Quels sont les obstacles à la connaissance scientifique ?
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L'idée d'obstacle épistémologique a connu de longs et intéressants développements dans un ouvrage de
Gaston Bachelard : La formation de l'esprit scientifique.
Pour ce philosophe, la formation de l'esprit scientifique
consiste à surmonter un certain nombre d'obstacles épistémologiques, permettant ainsi de passer de l'esprit
préscientifique à l'esprit scientifique lui-même, pleinement objectif et rationnel.
Objectif et rationnel, puisque le propre de l'esprit préscientifique consiste à se laisser aller aux pulsions
inconscientes qui travaillent la connaissance objective.
En d'autres termes, il s'agit de psychanalyser l'esprit humain,
afin qu'il se rende compte de tous les désirs dont il investit l'objet de ses recherches.
Nous allons brosser à grands
traits le parcours de l'ouvrage afin de clarifier ces idées, notamment par l'évocation d'exemples précis.
I – Nature de l'obstacle épistémologique
Gaston Bachelard s'intéresse aux conditions psychologiques du progrès de la science.
Précisément, l'auteur
décide de poser ce problème en termes d'obstacles épistémologiques à surmonter.
Le problème de la connaissance
scientifique est donc, pour ainsi dire, interne à l'esprit lui-même.
En effet, il n'est pas question de considérer des
obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de
l'esprit humain.
Le progrès scientifique n'est pas entravé par la complexité du réel.
C'est bien dans l'acte même de
connaître qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles.
D'où l'idée d'une
psychologie et, partant, d'une psychanalyse de l'esprit scientifique.
Le premier obstacle que nous rencontrons est, de ce point de vue, exemplaire : il s'agit de l'expérience
première.
En effet, l'esprit préscientifique croit naïvement que tout ce qui peut s'observer dans la nature est source
de connaissance.
Bachelard prend l'exemple d'une explosion mise en scène, les produits explosifs étant recouverts
de terre disposée en forme de cône.
À la suite de l'explosion, le public pense avoir pénétré l'essence du volcanisme
et ainsi expliqué un phénomène extraordinaire.
Alors qu'en elle-même l'expérience renvoie à une réaction chimique
scientifiquement analysable, l'esprit la recouvre de tous ses désirs, dont celui de pénétrer le mystère de l'univers.
Le fait est que, pour l'esprit scientifique, n'importe quelle situation peut donner lieu à n'importe quel
observation.
La distinction même entre le scientifique et son public est mince : chacun peut venir apporter ses
remarques et ses intuitions propres quant à ce qui s'est produit.
Mais examinons deux autres obstacles en détail,
avant d'en venir à l'interprétation plus globale de la notion d'obstacle épistémologique.
II – Différents types d'obstacles épistémologiques
Parmi les différents obstacles repérés par Bachelard, retenons les obstacles substantialiste et verbal.
Notons d'ailleurs que ceux-ci ne sont pas exclusifs et que leur caractères viennent à se mêler les uns aux autres.
L'obstacle verbal se caractérise par l'usage trop étendu d'une image verbal à tout un ensemble de
phénomènes.
Ainsi, on les exprime tous par un seul mot et on croit alors les expliquer.
Le terme d' « éponge » a ainsi
permis de qualifier l'air, celui-ci absorbant l'humidité de par sa nature spongieuse.
Certains auteurs en viennent
ensuite à penser la matière comme un éponge, ce qui lui permet de s'imbiber d'électricité.
Or, en utilisant de telles
images, aucun progrès n'a été fait dans l'étude des phénomènes considérés.
L'obstacle substantialiste se concentre, quant à lui, autour de la notion de substance et de qualité.
Priestley, un auteur célèbre, considérant qu'un morceau d'ambre (l'expérience est connue et fonctionne avec une
règle) électrisé (frotté contre un tissu, par exemple) attire les corps légers, en conclut que l'ambre possède une
qualité glutineuse, c'est-à-dire qu'il s'agit de glu ou de colle.
D'autres matériaux ne présentent pas cette qualité ?
Priestley en conclut qu'ils ne possèdent pas, ou à peine, cette propriété glutineuse.
Ainsi, une image immédiate
vient se greffer sur une expérience intéressante (la manifestation de l'électricité) et empêche son développement.
III – Science et psychanalyse
Voilà, pour les traits les plus saillants, les obstacles épistémologiques que l'on peut retenir.
Or, pour
Bachelard, déceler de tels obstacles, c'est contribuer à fonder les rudiments d'une psychanalyse de la raison.
En
effet, il s'agit de débarrasser la raison d'un certain nombre d'images, de rêveries, liées aux éléments et à la nature,
afin de rationaliser l'expérience et de garantir son objectivité.
L'idée est donc bien que les obstacles sont une projection de l'esprit sur les choses : une projection de ses
désirs et de ses pulsions.
Bachelard prend l'exemple de la libido et de son interférence avec les expériences
préscientifiques : on se figure alors que certains métaux sont masculins, d'autres féminins et qu'il faut plutôt
procéder à tel ou tel alliage.
Ce genre d'idées masque la nature de l'expérience scientifique elle-même.
Pour la
retrouver, l'esprit doit alors abandonner ses pulsions au seuil du laboratoire.
L'explosion que nous évoquions en première partie pousse un esprit imaginatif à la mettre en relation avec
l'ensemble des phénomènes naturels.
Or, l'esprit scientifique ne doit y voir qu'une réaction chimique particulière.
L'esprit psychanalysé, scientifique, est donc celui qui isole les phénomènes, les traite selon un mode abstrait et
objectif.
L'esprit scientifique cherche à faire varier les expériences, tandis que l'esprit préscientifique cherche la
variété, c'est-à-dire tout un cortège de situations cocasses et excitantes.
En ce sens, la rationalité est aride et
sèche, mais c'est le seul moyen qu'elle a de surmonter les obstacles épistémologiques, qui ne sont que la projection
de son inconscient..
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