Qu'est-ce que le génie ?

« Termes du sujet: GÉNIE: a) Disposition innée, aptitude naturelle pour une chose (le génie des affaires).

b) En art, dispositions permettant de rompre avec une tradition esthétique et de faire preuve de créativité et d'originalité. Le génie désigne une personne pourvue de facultés hors du commun.

Mozart qui composa sa première symphonie à quatre ans, ou Michel-Ange qui peignit le plafond de la Chapelle Sixtine, étaient en ce sens des génies. Mais comment expliquer qu'un individu singulier parvienne à transfigurer le monde d'une manière originale et inédite? Le génie est-il un don naturel ou peut-il au contraire s'acquérir, par un long travail? 1.

Le don du génie. • Toute une tradition littéraire et philosophique issue du ton de Platon représente le génie comme une «manie» ou comme un don des dieux.

Elle tente par là d'expliquer l'inspiration exceptionnelle du génie.

Car on ne sait d'où elle provient et surtout, on n'en trouve pas d'exemples comparables dans la société.

On raconte ainsi que Mozart possédait une vision «synoptique» de ses compositions, c'est-à-dire qu'il entendait chaque partition isolément, et tous les instruments en même temps, ce qui l'a conduit à dicter d'une traite, sur son lit de mort, son Requiem. • Ainsi, le génie est un don dans la mesure où il ne peut prendre modèle sur une oeuvre préexistante.

Faute de quoi il ne serait pas une création.

On ne peut donc pas retrouver les règles de production de l'oeuvre géniale : le génie ne s'apprend et ne s'enseigne pas.

L'artiste lui-même est incapable d'expliquer rationnellement sa création : « l'auteur d'une oeuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idées et il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables-ouvrages » (Alain, Système des beaux-arts). • Mais contrairement à l'oeuvre absurde, l'oeuvre géniale doit pouvoir, ensuite, servir de critère ou de règle de l'appréciation.

Elle doit, comme l'explique Kant dans la Critique de la faculté de juger, «dicter ses règles à l'art», et doit être perçue comme un modèle pour les autres.

C'est en ce sens que le génie est à la fois exemplaire et original. Cela signifie-t-il pour autant que le génie ne nécessite aucun travail? Le créateur, le grand artiste ne possède pas seulement un savoir-faire.

Il est celui qui connaissant les règles antérieures en invente de nouvelles.

Le grand peintre, par exemple, n'est pas un peintre d'École, un habile artisan qui applique scrupuleusement les règles esthétiques en vigueur à une époque donnée.

Il ne suit pas les règles, il les transgresse, bref, il crée.

Le grand artiste, celui qui crée, est un génie.

« Le génie est la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles à l'art » (« Critique de la faculté de juger »).

Pourquoi la nature ? Kant veut signifier par l'emploi du mot nature: • que la création ne s'apprend pas.

Un savoir-faire s'apprend et le grand artiste l'a acquis.

Mais il permet de re-faire ce qui a été fait, d'imiter les grands, il ne permet pas de créer.

Le savoir-faire est une condition nécessaire mais pas suffisante.

La création relève du don, de la nature définie comme ce qui est donné et n'est pas l'oeuvre du savoir et du travail. • puisque pouvoir créer est un don, celui-ci n'est pas intelligible.

Le génie invente les règles au fur et à mesure qu'il crée, sans avoir pensé ces règles et sans les avoir voulues.

L'artiste est inspiré au sens où il ne maîtrise pas entièrement ce qu'il est en train de faire, où, dans ces moments là, il n'a plus l'impression d'être l'auteur de son oeuvre.

La nature est ici ce qui est spontané, non pensé et ne dépend pas de notre pouvoir décisionnel ou intellectuel. Créer ce n'est pas seulement transgresser et nier.

Créer c'est produire quelque chose de nouveau.

Ce n'est pas faire n'importe quoi.

L'originalité ne suffit pas.

Créer c'est inventer de nouvelles règles esthétiques et l'artiste de génie inaugure ce qui deviendra une École. 2.

Le travail du génie. • Certes l'artiste ne pense ou ne réfléchit pas son oeuvre à la manière d'un philosophe ou d'un savant.

Cependant, les oeuvres géniales ont leur rationalité propre.

Dans l'Esthétique, Hegel souligne ainsi le «travail intellectuel qui consiste à façonner et à fondre ensemble l'élément rationnel et la forme sensible», une «raison active et fortement éveillée» et une «sensibilité vive et profonde».

L'inspiration géniale ne tombe donc pas du ciel.

Elle résulte d'un travail de réflexion qui «sait distinguer, séparer, faire un choix».

Il est ridicule de s'imaginer que le génie ne sait pas ce qu'il fait.. »