Quelles sont les conditions qui peuvent nous faire aimer un travail ou nous le rendre désagréable ?
Extrait du document
«
OBSERVATION.
- Nous rapprochons ces deux sujets, quoique la question n'y soit pas posée de la même façon dans
les deux cas, parce qu'ils appellent tous deux sensiblement les mêmes idées.
Position de la question.
Pour tout être normal, le travail n'est pas seulement une obligation plus ou moins pénible.
Nous pouvons aussi aimer notre travail et en retirer certains bienfaits.
Lesquels, exactement, et à quelles conditions ?
I.
Pourquoi le travail est parfois désagréable.
Tout être normal éprouve une certaine satisfaction à exercer son activité.
Mais le travail proprement dit n'est pas un
exercice libre de l'activité.
Il est une obligation imposée.
A.
— Il y a là déjà un caractère qui peut rendre le travail plus ou moins désagréable.
Reconnaissons-le : il n'est pas
toujours agréable d'avoir à effectuer sa tâche quotidienne à des heures déterminées, selon un programme fixé à
l'avance, et de la répéter quotidiennement d'une façon souvent monotone.
B.
— Ceci est surtout vrai de certains travaux manuels dans lesquels, par suite de l'automatisation de la technique
moderne, toute initiative, tout exercice de la pensée personnelle sont enlevés au travailleur.
C.
— Ajoutons que souvent encore ces travaux sont durs, pénibles par eux-mêmes (mineurs, manoeuvres divers,
etc.).
Même lorsqu'il est automatisé et confié en grande partie à la machine, le travail manuel peut être encore très
fatigant par l'attention constante et minutieuse qu'il exige dans l'accomplissement de certaines tâches.
D.
— On a même constaté que certaines formes de travail aboutissent, chez le travailleur, à un état de déséquilibre
psychique : « Il apparaît de plus en plus que le nombre croissant des maladies mentales ne peut s'expliquer que par
référence à certains caractères de la civilisation industrielle et du milieu technique, de plus en plus artificiel » qui se
substitue au milieu naturel, notamment par l'interposition d'une multitude d'instruments et de machines entre
l'homme et ce milieu (G.
FRIEDMANN, Le Travail en miettes, p.
223-225).
E.
— Il peut arriver enfin que, par suite des nécessités de la vie l'homme doive accepter un travail qui ne correspond
pas à ses goûts et pour lequel il ne se sent pas d'intérêt.
II.
Les bienfaits du travail.
Ces réserves faites, il faut reconnaître que le travail, quand il s'accomplit dans des conditions normales, est capable
de nous apporter certaines satisfactions et même certains bienfaits.
A.
— Ces satisfactions, nous pouvons les trouver d'abord dans l'exercice même de notre activité.
Le travail est, en
effet, selon l'expression de JAurès, « l'acte créateur par lequel l'esprit, la pensée, la conscience impose sa forme et
son unité à la matière ».
« Voir sous sa main ou dans sa pensée, écrivait jadis le philosophe E.-M.
CARO, croître son
oeuvre, s'identifier avec elle, que ce soit la moisson du laboureur ou la maison de l'architecte ou la statue du
sculpteur ou un poème ou un livre, qu'importe ? Créer en dehors de soi une oeuvre que l'on dirige, dans laquelle on a
mis son effort avec son empreinte et qui la représente d'une manière sensible, cette joie ne rachète-t-elle pas toutes
les peines qu'elle a coûtées ? » (Le Pessimisme, p.
128-129).
Même dans le travail industriel, pourtant beaucoup plus
anonyme, il arrive encore qu'on voie des ouvriers d'usine fiers d'une réalisation particulièrement réussie de leur
entreprise qui est leur oeuvre collective.
B.
— Ces satisfactions peuvent s'accroître si le travailleur prend conscience de l'utilité sociale de son travail.
Nos
sociétés modernes sont fondées sur la coopération de tous les métiers où les fonctions les plus humbles sont
souvent les plus indispensables.
Chaque travailleur peut aimer son travail dans la mesure où il se rend compte du
rôle qu'il joue ainsi dans la société.
C.
— Ainsi compris, le travail peut nous apporter, non seulement des satisfactions, mais des bienfaits.
« Le travail,
lorsqu'il comporte une certaine étoffe et un certain engagement de la personnalité, joue, pour l'équilibre de l'individu,
pour son insertion dans le milieu social, pour sa santé physique et mentale, un rôle fondamental » (G.
FRIEDMANN,
ouv.
cité, p.
256).
D.
— Le travail peut même avoir ainsi une valeur moralisatrice ; car il exige, en même temps que la régularité et la
discipline, l'exercice des fonctions les plus hautes de la vie mentale : « l'attention volontaire ; la patience pour
supporter l'attente, l'ennui, la fatigue ; l'initiative, la persévérance ; l'unité de la vie, la cohérence des actes et des
caractères », toutes choses, selon Pierre JANET (De l'angoisse à l'extase, I, p.
229), qui sont déjà des vertus ; et le
grand psychologue va jusqu'à ajouter : « La valeur d'un homme se mesure par sa capacité à faire des corvées.
Le
devoir n'est qu'un cas particulier de ces corvées que l'homme supérieur est capable de s'imposer.
»
Conclusion.
Le théoricien socialiste Charles FOURIER (1772-1837) avait soutenu que le travail, au lieu d'être pénible
et rebutant, doit devenir « attrayant ».
Lorsqu'on songe à certaines formes du travail moderne, cet idéal risque de
paraître quelque peu utopique.
Mais nous pouvons toujours faire, si nous savons comprendre la valeur et le rôle du
travail, que notre tâche quotidienne ne nous rebute pas, qu'elle nous apporte même certaines satisfactions et qu'elle
contribue à notre élévation morale..
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