qu'est-ce que la raison ? Comment est-elle constituée ? Quel est son rôle dans la connaissance ?
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Qu'est-ce que la raison ? Comment est-elle constituée ? Quel est son rôle dans la connaissance ?
INTRODUCTION.
— La raison est le propre de l'homme.
On reconnaît bien aux animaux supérieurs une certaine intelligence, mais on ne prétend pas qu'ils
soient raisonnables.
Qu'est-ce donc que cette faculté qui fait notre grandeur et notre force ?
I.
Qu'est-ce que la raison ? — Nous fondant sur le mot lui-même et partant d'une sorte de définition par l'usage, nous pouvons répondre tout d'abord : la
raison est la faculté de raisonner, c'est-à-dire de tirer de prémisses données les conséquences qu'elles impliquent, ou, inversement, de remonter du
conséquent à l'antécédent.
Les animaux pourvus d'un système sensoriel analogue au nôtre ont des sensations analogues à celles que nous éprouvons,
mais, faute de pouvoir raisonner, ils ne tirent pas des données de leurs sens tout ce qu'en tire l'homme.
Parfois, sans doute, l'animal prévoit et nous donne
l'impression de raisonner; en réalité, c'est la mémoire qui joue en lui et non la raison : s'étant déjà trouvé dans des circonstances analogues, il s'attend à
voir se reproduire ce qui s'est déjà produit, mais il ne voit pas pourquoi cela doit se reproduire, il n'aperçoit par de lien de causalité entre l'antécédent et le
conséquent.
A ussi, lorsque son attente est déçue, ne manifeste-t-il pas de V éritable étonnement et ne cherche-t-il pas la cause de l'exception à la suite
habituelle des faits.
On comprendra mieux la nature de la raison en l'opposant à une fonction mentale avec laquelle on la confond souvent : l'intelligence, qu'on peut définir
comme le pouvoir de comprendre.
De certains vertébrés supérieurs, mous disons qu'ils sont intelligents : le chien, par exemple, comprend les ordres de son
maître; il comprend qu'il va recevoir une correction.
Qu'est-ce à dire ? Nous tirerons la réponse de l'étymologie du mot : "cum prehendit" ; chez lui, les
données sensorielles ne sont pas simplement juxtaposées, comme dans une machine inerte; il les saisit les unes avec (cura) les autres, s'éclairant
mutuellement et le sens de chacune dépendant de l'ensemble.
C 'est parce qu'il a de ces vues d'ensemble que le chien sait distinguer — bien qu'il se trompe
quelquefois — si on joue avec lui ou si on veut le punir.
Mais l'animal en reste à cette compréhension.
Tout entier à la donnée sensorielle, il est incapable de s'élever en quelque sorte au-dessus d'elle ou de
prendre un certain recul pour distinguer les lignes essentielles de sa structure en faisant abstraction des circonstances accidentelles.
L'homme, au
contraire, forme des idées abstraites : du donné expérimental, il se fait une représentation schématique, dans laquelle ne sont retenus que les éléments
essentiels de la réalité, et parvient à formuler des définitions, des lois et des principes.
L'intelligence humaine diffère donc de l'intelligence animale et nous
pouvons réduire cette différence au pouvoir d'abstraire.
C e pouvoir d'abstraire, qui implique celui de former des idées générales, nous pourrions en faire l'apanage de la raison; mais il semble plus conforme à
l'usage de l'attribuer à l'intelligence, dans laquelle il faut alors distinguer deux formes : une intelligence concrète, que possèdent les animaux; une
intelligence abstraite, propre à l'homme, que beaucoup de philosophes dénomment 1' « entendement ».
C 'est l'entendement ou intelligence abstraite qui, par
intuition abstractive, distingue les caractères essentiels des choses et forme les idées générales.
La raison opère, non sur le donné sensoriel ou sur son
substitut l'image, mais sur des idées abstraites et générales, qu'elle analyse et combine entre elles.
Nous arrivons ainsi à cette distinction : de l'intelligence relèvent les opérations intuitives de l'esprit; de la raison les opérations discursives.
Nous voilà
donc revenus à la définition nominale d'où nous étions partis : la raison est la faculté de raisonner.
II.
Comment est-elle constituée ? — Un des plus importants problèmes de la philosophie est celui de l'origine de la raison; il peut être ainsi formulé :
comment la raison s'est-elle constituée ? On le voit, ce n'est pas ce problème que nous posons ici, mais celui de la constitution actuelle de la raison : c'est
la structure de la raison que nous avons à examiner et non sa genèse.
La raison, avons-nous dit, est le pouvoir de raisonner, c'est-à-dire de tirer de propositions données d'autres propositions qu'elles impliquent.
Or, le
raisonnement a pour armature des convictions ou des certitudes plus ou moins implicites que le philosophe explicite sous forme de principes : lorsque, par
exemple, retrouvant ma porte ouverte, alors que je suis sûr de l'avoir fermée en sortant, je conclus que quelqu'un l'a ouverte, je m'appuie sur ce principe :
tout changement a une cause.
Théoriquement, les principes constitutifs de la raison sont universels, nécessaires et a priori; en tout cas, ils sont conçus comme valables pour tous les
esprits et pour toutes les choses, en quelque lieu ou en quelque temps que ce soit; par suite, on considère comme impossible qu'il se produise jamais
quelque événement qui les contredise; enfin, ils sont a priori en ce sens que celui qui se fonde sur eux les accepte comme évidents sans éprouver le besoin
de les soumettre au contrôle de l'expérience.
La raison semble donc constituée par celles de nos certitudes qui sont antérieures à l'expérience et
indépendantes d'elle.
Plus qu'à l'intelligence, la raison s'oppose à l'expérience : l'intelligence est le pouvoir qu'a l'esprit de tirer des données
expérimentales un certain savoir; la raison paraît constituée par un savoir impliqué, comme une structure essentielle, dans l'activité discursive de l'esprit.
Elle le paraît seulement, car les principes, tels que nous les observons en fait chez les hommes, n'ont pas cette universalité que nous avons dite et ils
dépendent dans une grande mesure de l'expérience; ils valent pour un état de développement intellectuel donné et non seulement les primitifs, mais encore
nos ancêtres, admettaient comme évidentes des propositions que nous jugeons inacceptables; qu'il nous suffise de citer les principes de morale sociale ou
de morale politique qui avaient encore C OURS il y a un siècle.
C'est surtout de nos jours que nous assistons à une révision des principes qui paraissaient
les plus essentiels à l'esprit : la physique atomique a ébranlé la croyance au déterminisme, et par là même au principe de raison suffisante sur lequel elle se
fondait.
A en croire certains microphysiciens, l'élément atomique jouirait d'une sorte de liberté et ses mouvements n'auraient pas d'explication.
Nous n'avons pas à discuter ici cette conception, mais nous devons bien reconnaître que les principes impliqués dans nos raisonnements sont moins
indépendants de l'expérience que nous ne disions : dans ce qui nous paraît structure essentielle de l'esprit, il y a de l'accidentel, de l'acquis.
C es principes
ne constituent donc pas la raison conçue comme la structure essentielle de l'esprit.
Mais l'évolution des principes n'est pas fortuite : elle se fait par élimination progressive de l'influence empirique et tend vers cette universalité que l'esprit
non critique leur attribue indûment.
C ette évolution est commandée par ce pouvoir mystérieux que nous appelons la raison et que nous pouvons caractériser
comme un besoin de cohérence, une exigence d'intelligibilité.
Nous sommes là à la racine constitutive de la raison.
Ou, pour emprunter les heureuses expressions proposées par LA L A NDE (La raison et les normes), il faut distinguer une raison constituante et une raison
constituée : dans les principes, nous pouvons voir la raison constituée, c'est-à-dire le système de normes impliqué dans nos raisonnements; mais ce
système est l'oeuvre de la raison constituante.
C'est cette dernière que nous trouvons quand nous remontons à la constitution essentielle de la raison.
III.
Quel est son rôle dans la connaissance ? — D'après ce que nous venons de dire, nous ne pouvons pas, ainsi qu'il nous avait semblé légitime de le faire,
considérer la raison comme une sorte de savoir essentiel de l'esprit : elle n'implique pas de vrai savoir, mais seulement une sorte de sens de la cohérence
d'un savoir obtenu par ailleurs.
La raison est la faculté du « discours » ou du raisonnement.
Elle consiste dans le pouvoir d'ordonner des jugements ou des propositions de telle sorte que
les unes découlent rigoureusement des autres.
Mais ces jugements et ces propositions, elle ne les fournit pas : ils doivent venir de l'expérience.
En termes
philosophiques, toute la matière de la pensée discursive est d'origine expérimentale, la raison n'assure que la forme.
On peut la comparer à une machine à calculer — ce n'est pas par pur hasard que ratio signifie aussi calcul — : à elle seule, cette machine n'apprend rien; il
faut d'abord lui fournir des données sur lesquelles elle opère.
De même, la raison ne nous procure aucune connaissance immédiate; on ne peut pas dire, par exemple, que la raison connaît Dieu; elle nous montre
seulement que Dieu est exigé par des faits connus par ailleurs.
CONCLUSION.
- L'attitude authentiquement rationnelle est donc incompatible avec l'assurance des rationalistes d'autrefois, que le sentiment de suivre leur
raison rendait suffisants.
La raison se manifeste essentiellement par le besoin de comprendre et non par la certitude de voir, par l'esprit critique et non par
l'affirmation dogmatique.
Dynamique et non statique, elle est le ressort de la recherche.
Quand nous aurons trouvé, la raison s'éclipsera et il ne restera plus
que l'intelligence..
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