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Qu'est-ce que la bonne volonté ?

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« INTRODUCTION.

— Différents sens de l'expression : « Bonne volonté » et problèmes posés par le sens le plus fort. On emploie l'expression : « bonne volonté » dans des sens assez différents et qui n'ont pas tous la même force.

O n lui donne une signification affaiblie quand on dit : « Il a peut-être de la bonne volonté, mais il manque de volonté.

» Il s'agit ici d'un désir inefficace, d'une velléité.

Souvent on restreint le sens de l'adjectif : la bonne volonté est alors une volonté, bonne envers une personne déterminée (« il a montré de la bonne volonté à mon égard»); ou une volonté bien disposée pour rendre un service gratuit (il est toujours prêt, quand on fait appel aux hommes de bonne volonté »). Mais on emploie aussi cette expression dans un sens très fort et très général.

Par exemple, dans cette formule de KANT : « Il n'y a qu'une seule chose bonne, c'est la bonne volonté »; ou dans cette traduction usuelle d'un message qui ouvre l'Évangile : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». C 'est ce sens majeur de « bonne volonté» qui pose les problèmes moraux les plus intéressants.

Nous nous demanderons : C omment définir la nature de cette volonté qui mérite pleinement le nom de « bonne » ? Et quel est exactement son rôle dans la vie morale ? I.

— NATURE DE LA BONNE VOLONTÉ. A .

Pourquoi il est difficile de définir la bonne volonté.

— Pour définir la bonne volonté il faudrait, semble-t-il, pouvoir préciser l'objet auquel elle s'attache; car un mouvement est déterminé par la fin qu'il vise. Mais ici nous rencontrons une difficulté sérieuse puisque la bonne volonté apparaît, d'après l'estimation commune, assez indépendante des fins déterminées que l'homme poursuit, et qu'elle peut être égale chez ceux que toute leur conduite oppose; par exemple, chez un militant communiste et chez son adversaire, chez un chrétien et chez un athée. Il n'est donc pas possible de définir la volonté bonne en déterminant d'abord l'objet concret auquel elle doit s'attacher.

C 'est une forme, une façon de vouloir, qui peut s'appliquer à des contenus opposés.

Et cependant il serait extrêmement intéressant de préciser la nature d'une disposition dont on pressent le rôle capital en morale.

Essayons-le en recueillant les affirmations de la conscience morale, en nous demandant ce qu'on exige communément d'un homme pour lui reconnaître une totale bonne volonté. B.

Essai pour dégager les principaux traits de la bonne volonté telle qu'elle apparaît à la conscience morale.

— Dans la première section des fondements de la métaphysique des moeurs, KA NT commence par interroger le « jugement moral populaire (qui est fort respectable) ».

Il dégage d'abord le caractère purement formel de la bonne, volonté : elle ne dépend pas « de la réalité de l'objet de l'action, mais du principe du vouloir selon lequel l'action a été produite ».

Et pour dire quel est ce principe, il fait appel à l'idée de devoir : la volonté est bonne quand elle s'élève au-dessus des attraits sensibles pour être mue uniquement par le sentiment de respect devant une loi.

C ette notation est très juste; il faudrait cependant la compléter, car la vie morale n'apparaît pas seulement avec cet aspect de soumission à une règle abstraite, elle ressemble parfois à l'amour passionné d'une personne. Dans Les deux sources de la morale et de la religion (p.

31 et suiv.), BERGSON décrit l'aspiration qui caractérise la forme la plus haute de la moralité.

Il refuse, lui aussi, de la définir par son contenu, par l'objet représenté.

Il lui reste, pour distinguer cette attitude d'âme de toute autre, les mots): don de soi, amour universel, marche en avant à laquelle on ne met pas de limite.

Ce sont bien là les caractères auxquels on reconnaît l'âme totalement fidèle.

Elle a trouvé une valeur qui la rend capable de sacrifier tout ce qu'elle a, et sa vie même, s'il le faut.

Elle ne limite pas son amour avant d'avoir atteint tous les hommes.

Le nationalisme farouche peut pousser à se sacrifier, mais s'il ne s'ouvre pas au respect de tout homme, il n'est encore qu'élan instinctif, il n'est pas la bonne volonté.

Enfin, l'âme totalement fidèle ne se reconnaît jamais le droit de s'arrêter.

Sans doute elle se détermine des objectifs concrets, elle doit s'engager pour poursuivre telle ou telle réalisation, mais elle ne voit jamais dans ces fins historiques, temporelles, son but définitif.

Elle a entendu le conseil que le grand- géologue Pierre TERMIER répétait à ses étudiants : « A u fond, ce qui importe le plus dans la vie, c'est de n'être jamais satisfait, ni de soimême, ni de sa part de connaissance, et de chercher toujours, et de s'efforcer toujours, et de monter encore.

» C ette insatisfaction la conduira à demeurer humble, accueillante, prête à s'instruire, non pas sceptique, mais respectueuse de toutes lès opinions sincères.

Elle conduira surtout à voir dans tout homme doué de volonté, une fin supérieure à toutes les réalisations terrestres, et qu'il ne sera jamais permis de sacrifier à un résultat politique ou social. II.

RÔLE DE LA BONNE VOLONTÉ DANS LA VIE MORALE. A .

C 'est la bonne volonté qui mesure notre valeur morale.

— Si telle est la nature de la bonne volonté, il semble évident non seulement qu'elle a un rôle moral, mais que toute notre valeur morale dépend d'elle.

La moralité doit en effet se mesurer à ce qui est en notre pouvoir, c'est-à-dire aux dispositions de notre volonté, et il suffit que notre volonté soit totalement bonne pour que notre bonté morale soit totale. B.

Pourquoi l'on peut cependant poser le problème du rôle moral de la bonne volonté.

— C ependant, le problème du rôle moral de la bonne volonté peut se poser quand on constate les réalisations concrètes déplorables que poursuivent parfois des hommes de bonne volonté.

C ar il faut bien comprendre qu'il ne suffit pas de vouloir sincèrement le bien de tous les hommes pour le procurer effectivement.

Le bien de l'homme requiert normalement un certain nombre de conditions concrètes; il est fort difficile par exemple de se développer, même moralement, quand on manque d'un minimum de bien-être ou d'indépendance.

Or, l'organisation d'une société, qui place tous les hommes dans les conditions les plus favorables, est un problème technique très difficile et qu'un généreux idéal ne rend pas nécessairement capable de résoudre.

Des hommes de bonne volonté pourront donc se tromper et devenir un obstacle au progrès matériel et même moral.

C omment les juger ? C .

Il faut maintenir notre première affirmation, mais en la précisant. — Des esprits positifs les jugeront sévèrement.

Non seulement ils reconnaîtront à la société le droit de s'opposer à leur action, mais ils porteront contre eux une condamnation pure et simple.

Par exemple, M .

BA Y ET, dans son livre La morale scientifique (p.

26-27), voudrait qu'on juge de la valeur morale .d'un homme comme on juge de la valeur professionnelle d'un comptable.

On ne dit pas qu'un comptable est bon quand il s'applique bien à son travail, mais quand il obtient des résultats justes; de même il faudrait, en morale, cesser de considérer l'intention el se demander seulement si les résultats obtenus sont socialement utiles. Et pour nous y obliger, le même auteur ajoute : « Tant qu'on prêchera la morale de la bonne volonté, ou de l'intention, les hommes se désintéresseront de toutes les études sociales.

Les réformateurs pourront, en particulier, continuer à montrer les méfaits d'un certain capitalisme; ils n'arriveront pas à troubler les consciences des bourgeois qui se disent : A quoi bon s'informer, peut-on mal agir quand on agit avec bonne volonté ? C es objections ne nous semblent pas très fortes.

Il est permis de condamner le comptable consciencieux et qui calcule mal, parce qu'il a choisi librement le métier de comptable sans avoir les aptitudes suffisantes.

Mais il n'est pas permis de condamner l'homme qui s'efforce de remplir sa tâche morale et qui se trompe, car nous ne sommes pas libres de choisir le métier d'homme moral et tout ce qu'on peut nous demander pour ce rôle, qui nous est imposé à tous, c'est notre totale bonne volonté.

Quant à l'accusation de tranquilliser les consciences à peu de frais et de détourner des réflexions stimulantes, elle va simplement nous permettre d'insister sur le point suivant : La bonne volonté inclut en elle la recherche sérieuse des organisations sociales, des techniques diverses capables de favoriser le développement intégral de l'homme.

Elle demande de s'informer, de réfléchir, de consulter.

On ne peut dire qu'on veut le bien de tous quand on ne s'inquiète pas sans cesse des meilleurs moyens de réaliser pour tous des conditions de vie sans lesquelles la pratique même de la vertu devient très difficile. CONCLUSION.

— Bien comprise, la thèse qui mesure la valeur morale d'un homme à sa bonne volonté, nous semble s'imposer.

Et il est utile aujourd'hui de la rappeler.

Elle nous conduira à nous respecter mutuellement malgré des divergences inévitables sur les objectifs immédiats.

Quand on prend comme fin et comme principe d'évaluation une réalisation historique quelconque, on est conduit à mépriser, et à sacrifier délibérément tous ceux qui ne partagent pas le même point de vue.

Quand on juge sur la bonne volonté on ne se reconnaît jamais le droit de mépriser un homme sincère.. »

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