Quelles différences apercevez-vous entre un acte impulsif et un acte volontaire ?
Extrait du document
«
Tout être vivant agit, mais son activité ne surgit pas des mêmes sources profondes de l'être.
L'anima] se déplace, en réaction au milieu
extérieur et a u x obstacles qu'il rencontre.
Mais, à ce niveau nous ne pouvons parler d'acte.
Il est donc nécessaire tout d e suite de
marquer qu'il existe une différence entre n'importe quel mouvement et un acte.
Si le mot réaction convient mieux aux déplacement de
l'animal inférieur, c'est que son m o u v e m e n t n'est q u e la résultante d e s forces physico-chimiques d e son propre corps el du milieu
extérieur.
De la même façon, la motricité peut être réflexe, quand elle est une réaction immédiate du système nerveux à une impression
qui excite les organes des sens, ou les terminaisons nerveuses.
Et l'être humain, en tant qu'animal, peut bien être mu par des réactions
de ce type, mais il accède également à un niveau d'activité où l'on peut parler d acte, ce qui signifie qu'il agit en tant qu'agent, que son
action est, dans une certaine mesure, dirigée ; que, par suite, sa façon d'agir, le caractérise.
C'est ainsi qu'on peut dire d'un être qu'il est
impulsif, ou qu'il est volontaire.
Dans l'usage courant des termes psychologiques, ces d e u x mots suffisent à définir d e u x caractères
différents, comme s'il y avait une opposition radicale entre les deux actes.
Peut-être cette opposition n'est-elle que la conséquence d'une
vue somm aire ?
Un acte impulsif ? Est-ce vraiment une action dirigée, et à qui convient le terme d'acte ? Ce serait un acte accompli sous l'influence directe
d'une impulsion, c'est-à-dire que l'agent lui-même est comm e poussé par une force qui lui procure son mouvement, et en quelque façon
dominé par elle.
Nous apercevons un objet, et la perception seule suffit à déclencher, par exemple, un mouvement de saisie.
Ainsi fait
l'animal qui bondit, dès qu'il aperçoit une proie.
C'est à la fois l'objet extérieur et sa faim qui déclenchent son bond.
Ainsi fait l'enfant avec
les objets qui se trouvent à sa portée.
Il envoie immédiatement la main dans la direction, s'empare de l'objet et le porte à sa bouche.
C e mode d'activité est tout proche du réflexe.
Nous y voyons l'importance de l'objet perçu, lorsqu'il est en rapport immédiat avec des
tendances, puissantes dans l'être, et le plus souvent inconscientes.
Pour prendre un autre exemple, remarquons que c'est sur cette possibilité que nous avons d'agir en fonction de nos tendances — et de
nos automatismes — que se fonde le jeu de pigeon-vole.
Le meneur ,de jeu lève le bras, chaque fois qu'il annonce : canard vole...pigeon
vole...
vautour vole...
table vole...
Le tout est de savoir si la tendance à l'imitation, épaulée par l'automatisme, sera plus forte ou moins
forte, plus rapide ou moins rapide que la réflexion.
On constate facilement le pouvoir d'impulsion des gestes du meneur de jeu !
Mais la force d'impulsion n'est pas toujours inconsciente, comme le sont nos tendances et nos automatismes.
Elle naît souvent de nos
appétits, de nos désirs elle dépend de notre affectivité, ressort essentiel de notre action.
Sitôt qu'il prend conscience d'un désir, l'impulsif
p a s s e à la réalisation.
Le désir constitue en lui-même un projet qui a u n e puissance d e conviction telle que la représentation est
immédiatement suivie par l'acte.
L'impulsif s e conduit com m e l'automate d e s e s propres désirs.
Tout s e p a s s e c o m m e s'il suffisait
d'appuyer sur un levier d e c o m m a n d e pour q u e le m o u v e m e n t s e déclenche.
L'acte impulsif — auquel peuvent bien s e m êler des
éléments intellectuels —se traduit par des gestes impatients, u n e sorte de fébrilité et souvent un effort considérable.
Mais ici la force
dominante est subjective, et la considération du monde extérieur — c'est-à-dire les conditions de l'action — joue peu.
L'acte impulsif est
un acte aveugle, souvent violent et maladroit.
Cette maladresse traduit à la fois l'insouciance de la situation et la non maîtrise de soi du
personnage, incapable de c se retenir ).
Ainsi l'acte impulsif manifeste u n e force considérable, un effort, vite retombé ou échoué, u n e activité torrentielle, qui le rapproche de
l'acte-volontaire.
Souvent les impulsifs peuvent passer pour des volontaires, du moins au cours d'un seul acte.
C'est qu'en effet, il n'y a
d'acte volontaire que si l'impulsion première, celle q u e l'on trouve directement traduite en acte dans l'impulsivité, existe.
Il n'y a pas
d'autre ressource à notre activité que celle-ci, qui sera donc utilisée également dans le processus de l'acte volontaire, mais d'une façon
différente.
Sinon, toute activité reste inexplicable.
Aussi n'a-t-elle pas lieu, quand les tendances, les désirs, les sentiments sont trop
faibles pour déclencher l'action.
C'est encore à u n e conduite impulsive que conduit la passion.
Une simple analyse d'un acte commis par un passionné suffit a révéler
l'énorme énergie libérée par la passion, impatience d'agir et tension intense de tout l'être en vue d'atteindre le but qu'il a conçu.
La
passion néglige ou supprime les obstacles intérieurs et extérieurs qui se présentent, aussi réalise-t-elle ce que nous avons reconnu dans
l'acte impulsif, une liaison immédiate entre la représentation et l'action.
Dans l'acte volontaire, nous allons retrouver l'impulsion mais elle va perdre le caractère exclusif qu'elle a d a n s l'acte du passionné, le
caractère partiel el limité qu'elle a dans tout acte impulsif.
Agir d e façon volontaire, ce n'est donc pas s'opposer radicalement aux impulsions qui nous viennent d e n o s tendances, m ais c'est
maîtriser ces puissances affectives sans les détruire.
Elles se trouvent, ces forces d'impulsion, au point de départ de l'acte 'volontaire.
Quand nous voulons, par exemple, faire un devoir, il nous faut certes résister à d e n o m b r e u s e s sollicitations extérieures, il nous faut
aussi, dans une large mesure, y découvrir un intérêt, désir d'avoir une bonne note, curiosité intellectuelle qui se développe autour du sujet
proposé, amour-propre qui nous pousse à travailler pour ne pas échouer à l'examen.
De toute façon, le but que poursuit notre action est
impulsé par notre affectivité, et la qualité de notre travail en dépend certainement.
Nous faisons mal ou point du tout ce pour quoi nous
éprouvons indifférence et répugnance.
Chez l'être normal nous pouvons admettre q u e toute représentation est idéo-motrice, c'est-à-dire que, d è s q u e nous percevons ou
imaginons, se dessinent en nous, par le jeu des tendances, au moins des ébauches d'action.
Ces impulsions, la volonté les arrête d'abord
; elle les suspend, et marque un temps, qui brise l'immédiate riposte.
Celui-ci est nécessaire pour que nous puissions soumettre le projet
naissant aux lumières de notre raison.
Au jeu de pigeon-vole, dont nous parlions tout à l'heure, le gagnant est celui qui, quelle que soit la
vitesse du meneur de jeu, sait refuser l'automatisme hâtif du geste de lever le bras, soumettre les mots prononcés à son intelligence,
choisir entre les propositions logiques et absurdes et n'agir qu'ensuite aussi vite que possible.
L'essentiel ici, c'est le coup de frein de la
volonté qui permet u n e rapide réflexion e u n e riposte adaptée.
D'une façon générale donc, l'acte volontaire connaît, entre l'impulsion
première et la réalisation, u n e étape intermédiaire dans laquelle l'intelligence et la raison viennent s'insérer, apportant leurs propres
déterminations intellectuelles au jeu instinctif de nos tendances.
Au lieu d'être limité au seul exercice d'une tendance, l'acte volontaire,
perdant son caractère partiel et exclusif, réalise une synthèse des différentes tendances de notre être, et une adaptation de nos désirs
aux conditions réelles de notre action.
L'acte volontaire est un acte choisi.
La claire et lucide élaboration des moyens, l'équilibre acquis entre n o s intérêts divers, et souvent
contradictoires, la représentation du but à atteindre, mais aussi des conséquences de notre action pour nous-mêmes et pour les autres
aboutissent à ce que l'acte est précédé d'une idée, complexe, nuancée, que nous avons formée ; notre acte sera ainsi l'expression de
notre personnalité tout entière.
Nous pouvons apercevoir maintenant pourquoi l'acte volontaire est incomparablement plus difficile que l'acte impulsif, pourquoi l'impulsif
est en réalité soumis et c o m m e conduit par u n e force qu'il ne maîtrise pas, pourquoi le volontaire apparaît c o m m e un être dont la
conduite est libre.
L'un est esclave, parce qu'il ne pourrait en somme rendre compte, ni de l'importance du but qu'il a visé, ni des moyens
qu'il a e m ployés pour l'atteindre.
L'autre est libre parce qu il a choisi lucidement sa visée et la forme d e s o n action.
L'un e x p r i m e s a
soumission, et son acte se rapproche de la réaction — réflexe inconscient.
L'autre exprime sa liberté, et son acte est l'utilisation consciente
et contrôlée d e toutes les ressources d e s a personnalité.
O n aperçoit les conclusions que nous pouvons tirer, du point d e vue d e la
morale.
L'être impulsif n'est pas véritablement responsable de ses actes, ni immoraux, ni moraux.
D'autre part, sa conduite représente un
abandon aux impulsions instinctives, même s'il déploie dans ce sens une énergie considérable, tandis que l'acte volontaire nous donne à
nous-mêmes le sentiment d'ut.
triomphe et d'une résistance vaincue, qui nous fait accéder au plan de la moralité.
Du point de vue d'une
morale réaliste, les impulsions, qui sont au s e n s cartésien, des passions, ne sont pas m a u v a i s e s e n elles-m ê m e s ; elles s o n t m ê m e
indispensables, mais il est besoin qu'elles soient dominées et contrôlées pour que nous accédions au plan de la liberté et du choix, où
l'être commande ses actes, au lieu d'être soumis à eux..
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