donc pas nécessairement le
retour de l'esprit sur ses propres opérations et on ne doit pas la confondre avec l'introspection, qui n'est qu'un mode
particulier de réflexion.
B.
Dans l'usage courant, on entend par réflexion un renforcement de la pensée proprement dite, c'est-à-dire de l'activité
de l'esprit qui cherche à comprendre et à expliquer.
C'est pourquoi la réflexion commence par un rétrécissement du champ de la conscience : elle est accompagnée d'une
inhibition des fonctions sensorielles et exige l'élimination des représentations sans rapports avec l'objet sur lequel on
réfléchit.
Aussi celui qui réfléchit est souvent distrait.
Le plus grand nombre des heures de pensée réfléchie de l'homme est consacré à la solution de problèmes pratiques
d'ordre matériel et à la recherche de ses intérêts : songeons aux réflexions de l'ingénieur ou de l'artisan ; à celles de
l'industriel, du commerçant ou de l'homme politique qui cherchent à adapter leur activité aux circonstances extraordinaires
dans lesquelles nous nous trouvons.
On peut donc considérer la réflexion comme la fonction d'adaptation aux besoin de la
vie terrestre.
Mais il est aussi, surtout pour l'homme supérieur, des problèmes pratiques d'ordre moral à la solution desquels l'esprit est
amené à réfléchir.
La réflexion sur la nature humaine amène le moraliste à déterminer le type idéal de l'humanité.
Appliquée à notre conduite personnelle, la réflexion nous fait découvrir ce qu'il y a de déraisonnable et de peu humain.
Dirigée sur nos semblables, elle nous permet de nous mettre à leur place, de les mieux comprendre et de sentir comme
eux, faisant ainsi apparaître les diverses dispositions que l'on groupe sous les termes généraux d'altruisme et de charité.
Ainsi, qui réfléchit s'adapte progressivement à l'idéal que lui révèle la raison libérée des entraves de l'intérêt personnel.
Conclusion.
— Sans réflexion, il n'y a qu'impressions aveugles, activité infructueuse, parce que sans réflexion il n'y a pas
de vraie pensée.
Comme le dit Alain : « la réflexion n'est pas un accident de la pensée, mais toute la pensée ».
La
réflexion est donc la condition de tout progrès, et c'est elle qui fait la grandeur de l'homme.
Aussi pourrions-nous dire,
modifiant un mot célèbre : « Toute notre dignité consiste donc en la réflexion «..
»
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