Qu'entendez-vous par mémoire affective ?
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Qu'entendez-vous par mémoire affective ?
INTRODUCTION.
— O n définit parfois la m é m o i r e « la faculté qu'ont les états psychiques passés d e revenir à la conscience ».
Or,
beaucoup de ces états psychiques.
la sensation par exemple, se présentèrent, lors de leur production, sous une double nuance : l'aspect
représentatif et l'aspect affectif.
La mémoire possède-t-elle aussi c e s d e u x aspects ? A côté d e la mémoire représentative, correspondant à n o s divers sens (visuelle,
auditive, motrice, gustative, etc.) et à nos idées (mémoire intellectuelle), n'y a-t-il pas aussi un pouvoir de revivre et de sentir de nouveau
nos états affectifs passés ?
En quoi consiste ce pouvoir ? Pour résoudre la question, consultons d'abord les faits admis par tous et voyons l'interprétation qu'on peut
leur donner.
I.— UNE CONSTATATION COMMUNE : LES FAITS.
Il est certains points sur lesquels tous les psychologues sont d'accord parce que l'observation des phénomènes psychiques leur impose
une attitude commune.
A.
Il existe chez tous les hommes la faculté de revoir et de se représenter les états affectifs anciens, agréables ou pénibles.
Chacun de
nous n'a qu'à faire appel à son expérience personnelle pour constater ceci : nous pouvons nous souvenir que nous avons éprouvé, à telle
époque, telle sensation ou tel sentiment; cela pourrait s'appeler la mémoire représentative des faits affectifs.
B.
Il faut aller plus loin : en certaines circonstances, nous pouvons de nouveau ressentir des états affectifs passés qui semblent revivre
tels que nous les avons éprouvés alors.
Cette réapparition est d'ailleurs plus ou moins facile, suivant le tempérament plus émotionnel ou,
au contraire, plus intellectuel du sujet.
a) Il y a d'abord une reviviscence des sentiments : Sully PRUDHOMME affirme qu'il n'a jamais pu se rappeler certaines scènes de sa vie
d'enfance ou certains épisodes affligeants sans ressentir vivre en lui son âme d'enfant ou sans éprouver de nouveau l'angoisse primitive.
b) Il y a même parfois une certaine reviviscence des sensations : le souvenir d'une lumière aveuglante fatigue la rétine et impressionne
désagréablement; celui d'un mets peu appétissant peut provoquer la nausée, comme jadis l'a comporté la sensation elle-même.
Il est donc certain et reconnu d'une façon générale que, parfois, la mémoire se présente avec un caractère nettement affectif.
Reste à interpréter ces faits et à en tirer l'origine et la nature de ce caractère.
II.
- LES INTERPRÉTATIONS : ORIGINE DE CETTE AFFECTIVITÉ.
De ces faits, deux explications surtout ont été données.
Il nous faut les examiner maintenant pour répondre à la question que nous nous
sommes posée.
A.
RIBOT (qui a beaucoup étudié ce genre d e phénomènes), et avec lui quelques autres psychologues, concluent à l'existence d'un
pouvoir spécial de la mémoire ayant pour rôle de conserver et de faire réapparaître les états passés : sentiments et sensations avec leur
nuance affective, sans aucun a p p e l à une représentation préalable.
Cette conservation s e ferait s o u s forme d e véritables i m a g e s
affectives, donnant, par leur réapparition dans le champ d e la conscience, la m ê m e impression q u e l'état primitif, dont elles sont la
reproduction.
a) Un des arguments fondamentaux allégués en faveur de cette thèse est la réapparition d'un passé affectif qui surgit tout à coup, sans
être précédé par aucune représentation, mais provoquant, au contraire, l'image cognitive du fait auquel il se rattache.
Marcel PROUST cite
plusieurs cas personnels très caractéristiques.
Il dégustait, par exemple, u n e madeleine trempée dans une infusion : u Un plaisir
délicieux, écrit-il, m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause ».
Et il faut bien des efforts pour se souvenir des événements primitifs,
auxquels se rattache ce plaisir qui revient.
Les rêves et les états pathologiques offrent aussi de nombreux e x e m p l e s d e cette primauté de l'affectif semble-t-il.
Les désirs ou les
craintes du passé proche ou lointain reviennent et suscitent les tableaux du rêve.
b) On invoque aussi le cas où un ancien sentiment lutte contre un nouveau qui se forme : si le premier s'oppose au second, c'est bien
qu'il en subsiste quelque chose.
c) Enfin, on peut encore invoquer cette autre raison : tout état de conscience, qu'il soit représentatif ou affectif, par le seul fait qu'il a déjà
été produit en m o i y demeure conservé dans l'inconscient, comme partie intégrante d e m a personnalité; et il tend à réapparaître, en
certaines conditions dans le champ de la conscience, tel qu'il a été vécu et avec toutes ses nuances.
La loi de réintégration devient un
argument pour l'existence de la mémoire affective.
B.
Cependant, cette explication n'est pas agréée par la plupart des psychologues, et spécialement par William JAMES.
Ils croient que l'état
affectif actuel est non pas une image d'émotion, mais une émotion nouvelle et présente, provoquée par le souvenir représentatif de l'état
ancien.
Et c'est cette cause qui lui imprime une ressemblance avec l'émotion primitive et sa marque originale du « déjà éprouvé ».
Cette
affirmation présente pour elle les arguments suivants :
a) Mémoire et image sont des termes et des réalités essentiellement représentatifs : les expressions « image affective » ou « mémoire
affective » n'ont donc en e l l e s - m ê m e s aucun sens; les états anciens demeurent bien entièrement en nous et peuvent reparaître au
moment opportun; mais ce qui en reste et reparaît, c'est précisément la représentation : la conscience est une faculté de connaissance :
revoir n'est pas nécessairement revivre.
b) L'observation des faits n'a jamais montré d'états affectifs purs, indépendants de toute représentation (expériences de KÜLPE).
Les
exemples cités plus haut par la thèse adverse n'échappent pas eux-mêmes à cette règle (il y a une sensation à leur base).
Ceux qui, à
un premier examen, pourraient paraître isolés ont été provoqués par (les représentations restées inconscientes, dont le pouvoir moteur a
mis en branle la sensibilité; et l'émotion a plus ou moins éclipsé l'élément cognitif.
c) Enfin, un fait capital, contre la thèse de RIBOT, c'est qu'en bien des cas le souvenir d'un état ancien ne présente pas la même nuance
affective que cet état lui-même.
Q u e les circonstances premières aient été remplacées par d'autres, peut-être différentes, et leurs
représentations s'unissant ou même s'opposant, il en résulte une émotion actuelle parfois diamétralement opposée à l'ancienne.
« Il n'y
a pas de plus grande douleur, dit DANTE, que de se rappeler les temps heureux quand on est dans la misère.
».
L'existence des images
affectives reviviscentes ne semble pas conciliable avec cette constatation.
CONCLUSION.
— Aussi bien, RIBOT lui-même, dans les dernières éditions de son ouvrage, a pratiquement abandonné sa thèse.
Il avoue,
en effet, que chez la plupart (caractères intellectuels ou abstraits), la mémoire affective n'existe pas : il n'y a reviviscence, ni des
sentiments, ni des sensations; chez d'autres, ils revivent à peine, et grâce aux éléments intellectuels qui s'y mêlent et qui agissent par
leur force motrice; chez un nombre infime, enfin, l'élément représentatif qui, par réintégration, met en branle l'émotion est à peu près
totalement éclipsé par elle.
C'est avouer que la mémoire affective « n'est que le résultat dans la sensibilité de la force motrice de l'image
représentative ».
Et, dans les cas les plus privilégiés (types émotionnels), le résultat apparaît seul, aux dépens de la cause, restée plus ou
moins inconsciente..
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