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Qu'est-ce que faire une expérience ?

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« Introduction L'expérience est un fait vécu, mais ce qui est vécu peut être multiple : on peut faire des expériences scientifiques, mais aussi esthétiques, religieuses, et l'on peut même dire de quelqu'un qu'il a fait une expérience lorsqu'il a tout simplement été confronté à une situation dont il a appris quelque chose.

Le point commun de toutes ces expériences qui autorise à leur donner une unique dénomination semble donc être le fait que par l'expérience, il y a apprentissage.

L'expérience nous enrichit, elle nous donne à vivre et donc à découvrir ce qui nous était auparavant inconnu.

Pourtant, l'expérience suppose un type particulier d'apprentissage, qu'il faut distinguer de la connaissance indirecte par livre ou par ouï dire.

L'expérience ne peut se faire qu'à la première personne.

Pour autant qu'elle correspond à un vécu, l'expérience n'est pas n'importe quel vécu, elle a un caractère exceptionnel, un caractère d'inédit qui la démarque du simple vécu quotidien.

A partir de quel moment peut-on dire d'un événement qu'il constitue une expérience ? I.

faire une expérience, c'est toujours vivre ce que l'on n'avait pas encore vécu. A.

les romans d'apprentissages offrent un très bon exemple de ce que cela signifie que faire une expérience : dans L'éducation Sentimentale, Flaubert met en scène Frédéric, un jeune homme, qui, à travers différentes aventures va faire justement un apprentissage des relations sentimentales et de l'amour.

Pourtant, cette éducation semble un échec : c'est sur l'absence d'histoire que Flaubert écrit son roman, le récit allant d'histoires en histoires, d'anecdotes en anecdotes sans que rien ne se passe et que rien de progresse.

L'éducation semble ne pas pouvoir s'installer, ne pas prendre racine justement parce que les événements vécus ne sont jamais des expériences, mais restent vécus sur le mode du quotidien.

Rien ne se détache de la trame quotidienne de la banalité. B.

à l'inverse, le roman de Rousseau L'Emile met en scène l'éducation d'un jeune homme par un précepteur, éducation qui fondamentalement basée sur la confrontation progressive de l'enfant avec des expériences dont l'ordre et les conditions sont décidées par le précepteur.

Si faire l'expérience de quelque chose, c'est toujours le vivre comme nouveau – et savoir en reconnaître la nouveauté – on trouve là l'idée qu'une expérience peut aussi être nuisible, d'où l'importance d'un certain ordre. C.

faire une expérience, c'est donc vivre quelque chose de nouveau en le comprenant comme inédit, comme différent de ce que l'on avait déjà vécu.

Mais il faut également distinguer les expériences spontanées et les expériences ordonnées, méditées.

Les expériences spontanées sont celles que nous faisons du fait même que nous vivons dans l'imprévu, ce sont les expérience que fait Frédéric dans l'Education sentimentale, tandis que les expériences vécues par Emile sont des expériences méditées, qui sont certes nouvelles pour lui, mais qui ne sont précisément pas nouvelles pour son précepteur.

Quel est le type d'expérience qui est le plus propre à nous apporter un savoir ? II.

expérience et expérimentation : l'expérience nous permet-elle d'apprendre ? A.

Le deuxième sens du mot expérience est plus proche du sens contemporain du terme « expérimentation ».

Or, l'expérimentation s'est constituée dans le champ scientifique contre l'expérience immédiate, que Bachelard rapproche de la notion d'obstacle épistémologique.

L'expérimentation exige de renoncer à rendre compte de sensation spontané, de tenir pour nulle l'expérience immédiate et de se situer hors du monde.

Dans La formation de l'esprit scientifique, le premier obstacle épistémologique, c'est l'expérience première.

La question, c'est donc de savoir si par la simple expérience, on peut réellement apprendre quelque chose. B.

dans l'expérience, c'est-à-dire dans le vécu spontané, ne vit-on pas finalement toujours de manière à rabattre l'inédit sur le déjà vu, sur le déjà su ? Nietzsche au paragraphe 355 du Gai savoir montre que la ressemblance entre « connaître » et « reconnaître » n'est pas anodine : on estime connaître quelque chose quand on le ramène au déjà connu. C.

l'expérience est-elle un simple mot que l'on met sur un processus de reconnaissance (on fait l'expérience de quelque chose jusqu'à ce qu'on parvienne à l'intégrer à ce qu'on savait déjà) ? Ou peut-on vraiment, face à ce qui nous apparaît comme nouveau le saisir dans son entière nouveauté ? Peut-on apprendre quelque chose par soi-même, et non par quelqu'un d'autre ? l'esprit humain n'est-il pas ainsi fait qu'il tend toujours à chercher le connu et à fuir l'inconnu ? III.

l'expérience comme ce qui nous change. A.

dans la notion d'expérience, il y a non seulement l'idée de nouveauté, mais aussi l'idée que celui qui vit l'expérience n'est plus le même.

Faire une expérience, c'est donc toujours se mettre en péril, car cela correspond à l'acceptation d'un changement dont on ne connaît pas l'ampleur par avance.

Faire une expérience, ce n'est pas seulement vivre de l'inédit, mais c'est accepter de le considérer comme tel. B.

même dans l'expérience scientifique, la prise de risque existe : Popper à travers sa théorie de la falsification montre qu'une théorie scientifique se définit par cette prise de risque, puisqu'il s'agit pour lui de délimiter le domaine de la science en traçant les limites de l'expérience : est scientifique ce qui peut être réfuté par une expérience.

L'expérience suppose donc toujours une rupture : ce qui était valable avant ne le sera peut-être plus après.

Une expérience scientifique peut remettre en question une théorie, une expérience esthétique change notre définition du beau et parfois même de la beauté. Conclusion L'expérience est donc un facteur de progrès et d'évolution.

Mais ce n'est pas le contenu même de ce qui est vécu qui permet de dire qu'il y a expérience.

En effet, un même événement peut pour certain être vécu comme une expérience, pour d'autres non.

Faire une expérience, ce n'est donc pas vivre certaines choses, c'est les vivre comme résolument nouvelles, prendre le risque de remettre en question ce que l'on avait acquis.. »

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