Quelles sont les conditions de possibilité du bonheur ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
CONDITION (n.
f.) 1.
— Dans la proposition « si A alors B », A est condition de B ; se dit aussi du premier terme d'une relation causale réelle (les conditions d'un phénomène).
2.
—
Condition nécessaire et suffisante : A est condition nécessaire et suffisante de B, si quand A on a toujours B et sans A jamais B.
3.
— Manière d'être, situation (la condition humaine), situation sociale.
4.
— Conditionné : a) Qui dépend d'une condition.
b) Qui a subi un conditionnement.
5.
— Conditionnement : processus par lequel un comportement en vient à être déterminé par des
conditions données ; modification d'un comportement par établissement de réflexes conditionnés (cf.
réflexe).
6.
— Conditionnel : qui dépend d'une condition ; pour QUINE, nom de
l'implication matérielle.
BONHEUR: De bon et heur (terme dérivé du latin augurium, présage, chance).
État de complète satisfaction de tous les penchants humains.
• Le bonheur se distingue du plaisir et de la joie, qui sont des émotions éphémères et toujours liées à un objet particulier.
• Dans les morales eudémonistes, le bonheur
est la fin de l'action humaine.
Pour Kant, en revanche, c'est le respect de la loi morale qui doit orienter la volonté, et non la recherche du bonheur.
Car cette recherche
est toujours déjà intéressée, égoïste donc contraire à la morale.
À quelles conditions le bonheur est-il possible ? Qu'est-ce qu'implique l'idée de bonheur ? À quelles conditions cette idée est-elle cohérente, a-t-elle un sens ? La chance ou la vertu sont-elles
des conditions de possibilité du bonheur ? Pour bien rester centré sur le problème énoncé, il faudrait essayer de définir le bonheur.
S'il se reconnaît par un état de plaisir ou par une sensation,
mais une sensation durable, pour se distinguer du simple plaisir, alors il pourrait y avoir une contradiction dans cette idée de bonheur : la sensation, c'est ce qui est par excellence fugitif.
En
quel sens l'idée de bonheur pourrait-elle être fondée sur une contradiction, et en quel sens peut-on penser le bonheur pour qu'il soit possible, pour que ce ne soit pas une idée qui se détruise
elle-même ? Schopenhauer montre bien la difficulté de définir le bonheur.
Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, il écrit : "Nous sentons la douleur, mais pas l'absence de
douleur ; le souci, mais non l'absence de souci ; la crainte, mais non la sécurité." Selon lui, il n'y aurait aucune positivité du bonheur ; le bonheur, c'est l'absence de malheur, mais dans
l'absence de malheur, il n'y a rien de positif à ressentir ou vivre.
Comment poser des conditions de possibilité, s'il est difficile de bien cerner en quoi le bonheur consiste ? Et ces conditions
n'ont-elles pas un caractère purement subjectif, non universel, et par là même non théorisable ? Le bonheur n'est-il pas un idéal, dont la possibilité n'est pas déterminable ?
L'épicurisme et le bonheur.
Epicure pense que le but de la vie humaine est d'obtenir le bonheur.
Le moyen de parvenir au bonheur est le plaisir né de la satisfaction des désirs.
Il
faut rechercher le plaisir, car c'est son accumulation qui constitue le bonheur.
Cette doctrine s'appelle l'hédonisme (du grec « hêdonê », le plaisir).
Il
faut donc se mettre en état de goûter du plaisir dans la vie, de profiter des bons moments, et même de chaque jour, de chaque instant, ce que dit la
maxime latine qui reflète l'enseignement d' Epicure : « Carpe diem », « Cueille le jour ».
Pour cela il faut éliminer les soucis et les angoisses.
Le matérialisme contre les angoisses religieuses.
Une des premières cause d'angoisse chez les humains est, selon Epicure , l'inquiétude religieuse et la superstition.
Bien des hommes vivent dans la
crainte des dieux.
Ils ont peur que leur conduite, leurs désirs ne plaisent pas aux dieux, que ceux-ci jugent leurs actes immoraux ou offensants envers
leurs lois et ne se décident à punir sévèrement les pauvres fauteurs, en les écrasant de malheur dès cette vie ou en les châtiant après cette vie.
Ils
pensent aussi qu'il faut rendre un culte scrupuleux à ces divinités, leur adresser des prières, des suppliques, leur faire des offrandes afin de se concilier
leurs bonnes grâces.
Car les dieux sont susceptibles, se vexent pour un rien, et sont parfois même jaloux du bonheur des simples mortels, qu'ils se
plaisent alors à ruiner.
Toutes ces croyances qui empoisonnent la vie des hommes ne sont que des superstitions et des fariboles pour Epicure .
Pour s'en convaincre, il faut rechercher quels sont les fondements réels des choses, il faut une connaissance métaphysique, cad une science de la totalité
du monde.
Celle-ci nous révélera que le principe de toutes choses est la matière, que tout ce qui existe est matériel.
Ainsi, la science peut expliquer tous
les événements du monde, tous les phénomènes de la Nature , même ceux qui étonnent et terrorisent le plus les hommes, comme procédant de mécanismes matériels dépourvus de toute
intention de nuire, et nullement d'esprits divins aux volontés variables.
Par exemple, les intempéries qui dévastent vos biens et vous ruinent ne sont nullement l'expression d'une vengeance
divine pour punir vos fautes passées, mais seulement la résultante de forces naturelles aveugles et indifférentes à votre devenir.
C'est ce qu'établira de façon complète Lucrèce, en donnant
même le luxe de plusieurs explications possibles des mêmes phénomènes, arguant du fait que l'essentiel n'est pas de connaître la vraie cause du phénomène, mais de savoir qu'il possède
une cause matérielle non intentionnelle.
C'est en effet cela seul qui importe à notre bonheur, puisque ce savoir nous délivre des angoisses religieuses.
La mort n'est rien pour nous.
La métaphysique matérialiste va aussi permettre de délivrer l'humanité d'une de ses plus grandes craintes : la crainte de la mort.
Les hommes ont peur de la mort.
Mais que redoutent-ils en
elle ? C'est précisément le saut dans l'absolument inconnu.
Ils ne savent pas ce qui les attend et craignent confusément que des souffrances terribles ne leur soient infligées, peut-être en
punition de leurs actes terrestres.
Les chrétiens, par exemple, imagineront que quiconque à mal agi et n'a pas obtenu le pardon de Dieu ira rôtir dans les flammes de l'enfer.
La peur de la
mort a partie liée avec les superstitions religieuses dont la métaphysique matérialistes nous libère.
De plus, si tout dans l'univers n'est fait que de matière, si nous, comme tous les êtres
vivants, ne sommes que des agrégats d'atomes, lorsque nous mourons, ce ne sont que nos atomes qui se séparent, qui se désagrègent, ce n'est que notre corps qui se décompose, en un
point d'abord (celui qui est blessé ou malade), puis en tous.
Dès lors, rien de notre être ne survit, il n'y a rien après la mort, « la mort n'est rien pour nous ».
Ceux qui pensent que la vie du
corps, la pensée, la sensation, le mouvement viennent de l'âme, et que cette âme pourrait survivre après la mort du corps, ont tort.
Car l'âme elle-même est faite de matière, certes plus
subtile, puisque invisible ; mais si elle n'est qu'un agrégat d'atomes, elle aussi se décompose lorsque la mort survient, et même, selon l'expérience la plus commune, il faut penser qu'elle est
la première à se décomposer puisque le mort apparaît immédiatement privé de vie, de sensation, de pensée et de mouvement, alors que le reste de son corps semble encore à peu près
intact et mettra plus de temps à commencer à se décomposer.
Aussi, la mort se caractérise bien en premier lieu par l'absence de sensation : « Habitue-toi à la pensée que le mort n'est rien
pour nous, puisqu'il n'y a de bien et de mal que dans la sensation, et que la mort est absence de sensation.
»
En effet, les sensations que nous avons de notre corps et, à travers lui, des choses du monde sont la source de toute connaissance, et aussi de tout plaisir et de toute douleur, donc le vrai
lieu de tout bien et de tout mal, puisque le bien réel n'est que le plaisir et le mal la douleur.
Nous pouvons désigner la pensée d' Epicure comme un sensualisme qui fonde toute la vie
intérieure sur la sensation.
La mort étant la disparition des sensations, il ne peut y avoir aucune souffrance dans la mort.
Il ne peut pas y avoir davantage de survie de la conscience, de la
pensée individuelle: « Ainsi le mal qui effraie le plus, la mort, n'est rien pour nous, puisque lorsque nous existons, la mort n'est pas là, et lorsque la mort est là, nous n'existons plus.
»
Dès lors je peux vivre, agir et profiter de cette vie sans redouter aucune punition post-mortem.
Et je sais que c'est ici et maintenant qu'il me faut être heureux, en cette vie, car je n'en ai
aucune autre.
Mon bonheur dans la vie est une affaire sérieuse qui ne souffre aucun délai.
Tel est l'enseignement de la sagesse matérialiste.
La modération des désirs.
Maintenant que nous avons vu les deux conditions négatives du bonheur, cad les pensées et les craintes qu'il faut éliminer pour pouvoir jouir de la vie, il nous faut encore définir positivement
comment atteindre le bonheur.
Un peu de réflexion nous montre qu'il est absurde de désirer des plaisirs inaccessibles, ou qui ont des conséquences fâcheuses et se paient de plus grandes
souffrances, comme les plaisirs de la gourmandise qui, pratiqués à l'excès, finissent par nous rendre affreusement malades.
Il convient donc de modérer ses désirs, d'opérer un tri entre eux.
Mais jusqu'à quel point ? Il faut rejeter tous les désirs qui ne sont pas naturels et aussi ceux qui ne sont pas nécessaires à notre survie, à notre santé ou à notre bonheur.
Mais qu'est-ce qui
est naturel dans les désirs humains ? Et surtout, qu'est-ce qui est absolument nécessaire à notre bonheur ? Epicure ne donne pas de réponse très précise, mais il nous dit qu'il faut savoir se
contenter de peu.
Ainsi, celui qui désire des mets raffinés risque fort d'être déçu et malheureux s'il n'a pas toujours les moyens de se les offrir, ou si le cuisinier rate son plat, ou si mille autres
ennuis viennent l'en priver.
Avoir des désirs de luxe nous expose à souvent souffrir.
Il faut donc les éliminer.
En revanche, celui qui ne désire que des nourritures « naturelles », un peu de
pain par exemple, trouvera facilement à se satisfaire, et peut même en retirer un très vif plaisir s'il a vraiment faim et soif.
En outre, le sage qui ne désire rien de plus pourra tout de même,
s'il est invité à un banquet, jouir de la nourriture succulente.
De tels plaisirs ne sont nullement interdits, à condition de ne pas les désirer toujours, de ne pas en être dépendant.
Il faut donc
passer ses désirs au crible de sa raison et éliminer impitoyablement tous ceux qui ne sont pas naturels et nécessaires, tous ceux qui sont vains, artificiels, superflus ou excessifs .
alors nous
serons sages et nous atteindrons l'ataraxie, l'état d'absence de trouble de l'âme, cad le bonheur.
En effet, ce sont les angoisses, les passions, les désirs inassouvis qui troublent notre âme,
nous font souffrir et nous empêchent d'être heureux.
Se délivrer de tout cela, c'est déjà être heureux, de même qu'il faut penser que le plaisir se trouve déjà dans l'absence de souffrance.
Nous voyons qu' Epicure redéfinit le plaisir (et corrélativement le bonheur) à l'encontre de la pensée commune, qui n'aperçoit de plaisir que dans un excitation positive des sens ou de
l'esprit.
Nous voyons aussi quelle est la vraie nature de l'hédonisme d' Epicure et quel monumental contresens a fait la tradition en en faisant « une morale de pourceaux libidineux se
vautrant dans la luxure », alors qu'il s'agit avant tout d'une ascèse, d'une maîtrise des désirs, assez semblable à ce que peuvent pratiquer certains religieux, ermites ou ascètes, même si
c'est dans de tout autres buts.
Critique de la sagesse épicurienne.
La sagesse d' Epicure ne nous semble cependant pas entièrement satisfaisante pour au moins trois raisons.
Nous venons de voir qu'il identifie le plaisir et la non-souffrance, le bonheur et
l'ataraxie.
Or, il y a bien une différence entre les deux, comme entre un état neutre et un bien réel , ou comme entre le zéro et un nombre positif.
Sa doctrine peut donc éviter la souffrance,
mais non nous donner un bonheur réel.
Et même cela paraît douteux.
En effet, Epicure nous demande de renoncer à de nombreux désirs.
Au nom de quoi ? Seulement par la réflexion que leur satisfaction ne sera pas toujours
assurée et que dépendre de ces désirs risque un jour de nous rendre malheureux.
Mais la raison a-t-elle le pouvoir de supprimer un désir, surtout par cette simple réflexion ? Peut-elle
combattre l'attrait d'un plaisir proche et sa promesse de bonheur ? Il ne semble pas.
Il nous faudrait alors faire preuve de beaucoup de volonté et nous refuser à satisfaire nos désirs, à agir
selon eux, puisque nous n'avons pas le pouvoir de les supprimer en nous par simple acte de volonté, en espérant que cette ascèse, à la longue, finira par faire disparaître ces désirs.
Mais cela
veut dire qu'il faut commencer par souffrir longtemps de la présence en nous de désirs inassouvis, ce qui est le contraire même du bonheur et revient à se faire son propre bourreau.
Le
religieux qui devient ermite, se retire du monde et de ses plaisirs et vit dans le renoncement et la mortification espère, lui, plaire à Dieu et obtenir ainsi une place au paradis.
Mais Epicure ne
croit en rien de tel et nous préconise une semblable attitude de mortification pour nous procurer le bonheur terrestre.
Or, il nous semble bien que l'on ne puisse constituer un bonheur avec
une série de refus de satisfactions.
D'un autre point de vue, nous pouvons aussi penser que la philosophie d' Epicure nous détourne de buts plus élevés ou plus nobles que notre satisfaction personnelle.
Elle nous interdit
d'avoir de grands désirs, contre de grands projets humanitaires ou artistiques, car celui qui veut sauver des peuples, ou celui qui veut créer, a de fortes chances d'échouer.
Désirs
déraisonnables, ni naturels, ni nécessaires, dirait Epicure , qui réduit ce faisant l'homme à un simple être de sensation, purement égoïste.
En d'autres termes, si la sagesse épicurienne, en
modérant nos désirs , nous empêche d'être malfaisants envers autrui, puisque nous ne sommes plus tentés par la convoitise, elle ne nous rend pas pour autant bienfaisants, ni non plus
nobles et grands.
Il nous faut nous mettre en quête d'une autre sagesse..
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