Quelles conceptions de l'histoire guident le travail de l'historien ?
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Quelles conceptions de l'histoire guident le travail de l'historien ?
Si l'historien élabore l'histoire qu'il raconte, il convient de se demander ce qui guide le travail de l'historien dans cette
élaboration.
1.
L'historien est soumis à l'épreuve des faits.
Pour que l'oeuvre de l'historien ne soit pas une fiction créée par la subjectivité de l'historien, il faut soumettre les choix, les
hypothèses, les orientations de l'histoire à l'épreuve des faits.
L'historien ne se contente pas de raconter ; il doit toujours
vérifier.
Il y a donc une circularité : l'historien élabore les faits, mais en retour les faits sanctionnent cette élaboration.
Sans
cette réciprocité, on substitue à l'histoire des histoires qu'on se raconte.
L'histoire n'est plus qu'un roman.
Ce va-et-vient
permanent est le travail même de l'historien.
2.
L'historien s'oriente selon différentes approches : « raconter des histoires » n'est qu'une manière de faire de
l'histoire.
Si le travail de l'historien est soumis à l'épreuve des faits, il est néanmoins orienté par l'idée que l'historien se fait de ce
qu'il doit chercher dans l'histoire.
Or, cette idée n'est pas unique.
Il y a plusieurs manières de faire de l'histoire.
« Raconter
des histoires » n'est qu'une manière parmi d'autres, et sans doute pas la plus pertinente.
Cette manière privilégie l'histoire
événementielle par opposition aux causes structurelles :
Exemple : on peut étudier la Révolution en décrivant minutieusement la série des événements qui la composent.
On peut à
l'inverse en rechercher les « causes profondes » : nature de l'Ancien Régime ; rôle des idées, en particulier de la
philosophie des Lumières; réalités économiques et sociales...
Ainsi, » l'école des Annales » destituera l'événement de sa place primordiale.
(C'est un courant qui s'impose en France
après la Seconde Guerre.
Il doit son nom à la revue où s'exprimaient les historiens de cette tendance.) L'historien doit
entrer en « profondeur » dans l'histoire.
Les aspects de la vie quotidienne, les mouvements de longue durée...
importent
plus que la cohue des événements touchant la vie politique.
Pour F.
Braudel, l'histoire événementielle n'est qu'un plan d'analyse qui s'en tient à la surface.
Sous l'agitation de la
surface, il y a des mouvements de fond.
Le deuxième plan d'analyse concerne donc l'histoire sociale, l'histoire des groupes
(économie, État, société, civilisation...).
Sous ce plan, s'en tient un troisième : une « histoire quasi immobile », l'histoire
géographique qui concerne les rapports de l'homme et de son milieu naturel.
— Le débat interne à l'histoire est alors orienté par des perspectives philosophiques : quel rôle les hommes,
individuellement et collectivement, ont-ils dans l'histoire ? Quel est l'élément moteur qui fait avancer l'histoire, etc.
Exemple : le marxisme donne une bonne illustration de cette articulation entre philosophie et histoire.
Les historiens
marxistes mettent en évidence le rôle des structures économiques et des rapports sociaux impliqués par elles.
Cela repose
sur un des présupposés de la philosophie de Marx : c'est le socle économique, la manière dont la production des biens
matériels est organisée, qui détermine les rapports sociaux et au-delà, les
institutions politiques et l'ensemble de la culture (philosophie, art, religion...).
En
langage marxiste, c'est « l'infrastructure » économique qui détermine la «
superstructure » idéologique.
— Certes, la doctrine philosophique ne doit pas se substituer à l'épreuve des faits,
mais elle n'en est pas moins indispensable : elle est une idée qui guide la recherche,
suggère à l'historien un certain nombre d'attentes, un certain nombre de questions à
poser à l'histoire, oriente ses interprétations...
3.
Les approches de l'histoire sont elles-mêmes historiquement situées :
l'historien est à la croisée de deux esprits.
Qu'est-ce qui motive alors le choix de l'une ou l'autre des manières de faire de
l'histoire? On ne peut nier que la subjectivité propre de l'historien n'intervienne.
Cependant, il y a plus.
Les différentes approches de l'histoire sont elles-mêmes
historiquement situées.
C'est en fonction de l'esprit de son temps, de la pensée et
des attentes de son époque, que l'historien écrit l'histoire.
C'est pourquoi il n'y a pas,
historiquement, qu'une manière de faire de l'histoire.
Chaque époque écrit l'histoire
suivant l'idée qu'elle se fait de l'homme.
On peut retracer l'histoire des civilisations à
travers l'histoire de la manière dont elles considèrent leur passé.
L'écriture de
l'histoire est donc elle-même historique.
Ce n'est pas tant l'historien qui raconte
l'histoire, qu'à travers lui, l'Histoire qui parle.
L'historien est bien plus qu'un simple
conteur : il est le regard d'un temps sur un autre.
— Cela pose un problème philosophique difficile :
• Les hommes du passé ne doivent pas être complètement autres que les hommes d'aujourd'hui, sans quoi il ne serait pas
possible de les comprendre.
Aucune histoire ne pourrait être écrite : il faut pouvoir entrer dans ce qui a été leurs desseins
politiques, leurs croyances religieuses, leurs philosophies, leurs modes de vie...
pour pouvoir en faire un objet d'histoire.
L'historien ne peut être extérieur à son objet.
Il doit être capable de sympathie, de compréhension.
• À l'inverse, l'homme du passé n'est pas complètement identique à l'homme d'aujourd'hui.
S'il y a une Histoire, si la roue
du temps tourne, cela suppose que ce qui a été n'est plus, et que ce qui est est nouveau, que l'esprit d'aujourd'hui n'est
pas l'esprit d'hier.
La possibilité de l'histoire suppose à la fois l'identité et la différence de l'esprit à travers le temps.
L'historien est le lieu de ce paradoxe.
En se faisant historien, l'homme découvre ce qu'il n'est plus, et qui pourtant est
encore lui..
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